Kazakhstan: entre privatisations et route de la soie

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

Entretien avec Timur Suleimenov, ministre de l’économie, à l’occasion du sommet de Davos.

 

Ministre de l’économie de la République du Kazakhstan, Timur Suleimenov est au Forum économique mondial de Davos pour y retrouver ses pairs. A l’occasion de la rencontre qui réunit depuis mardi et jusqu'à vendredi plus de 3000 participants dont 65 chefs d'Etat et de gouvernement, il profite de sa présence en Suisse pour échanger ses vues avec les autres membres de l'Organisation mondiale du commerce, en préparation de la conférence ministérielle de l’OMC qui se tiendra dans son pays en 2020. Quelques questions sur l’avenir économique du pays.

Selon les données préliminaires publiées par votre ministère, le PIB du Kazakhstan a vu une croissance de 4,1% en 2018. Quelles en sont les vecteurs?

Le principal vecteur de notre croissance reste le secteur de l’extraction – pétrole, gaz, cuivre, aluminium, zinc – mais d’autres segments de l’économie y contribuent. La logistique et le transport, la construction, la communication ou encore l’agriculture prennent une place de plus en plus importante et seront les grands axes de diversification des années à venir.

Soit une entreprise était rentable et sa privatisation est terminée,
soit elle ne l’était pas et elle a été fermée.
Le cours du pétrole (Brent) se situe à l’heure actuelle au-dessus de 60 dollars le baril. Ce prix est-il suffisant pour répondre à votre équilibre budgétaire et à votre programme de développement?

Notre politique fiscale est très conservatrice. A partir de 55 dollars le baril, nous sommes parfaitement à l’aise avec l’avenir de nos projets.

Votre pays a entrepris un vaste programme de privatisation.  Quels en sont les jalons et à quel terme pensez-vous atteindre vos objectifs?

Nous avons démarré avec les PME, tant au niveau national que régional, et cette phase est pour ainsi dire achevée. Notre stratégie était exigeante. De deux choses l’une: soit une entreprise était rentable et sa privatisation est terminée, soit elle ne l’était pas et elle a été fermée. Reste maintenant à accomplir la privatisation des grandes entreprises d’Etat. Nous avons commencé par une IPO pilote de Kazatomprom, la compagnie nationale de production d’uranium dont 15% du capital est déjà privatisé. Avec un certain succès puisque le cours de l’action est récemment monté de 14%. Les autres entreprises publiques seront progressivement dénationalisées dans les deux années à venir, sachant toutefois que la compagnie ferroviaire, Temir Zholy, sera la plus délicate à traiter, comme ce fut le cas partout ailleurs, pour des raisons de rentabilité.

Sur quels marchés cotez-vous ces sociétés?

Sur la bourse d’Astana et sur celle de Londres conjointement.

L’Astana International Exchange bénéficie gratuitement
des infrastructures mises en place pour l'Expo 2017.
Le Kazakhstan s’efforce d’attirer les investissements étrangers. Quelles mesures avez-vous prises pour y réussir?

Les plus essentielles concernent l’environnement réglementaire et la qualité du climat des affaires sur lesquels nous travaillons depuis des années. Avec des résultats tangibles puisque le classement de la Banque Mondiale (World Bank Doing Business Report) nous a hissé l’an dernier au 28e rang. Alors qu’il y a dix ans, nous tenions la 130e place! Notez tout particulièrement que dans ce classement, en matière de protection des investisseurs, nous avons obtenus la note maximale. Les changements institutionnels comprennent notamment un point d’entrée pour toute nouvelle société qui permet simultanément l’enregistrement au registre du commerce, l’enregistrement fiscal, l’assistance juridique et la souscription aux divers services de base comme le téléphone ou l’électricité. Ce «guichet unique» a été construit par l’agence chargée de la promotion économique Kazakh Invest.

L’été dernier, vous avez lancé l’Astana International Exchange. Avez-vous déjà des résultats?

Il est trop tôt pour se prononcer. Les étapes préparatoires s’annoncent bien. Un amendement a été apporté à la constitution pour introduire un régime de droit basé sur le «common law» britannique dans la zone franche d’Astana et, d’ailleurs, plusieurs juges britanniques assurent déjà aujourd’hui son application sur place. La bourse bénéficie gratuitement pendant deux ans des infrastructures mises en place pour l'Expo 2017. Pour le reste, il faudra attendre d’avoir davantage de recul et que soit atteinte une certaine masse critique, grâce notamment aux privatisations.

Quelle est l’importance pour le Kazakhstan de l’Union économique eurasiatique?

Cette union créée un équilibre avec la Chine et la Russie et nous a également permis de renouer avec une partie des relations commerciales entre voisins1. C’est une priorité de notre stratégie économique et notre pays est d’ailleurs l’un des trois membres fondateurs de cette union.

Pour un accord de libre-échange avec la Suisse, nous devons
nous aligner avec les pays de l’Union économique eurasiatique.
L’Union européenne est un partenaire clé du Kazakhstan. Comment avez-vous renforcé les relations?

L’Union européenne représente entre 40 et 45% de nos exportations. Elle joue aussi un rôle de premier plan en matière d’investissement direct. En matière de règlementation et de transparence, l’UE est notre modèle et, en décembre 2015, l'Union européenne et le Kazakhstan ont signé un accord de partenariat et de coopération renforcés (Enhanced Partnership and Cooperation Agreement ou EPCA) à Astana.

Et avec la Suisse?

Les relations avec la Suisse sont excellentes, tant au niveau intergouvernemental qu’en termes de commerce et d’investissement, et ce depuis les années 1990. En 2010, le Kazakhstan a intégré le groupe de vote de la Suisse au sein des institutions de Bretton Woods. Pour ce qui est d’un accord de libre-échange, nous devons avant tout nous aligner avec les pays de l’Union économique eurasiatique.

La Route de la Soie – ou initiative Belt and Road de la Chine – est-elle clé pour le développement du Kazakhstan?

Elle est importante – surtout pour le développement du transport et de la logistique – mais je ne dirais pas qu’elle est clé.

Vous assistez au WEF. Quel résultat attendez-vous de votre présence ici?

Nous sommes ici, comme nos pairs, pour partager notre perception des risques et des opportunités qui nous attendent en 2019. Nous explorons également le potentiel des partenaires présents au cours de rencontres bilatérales. En outre, nous profitons de cette occasion pour échanger nos vues avec les autres membres de l'Organisation mondiale du commerce, en préparation de la conférence ministérielle de l’OMC qui se tiendra au Kazakhstan en 2020.

1 L'Union économique eurasiatique regroupe la Biélorussie, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizistan et le Tadjikistan.

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