Jamais le secteur financier ne s’est autant mobilisé pour le climat

Yves Hulmann

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Steve Waygood, Chief Responsible Investment Officer chez Aviva Investors, revient sur les progrès qui ont été réalisés – ou non – lors de la COP26 à Glasgow.

Alors que la 26e conférence des parties (COP26) s’est achevée le week-end dernier à Glasgow, quel bilan peut-on tirer de cet événement en ce qui concerne le secteur financier? Le point avec Steve Waygood, Chief Responsible Investment Officer chez Aviva Investors, un gérant d’actifs britannique qui a très tôt mis en œuvre les principes de l’investissement durable dans sa politique de placement.

Alors que la 26e conférence des parties (COP26) à Glasgow est arrivé à sa conclusion, quels sont, à votre avis, les réalisations positives de cette conférence et quels sont les aspects qui vous ont déçu?

En comparaison de la première conférence des parties à laquelle j’avais participé, en 1999 à Bonn, il est important de mesurer le chemin qui a été parcouru depuis. A la fin des années 1990, vous ne rencontriez pratiquement aucun représentant du secteur financier dans les couloirs de la conférence. Aujourd’hui, il y a une reconnaissance très large, à la fois de la part des gouvernements et des entreprises, que le changement climatique est une réalité qui se produit maintenant, qui est due à l’action de l’homme et qui a le potentiel d’entraîner des conséquences chaotiques dans différents domaines – ce qui est capable de déstabiliser non seulement l’économie globale mais aussi la civilisation humaine elle-même. Durant la COP26, il y a eu plusieurs milliers de participants issus du secteur financier ont pris part à la conférence. En soit, cela représente déjà un progrès important par rapport aux précédentes conférences des parties. On peut aussi citer la Glasgow Financial Alliance to Net Zero (GFANZ), une coalition globale regroupant des institutions financières leader qui s’engagent à accélérer la décarbonation de l’économie. C’est un engagement vers le net zéro qui a été pris par plus de 450 institutions financières, issues de 45 pays, qui sont responsable de la gestion d’actifs à hauteur de plus de 130 trillions de dollars, incluant à la fois des banques, des assurances, des gérants d’actifs ou des bourses. Cette initiative regroupe différents acteurs qui regroupent l’entier de la chaîne de valeur du secteur financier. Le fait d’avoir une promesse claire est un énorme pas dans la bonne direction. 

«Les engagements annoncés dans le cadre du G20 ont adopté un langage beaucoup plus fort que précédemment.»

En revanche, ce qui est profondément décevant, c'est que les 100 milliards de dollars destinés au financement climatique fournis par les pays développés aux pays en développement afin de soutenir leurs efforts de lutte contre le changement climatique n’ont pas été versés, comme cela avait été promis.

Que peut-on réellement attendre d’une conférence comme la COP26 – les efforts pour lutter contre le changement climatique ne doivent-ils pas être entrepris dans toutes les grandes réunions possibles, peu importe qu’elles concernent la science, l’économie ou l’action des gouvernements?

De mon point de vue, une autre évolution positive constatée récemment est justement que la discussion sur les enjeux climatiques ne se limite pas à attendre la prochaine COP mais que ce thème est désormais extrêmement présent dans les réunions des pays du G7 et du G20. Au cours de la dernière réunion du G7 qui s’est tenue l’été dernier, on a beaucoup plus parlé du climat qu’au cours de toutes les précédentes réunions du groupe des sept. Lors de cette réunion, il a été décidé, par exemple, que les entreprises devront dévoiler leur stratégie en matière de climat conformément aux règles fixées dans le cadre de la Task Force on Climate-Related Financial Disclosures (TCFD).

De même, les engagements annoncés dans le cadre du G20 ont adopté un langage beaucoup plus fort que précédemment. On y parle beaucoup plus de prix du carbone et les pays membres ont adopté à une feuille de route en matière de finance durable, élaborée par le groupe de travail dédié à la finance durable au sein du G20. Cela montre qu’il est possible de redessiner l’ensemble de l’architecture financière mondial dans des délais très courts. Les participants se sont mis ensemble pour soutenir une transition accélérée vers le «Net Zero».

Les horizons restent néanmoins relativement lointains selon les pays. 

Il faut aussi tenir compte de la situation de départ de chaque pays. Le fait que l’Inde s’engage désormais à atteindre le «Net Zero» à l’horizon 2070 ne manque pas d’ambition. La Chine le vise d’ici 2060, tandis que la plupart des autres pays industrialisés le placent à l’horizon 2050. 

Qu'en est-il de l'accord entre la Chine et les Etats-Unis annoncé mercredi soir?

La déclaration bilatérale entre la Chine et les Etats-Unis a été une surprise très positive, et un changement bienvenu compte tenu de la tension géopolitique entre les deux pays. Elle montre également qu'il est possible de s'entendre sur des questions d'intérêt commun. Des indications au début de l'année laissaient penser que cela pourrait être possible sous l’administration Biden - mais la Chine avait visiblement perdu de son enthousiasme sur cette idée dans les mois qui avait précédé la tenue de la COP26 à Glasgow. Le fait qu'ils aient finalement cherché à le faire est probablement dû à l'accueil très glacial qu'a reçu leurs contributions déterminées au niveau national (nationally determined contributions ou NDC en anglais), alors inchangé, lorsqu'ils l'ont soumis il y a quelques semaines. Je pense qu'ils ont alors compris qu'ils avaient fait une erreur et risquaient d'irriter les partenaires commerciaux régionaux.

«La COP26 a aussi été le cadre d’un engagement très important, signé par 100 pays, pour lutter contre la déforestation.»
Des participants à la COP26, notamment des professeurs renommés en biologie, ont déploré le fait que, chaque fois que l’on fixe des objectifs en lien avec le climat, ceux-ci sont définis avant tout en termes de réductions des émissions de CO2 plutôt que sous la forme de mesures prises pour préserver la biodiversité, par exemple. Qu’en pensez-vous?

A cet égard, la COP26 a aussi été le cadre d’un engagement très important, signé par 100 pays, pour lutter contre la déforestation. Ces pays abritent 85% de la couverture forestière de la planète. En outre, plusieurs réunions d’envergure internationale, qu’il s’agisse du G20 ou du G7, auront lieu dans des pays comme l’Indonésie et le Brésil. Hormis les mesures prises pour réduire les émissions de CO2, il est bien sûr aussi nécessaire d’adopter des solutions basées sur la nature elle-même, notamment en matière de lutte contre la déforestation ou la protection de la biodiversité. Toutefois, quel que soit le thème choisi ou l’objectif de développement durable (SDG) concerné, on revient tôt ou tard à la question du changement climatique.

On reproche souvent aux différentes COP de grands effets d’annonce qui ne sont pas toujours suivis ensuite par les pays. Comment contrôler les progrès effectivement réalisés?

Un outil important est ici à mon avis ce que l’on appelle les principes de progression, tels qu’ils ont été définis dans le cadre de l’Accord de Paris en 2015. L’idée est ici que chaque pays doit ensuite, sur une base nationale, définir comment il peut mettre en œuvre les engagements pris et les contrôler ensuite.

En tant que gérant d’actifs, que peut faire une société telle que Aviva Investors et comment intègre-t-elle la notion de durabilité dans ses activités?

Depuis plus de 20 ans, Aviva Investors a travaillé sur différentes mesures pour rendre ses activités d’investissement plus durables. L’important est d’intégrer la dimension de la durabilité dans toutes les activités de l’entreprise, du sommet jusqu’à la base. Il s’agit ensuite de prendre en considération cette dimension dans l’ensemble des processus d’investissement, pas seulement pour les produits qui portent le label «durable». Chez Aviva Investors, nous préférons l’engagement avec les sociétés, peu importe leur secteur d’activité, à la simple exclusion. Si vous vous contentez de sortir les entreprises qui ne vous conviennent de votre portefeuille en revendant leurs titres, d’autres les achèteront, par définition. Je pense qu’il est important de questionner les entreprises, de discuter des mesures prises ou non, de vérifier leurs engagements pris pour réduire la consommation d’énergies fossiles – plutôt que de seulement investir dans les seules sociétés jugées les plus exemplaires d’un point de vue ESG.

Cela dit, il y a aussi eu des cas où nous avons renoncé à des investissements, et plus de cinquante entreprises actives dans l’extraction de charbon figurent désormais sur notre «liste d'exclusion» parce qu'elles n'ont pas répondu positivement à notre engagement.