Intégrer les critères ESG a plus d’impact dans les pays émergents

Yves Hulmann

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Pour Karine Jesiolowski, experte chez UBP, il n’y a pas d’incompatibilité entre finance durable et marchés émergents.

Parmi les différentes initiatives prises par l’Union Bancaire Privée en lien avec les questions liées à l’investissement durable, les marchés émergents occupent une place particulière. Entretien avec Karine Jesiolowski, experte des questions liées à l’investissement responsable dans la gestion d’actifs («Head Responsible Investment Managing Director Asset Management») auprès du Groupe Union Bancaire Privée (UBP).

Comment UBP a-t-il intégré les principes de l’investissement durable dans sa stratégie de placement et quelles sont ses priorités en la matière?

En 2012, nous avons signé les Principes pour l’investissement responsable des Nations Unies (UNPRI) et lancé un premier fonds ISR (Investissement Socialement Responsable) investi en obligations convertibles. A compter de 2014, nous avons mis en place notre politique d’investissement responsable et introduit notamment des listes d’exclusion dans notre stratégie de placement, en excluant par exemple les armes controversées. En matière d’exercice des droits de vote, nous avons aussi commencé à exercer les droits de vote par procuration pour les actions en travaillant en collaboration avec la société de conseil ISS. 

S’agissant de l’engagement, nous avons collaboré avec GES International, une société rachetée cette année par Sustainalytics. A partir de 2018, notre implication en matière d’investissement responsable s’est étendue avec le lancement d’un fonds d’impact investing en actions européennes ainsi que d’un fonds ISR investi dans les obligations des entreprises émergentes.

«Nous excluons également les sociétés
actives dans l’armement nucléaire.»

Nous avons par ailleurs effectué un véritable effort pour intégrer la dimension durable dans toutes nos activités, avec un engagement qui s’applique non seulement à la gestion d’actifs mais aussi à la banque privée. Cela signifie, par exemple, que nous avons défini une liste d’exclusion élargie que nous appliquons non seulement à l’ensemble de nos fonds mais aussi à nos mandats de gestion de fortune, et aux listes advisory dans le conseil en placement, etc. Enfin, sur le plan institutionnel, UBP est membre de structures telles que Swiss Sustainable Finance, Sustainable Finance Geneva ainsi que de l’Investment Leaders Group du Cambridge Institute for Sustainability Leadership.

Les principes d’exclusion tiennent-ils aussi compte désormais des aspects environnementaux?

Oui, en plus des activités bannies habituellement telles que les armes controversées, nous excluons aussi de l’ensemble de notre gamme les sociétés actives dans l’extraction de charbon dès lors que cette activité dépasse 20% de leur chiffre d’affaires. A noter que nous excluons également les sociétés actives dans l’armement nucléaire. Il faut aussi préciser que nos listes d’exclusion sont mises à jour régulièrement en fonction de l’évolution des sociétés. 

Avez-vous votre propre activité de recherche ou utilisez-vous celle qui est fournie par des instituts tiers?

Nous n’avons pas une équipe d’analystes dédiée spécialement à l’analyse ESG qui fournirait son expertise aux autres métiers au sein du groupe. Chez UBP, les équipes de gestion supervisent elles-mêmes l’intégration des critères ESG dans le cadre de leur activité de gestion d’actifs et de fortune. Pour ceci, elles s’appuient sur leur propre analyse ESG et impact via un engagement direct avec les sociétés ainsi que sur la recherche ESG fournie par des instituts tiers. Nous élaborons également des listes de surveillance («watch list») d’entreprises, de manière à ce que les équipes de gérants soient sensibilisées aux problématiques environnementales, sociales et de gouvernance.

«Nous établissons des listes de ‘champions de la durabilité’».
Ces «watch list» sont-elles utilisées avant tout dans le sens négatif ou aussi positif pour les entreprises?

Aussi au sens positif. Nous établissons ainsi des listes de «champions de la durabilité», soit parce que ces sociétés sont leaders dans la mise en place des objectifs de développement durable, soit en matière de politique ESG en général.

Les principes de durabilité s’appliquent-ils de la même manière aux entreprises des pays émergents que dans les pays développés?

Il n’y a aucune raison d’exclure d’emblée les pays émergents de l’univers des placements durables. Une différence entre les pays industrialisés et émergents est qu’il y a globalement moins d’offre de placements ESG ou d’impact dans la seconde catégorie. Toutefois, la croyance selon laquelle placements responsables et marchés émergents ne seraient pas compatibles est complètement erronée – elle est surtout due à un manque de connaissance de ces marchés. Si l’on prend l’exemple de l’univers des obligations d’entreprises dans les pays émergents, les deux tiers des titres émis bénéficient de notations ESG moyennes ou supérieures et un tiers ne sont pas favorables. En outre, l’impact potentiel qui résulte de la prise en compte des critères environnementaux, sociaux ou de gouvernance est souvent beaucoup plus important pour les entreprises des pays émergents que pour celles des pays développés. Il est dès lors particulièrement important de s’engager auprès des sociétés des pays émergents. Il suffit de penser à des problématiques telles que la gestion des déchets par exemple.

«Nous n’excluons qu’un nombre faible de pays émergents.»
Quels pays émergents incluez-vous dans votre univers d’investissement ESG?

Dans notre offre de fonds durables, nous n’excluons qu’un nombre faible de pays émergents, qui sont par exemple sous sanction ou sur la liste GAFI des pays à haut risque ou sous surveillance. Pour les autres, notre approche est «bottom-up». Nous analysons un grand nombre de sociétés incluses, par exemple, dans les indices MSCI EM, MSCI Frontier ou JP Morgan Corporate EM Bond Index. Cette analyse fondamentale de chaque entreprise est essentielle à mon avis lorsque l’on investit dans l’univers émergent.

Des entreprises chinoises font-elles aussi partie de cet univers?

Tout à fait. Même si, dans l’ensemble, il n’y a pas encore beaucoup de sociétés chinoises qui bénéficient d’une notation ESG très élevée –beaucoup d’entre elles font néanmoins d’importants progrès sur ce plan.

Pour des raisons d’image?

Pas seulement. Il ne faut pas oublier que lorsque des entreprises issues de pays émergents – peu importe qu’elles proviennent de Chine, d’Inde ou d’ailleurs – viennent emprunter des capitaux sur les marchés financiers internationaux, elles sont en concurrence avec les entreprises des pays développés. Tout comme elles ont dû s’aligner sur les standards internationaux qui s’appliquent aussi bien en matière de comptabilité, de reporting, etc, une évolution similaire s’observe quant aux critères de durabilité, car les investisseurs sont de plus en plus exigeants dans ces domaines. Les entreprises des pays émergents deviennent toujours plus conscientes de ces enjeux.

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