«Les technologies qui contribuent à atténuer le changement climatique offrent d'intéressantes opportunités» estime Jan Amrit Poser.
En 2017, le volume des placements durables en Suisse a bondi de 82% pour atteindre 390,6 milliards de francs, selon l'étude publiée ce printemps par Swiss Sustainable Finance (SSF). En Suisse, la Banque Sarasin, intégrée depuis six ans au sein du groupe bancaire helvético-brésilien J. Safra Sarasin, compte parmi les précurseurs dans le domaine des placements durables. Jan Amrit Poser, stratège en chef et directeur de la durabilité chez J. Safra Sarasin, analyse l’essor observé dans ce domaine. Il explique aussi pourquoi les nouvelles technologies liées aux placements durables offrent d’intéressantes opportunités d’investissement actuellement.
La bonne nouvelle est tout d’abord que la taille du gâteau continue de croître. C’est aussi pourquoi plus aucun institut ne peut aujourd’hui se permettre de renoncer à proposer des placements durables dans son offre de solutions d’investissement. Même si notre taille est inférieure à celle des très grandes banques, J. Safra Sarasin reste leader des placements durables parmi les banques privées en Suisse. A la question de savoir comment il est possible de se différencier, trois aspects me paraissent importants à mentionner: il y a, tout d’abord, notre offre très étendue de solutions. J. Safra Sarasin compte 25 stratégies dans ce domaine. Nous sommes ainsi un peu le «one stop shop» des placements durables. Ensuite, la crédibilité: J. Safra Sarasin mise sur les placements durables depuis une trentaine d’années. Enfin, un autre point essentiel mérite d’être mentionné: nous intégrons les principes de durabilité ou de l’investissement responsable (selon les «Principles of responsable investing, ou PRI») dans toutes les étapes du processus d’investissement, et non pas de manière isolée. Depuis 2011, tous les mandats de gestion discrétionnaire de nos clients privés sont, par défaut, gérés de manière durable (ce n'est que s'ils en font la demande que leur portefeuille n'aura pas de biais durable). Cela fait de J. Safra Sarasin un «pure player» de la durabilité.
Effectivement, une étude réalisée par l’Université de Harvard, en collaboration avec l’EPFZ, avait évoqué ce point. Chez J. Safra Sarasin, tous les nouveaux employés reçoivent une introduction à la durabilité et aux placements durables, quelle que soit leur spécialité. Cela concerne aussi bien les gérants du risque, les responsables de l'IT ou bien entendu les conseillers chargés des relations avec la clientèle.
Récemment, l’Union européenne s’est penchée sur ce problème en proposant de définir un certain nombre de normes communes. Si cela peut apporter davantage de clarté, tant mieux. J’ai néanmoins certaines réserves à propos de cette volonté d’imposer des normes dans ce domaine. Je pense qu’il vaut mieux laisser les acteurs développer des approches sérieuses et innovantes. Ce sont les clients qui décideront de l'approche la plus appropriée pour eux et qui les aident. C'est ainsi que les définitions les plus adéquates devraient s'imposer.
Concernant la nomenclature, on peut différencier entre deux grandes approches: d’une part, celle du principe de responsabilité – qui s’applique à l’investisseur – et qui consiste souvent à exclure certaines sociétés ou activités de l’univers des placements. D’autre part, celle de la durabilité – qui s’applique à l’investissement lui-même – et qui implique un engagement plus fort dans ce domaine. Chez J. Safra Sarasin, on préfère la seconde approche axée sur la durabilité, ou «sustainability» en anglais, car elle porte sur la qualité et, finalement, sur la bonne performance de l’investissement.
Nous voyons une croissance dans trois catégories de notre offre de placements durables. Premièrement, les fonds utilisés dans la gamme de mandats multi-asset ou balancés et qui visent à profiter des opportunités du moment au-delà des grandes classes d’actifs. A titre d'exemple, nous avons lancé un fonds high-yield global durable cette année. Deuxièmement, on voit de l’intérêt dans tous les produits liés à l’investissement d’impact («impact investing»). Avec ceux-ci, l’idée est de pouvoir placer de l’argent dans des produits dont on peut mesurer l’impact sur l’environnement, la société, etc. Cette année nous avons lancé une stratégie «green bonds», les obligations vertes, qui sont dédiées au financement de projets spécifiques, souvent en accord avec les objectifs de développement durables de l'ONU («Sustainable development goals»). Troisièmement, il y a aussi toute la gamme de fonds thématiques qui se rapportent à une problématique donnée. C’est par exemple le cas des technologies disruptives qui contribueront à pouvoir se conformer aux normes environnementales telles qu’elles ont été définies dans le cadre de la COP 21.
Outre les technologies liées au secteur de l’énergie, il y a les innovations qui contribuent à produire de la nourriture de manière plus écologique, l’intelligence artificielle qui aide à interpréter de très grandes quantités de données, les satellites servant à mesurer les effets du climat, les techniques de recyclage, etc. Les techniques qui contribuent à atténuer les risques liés au changement climatique offrent de nombreuses opportunités d’investissement actuellement.
Le devoir fiduciaire joue un rôle important pour les caisses de pension. On le voit avec la création de structures comme l’Association suisse pour des investissements responsables (ASIR). Plusieurs motivations incitent les institutions de prévoyance à s’y intéresser. Premièrement, l’aspect lié à la protection de la réputation. Plus aucune caisse de pension n’a aujourd’hui envie de devoir se justifier d’avoir investi dans des placements non éthiques, dans des entreprises qui détruisent massivement l’environnement. Deuxièmement, la pression des cotisants vis-à-vis des gérants. Les bénéficiaires ont envie de savoir comment leur argent est investi. Troisièmement, la pression de la politique sur les caisses publiques. Et du côté des caisses des entreprises privées, celles-ci sont aussi de plus en plus souvent obligées d’aligner leurs principes d’investissement sur ceux de l’entreprise. Quatrièmement, il y a aussi le potentiel de performance supérieure.
Elle contribue à éviter certains risques en tout cas. Prenez l’exemple des grandes sociétés pétrolières. Beaucoup d’entre elles réalisent actuellement encore d’excellents bénéfices. Toutefois, elles risquent d’être confrontées, un jour, à des dépréciations d’actifs dans leur bilan. Ces sociétés comptabilisent les réserves pétrolières dont elles disposent comme des actifs – mais quelle sera encore leur valeur si dans quelques années on n’ose plus brûler ces réserves de pétrole? Il en va de même pour les activités d’exploration des énergies fossiles: celles-ci auront-elles encore de la valeur dans quelques décennies? La prise en compte des principes de durabilité aident à mieux anticiper ces questions et à éviter ainsi des mauvaises surprises.
Un souci est que la cohésion, qui existait entre les pays autour de ces questions il y a quelques années encore, a été mise à rude épreuve récemment. Les tensions commerciales actuelles n’aident pas. Toutefois, je reste convaincu, qu’à un certain moment, la raison va revenir.