Il y aura davantage de banques de conseil et moins de banques de transaction

Yves Hulmann

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Pour Marianne Wildi, CEO de la Hypothekarbank Lenzburg, beaucoup de start-up ont mieux compris que les banques comment s’y prendre pour séduire la clientèle.

A quoi ressemblera la banque de demain? C’est l’une des thématiques qui a été abordée lors la conférence «Forward!» qui s’est tenue dans le cadre du 59. SMG Forum à la mi-novembre à Zurich organisé par la Schweizerische Management Gesellschaft (SMG). Entretien avec Marianne Wildi, présidente de la direction de la Banque hypothécaire de Lenzbourg (Hypothekarbank Lenzburg), qui s’exprimait en marge de l’événement.

Vous avez participé récemment à un panel de discussion consacré à la thématique du «Future Banking». En tant que directrice d’une banque régionale qui a collaboré avec de nombreuses fintech suisses dans le cadre de différents projets ces dernières années, comment la technologie va-t-elle selon vous façonner l’avenir du secteur bancaire, notamment en ce qui concerne la banque de détail?

A la différence de nombreuses autres branches – qu’il s’agisse de l'industrie MEM, de la microtechnique ou d’autres branches – dans lesquelles la création de valeur se déroule de façon toujours plus numérisée et où les processus sont de plus en plus efficients et standardisés, le secteur financier n'en est pas encore arrivé là aujourd’hui. La grande chance à saisir à l’avenir pour les banques serait d’aller de façon conséquente là où les clients ont besoin de services bancaires au cours de leur Customer Journey en intervenant directement là où la création de valeur a lieu – soit au moment où l’on achète ou vend quelque chose, au moment du paiement, etc. –, plutôt que de proposer leurs services avec un temps de retard ou de façon indépendante. On appelle cela l’Embedded Finance, à savoir l’intégration de prestations financières dans la chaîne de création de valeur d’acteurs qui ne sont pas des banques.

L’Embedded Finance continuer de gagner en importance. Avec HBL Solutions, nous avons lancé notre propre marque dans ce domaine. Une quelconque entreprise va proposer à ses clients différentes variantes de paiement – par exemple le débit direct ou paiement à crédit – directement au moment de l'achat. C'est aussi dans cette optique que notre collaboration avec Coop a vu le jour. C’est chez les grands détaillants que se trouvent les clients, c'est là qu’ils effectuent leurs paiements. L’endroit où une banque doit intégrer ses produits, c’est là où les affaires s’effectuent.

«La chance à saisir pour les banques serait d’aller de façon conséquente là où les clients ont besoin de services bancaires au cours de leur Customer Journey.»
Y a-t-il d'autres domaines du secteur financier où l’on observe une telle évolution?

Comme la population est de plus en plus âgée, ce sont surtout les thèmes liés à la prévoyance qui deviendront toujours plus importants. La prévoyance est et restera un sujet complexe - c'est pourquoi il est nécessaire d’avoir des spécialistes qui puissent s'en occuper de façon détaillée. Certes, une partie de la création de valeur autour de la prévoyance est numérisée et automatisée. Toutefois, dans ce domaine, des compétences personnelles pointues en matière de conseil sont requises - et les banquiers peuvent justement fournir cette compétence à leur clientèle grâce à l’expertise financière qu’ils ont acquise. La plupart des banques doivent se transformer afin qu’elles puissent survivre en étant rentable - et deviendront certainement plus des banques de conseil et moins des banques de transaction. Il y aura bien encore quelques banques de transaction pures ou presque entièrement spécialisées dans ce domaine, mais plus en si grand nombre.

En matière de prévoyance également, on observe que de nombreux nouveaux acteurs, qu'il s'agisse de néo-banques ou d’acteurs tiers, s'immiscent également dans cette thématique. Est-ce une tendance qui devrait inquiéter les banques de détail classiques?

Je ne suis pas convaincu que des décisions naturellement complexes, comme les choix dans la prévoyance ou l'achat de biens immobiliers, seront entièrement automatisées à l’avenir. Peut-être que la prise de décision s’effectuera avec l'appui d'outils issus de l’intelligence artificielle mais l'entretien en tant que tel avec un conseiller restera important - du moins lorsqu'il s'agit de prendre des décisions à long terme, comme l'achat d'une maison, si l’on doit retirer ou non son argent du 2ème ou 3ème pilier, etc.

En outre, même si le concept d’Embedded Finance s’impose dans différents segments d’activité, cela ne signifie pas pour autant que les banques n’auront ici plus aucun rôle à jouer. Même si différentes prestations s’effectueront au moment même de la transaction, l’argent restera déposé sur un compte auprès de la banque. Dans ce domaine aussi, je pense que les banques continueront à jouer un rôle dans les différents processus nécessaires pour réaliser une transaction.

On voit néanmoins que certaines néo-banques, ou des acteurs extérieurs au secteur financier, captent une part croissante de la valeur ajoutée dans certains segments d’activité. Ces structures ont-elles encore besoin des banques pour pouvoir proposer leurs prestations?

Il y a effectivement une guerre des prix qui a commencé avec certains produits spécialisés. Certaines fintech ont adopté des structures très légères et mis en place des processus ultra efficients, ce qui leur permet de proposer certaines prestations bien définies à des tarifs imbattables.

«Notre but n’est pas de devenir un leader dans les crypto-monnaies ou un expert des actifs tokénisés mais de contribuer à offrir un cadre sécurisé et avantageux.»
Si les simples transactions ou les opérations de financement peu complexes sont toujours plus souvent captées par des plateformes qui fonctionnent avec des coûts d’exploitation très inférieurs à ceux des banques traditionnelles, comment ces dernières peuvent-elles demeurer rentables?

Les plateformes spécialisées ou les fintech se concentrent le plus souvent sur des niches spécifiques en exerçant une très forte concurrence sur les prix. Cela peut être le cas lorsqu’il s’agit de segments spécifiques tels que les offres pour le pilier 3a ou l’octroi de cartes de débit à très faibles coûts. De leur côté, les banques font un calcul différent : elles savent que certaines prestations qu’elles offrent ne sont pas rentables en tant que telle mais qu’en proposant une palette complète de services à leur clientèle, elles parviendront, en fin de compte, à rentrer dans leurs frais sur l’ensemble de leurs activités.

La concurrence de ces nouveaux acteurs va à mon avis continuer de s’accentuer. On observe du reste que certaines fintech, spécialisées au départ dans des niches très spécifiques, tendent à étendre leur offre dans un nombre croissant de domaines. Par exemple, Neon, qui proposait au départ avant tout des services bancaires de base comme des comptes bancaires ou des cartes de crédit bon marché, a peu à peu élargi son offre dans les domaines des investissements ou du pilier 3a. Neon s’occupe du design des produits et du marketing en soignant l’interface avec les utilisateurs tandis que de notre côté, à la Banque hypothécaire de Lenzbourg, nous assurons les fonctions de banque de dépôt et de conservation des titres.

Il est aussi intéressant d’observer que des banques traditionnelles misent désormais sur des marques distinctes pour proposer certains de leurs services. Credit Suisse avait développé la plateforme CSX avant son rachat par UBS, tandis que Swissquote et PostFinance proposent des services simplifiés sous la marque Yuh. En outre, PostFinance a élaboré une plateforme de comparaison de financement sous le nom de Valuu. Il y a donc toujours davantage de plateformes spécialisées qui se concentrent sur un segment de valeur ajoutée très pointu.

Restera-t-il encore des banques généralistes à l’avenir?

Le modèle classique des établissements bancaires généralistes qui offrent une palette complète de services bancaires, allant du trafic des paiements aux hypothèques en passant par la gestion de fortune, sera plus rare à l’avenir. A mon avis, la tendance ira davantage en direction du concept de banque de conseil, dont la compétence principale sera justement de répondre aux attentes des clients qui veulent obtenir des conseils personnalisés sur des questions complexes.

Il y a aussi des acteurs entièrement indépendants des banques qui veulent capter un segment de valeur ajoutée très précis, par exemple des outils de finance personnelle ou de gestion des dépenses. Ces nouvelles plateformes ont-elles vraiment des chances de ravir des parts de marché significatives aux établissements bancaires classiques?

Chaque segment fonctionne selon une dynamique différente. Par exemple, la start-up zurichoise Yokoy, qui propose des solutions de gestion des dépenses à destination des grandes entreprises en s’appuyant sur l’intelligence artificielle, a élaboré une offre de services qui s’inscrit dans cette dynamique. Quant à savoir si ces plateformes parviendront à s’établir de manière complètement indépendante à l’avenir ou si elles devront collaborer avec des banques dans le cadre de partenariat, il est difficile de le prédire. Dans tous les cas, on peut constater que de nombreuses fintech sont de véritables talents sur le plan du marketing. Beaucoup de start-up ont bien mieux compris que les banques comment elles devaient s’y prendre pour séduire la clientèle, en amenant une approche innovante dans certains domaines ou en proposant de nouvelles applications.

Vous participez aussi au projet de monnaie numérique de banque centrale (MNBC), aux côtés d’établissements de plus grande taille comme UBS ou de banques cantonales comme la BCV ou la ZKB. Pourquoi vous êtes-vous engagé dans ce projet?

Pour la Banque hypothécaire de Lenzbourg, la motivation centrale était de tester un système technologique qui participe au développement de solutions d’émissions simplifiées et à de meilleurs coûts à l’intention des PME. Notre but n’est pas de devenir un leader dans les crypto-monnaies ou un expert des actifs tokénisés mais de contribuer à offrir un cadre sécurisé et avantageux pouvant être utilisé par les participants au marché afin de faciliter leur financement à des coûts moindres et de façon simplifiée à l’avenir.

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