Identifier les risques cachés au sein d’un portefeuille

Yves Hulmann

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Pour Julien Dauchez de Natixis Investment Managers, le service Natixis Portfolio Clarity permet aussi d’évaluer quelles sont les sources potentielles de diversification.

 

Le premier mois de l’année est une période où beaucoup de gérants redéfinissent leur allocation d’actifs pour les mois qui suivent. A quels aspects faut-il être attentif lorsque l’on décider de modifier la part allouée à certaines classes d’actifs par rapport à la pondération habituelle? Y a-t-il des cumuls de risques non perçus auxquels il faut être attentif en particulier? Le point avec Julien Dauchez, Responsable des Consultants au sein de l’équipe Portfolio Research and Consulting Group de Natixis Investment Managers.

Comment fonctionne le service Natixis Portfolio Clarity et quelles sont les spécificités de cette approche?

C’est un service qui a été créé juste à l’issue de la Grande Crise Financière (GFC) par des collègues aux Etats-Unis. L’idée était d’aider les conseillers financiers à établir des portefeuilles plus robustes. Le but était notamment de les aider à évaluer les risques au sein de leurs portefeuilles, à identifier s’il y avait une concentration des risques ici ou là et – naturellement – aussi de voir si des pistes de diversification s’ouvraient. Ce service, qui a connu un grand succès aux Etats-Unis, a ensuite été importé en Europe. Il a ensuite été adopté également en Amérique latine, en Asie et dans un grand nombre de pays européens, dont la Suisse. 

Notre approche consiste à dire aux clients: si cela vous intéresse, nous sommes en mesure d’analyser votre allocation d’actifs de façon à vous aider à prendre les mesures adéquates. La décision d’adapter ou non le portefeuille, de choisir quels types d’actifs ou de positions pourraient être réduits ou, au contraire, augmentés, revient ensuite aux clients eux-mêmes. Nous ne proposons pas de produits– ce n’est pas de notre approche – nous sommes plutôt dans une démarche de service orienté clients. 

Natixis IM dispose d’une puissance de frappe analytique énorme sur la base de nos activités dans la gestion d’actifs, dans la banque d’investissement ou d’autres secteurs qui nous donnent accès à des ressources quantitatives très importantes. A partir de cela, nous allons faire tourner ces outils sur les portefeuilles des clients. Sur la base de cette analyse, nous allons procéder à l’étape dite de restitution.

Comment faut-il comprendre le mot «restitution» dans ce contexte?

Cette dimension de restitution est la partie la plus importante. Des outils d’analyse des risques, vous en trouvez un grand nombre sur le marché. Nous, ce que nous apportons aux clients, c’est la partie perspective, à savoir une interprétation. Qu’il s’agisse de conseillers financiers, de banques privées, de gérants de fortune, de family offices ou de fonds de pension, on va rentrer dans notre système les allocations que les clients nous soumettent – parfois en utilisant les données telles quelles, parfois en les anonymisant si un accord de confidentialité a été signé – puis on leur présente ce que l’on a vu. Pour utiliser une image, on va regarder ce qu’il y a sous le capot et va vous signaler à quels éléments il faut être attentif.

«Si un client détient un ETF en actions américaines répliquant l’indice S&P 500, un fonds technologique et un fonds thématique, consacré à l’IA par exemple, cela peut créer un empilement du risque.»

A quels aspects rendez-vous vos clients attentifs par exemple?

Typiquement, un client va souvent détenir à la fois des actions individuelles, des ETF, des fonds en actions et en obligations, des produits structurés complétés encore par quelques placements privés. A première vue, un tel portefeuille peut sembler largement diversifié – mais ce n’est pas toujours le cas si on y regarde de plus près. Si un client détient par exemple un ETF en actions américaines répliquant l’indice S&P 500, un fonds technologique et un fonds thématique, consacré à l’IA par exemple, cela peut créer un empilement du risque. On va aider le client à identifier et à quantifier ces risques. Nous apportons une sorte de réassurance au client en lui fournissant un point de vue externe. Le but est de confronter votre perception de la réalité à celle de votre portefeuille. 

Nous nous projetons aussi vers l’avenir, en simulant l’impact de différents scénarios macro-économiques – dont certains à l’initiative du client - sur les allocations qui nous sont proposées.

Parvenez-vous à détecter des corrélation cachées ou simplement ignorées par les gérants?

A l’aide de notre approche Return-Based Style Analysis, nous effectuons tout un ensemble de régressions linéaires qui vont nous permettre d’établir un parallèle entre la performance d’un fonds et celle de différents indices. Si nous constatons qu’un fonds obligataire diversifié présente un parallélisme anormalement fort avec un indice High Yield, nous rendons le gérant attentif au fait que ce fonds pourrait contenir davantage de titres risqués qu'il n'y paraît. En analysant différents facteurs de performance, cela peut permettre d’identifier certaines corrélations et des risques cachés au sein d’un portefeuille.

Combien coûte une telle analyse?

Natixis Portfolio Clarity est un service d’analyse gratuit destiné aux investisseurs professionnels qui relève, selon nous, d’un effort de marketing sous MiFID 2. Ce n’est ni du conseil financier, ni de la distribution de produits d’investissement mais un service visant à aider les investisseurs à mieux comprendre leurs allocations. Notre rôle consiste à lever le voile sur ce qui peut être des points d’attention pour le client. Nous lui disons: voilà ce que l’on voit sous le capot, voilà ce que cela signifie en termes de risques et voici où nous pensons qu’il y a des sources potentielles de diversification. 

En mettant l’accent sur la concentration et l’historique de l’évolution des risques au sein d’un portefeuille, cela nous permet d’anticiper quelle pourrait être la réaction d’un actif donné - les actions américaines, par exemple - par rapport à l’évolution d’un autre actif ou un autre risque spécifique – une remontée des taux des bons du Trésor à dix ans, par exemple – et de recommander les mesures de risque les plus adaptées. En revanche, nous n’essayons pas de prédire quelle est la performance de tel ou tel actif à tel ou tel horizon.

Dans l’idéal, tout le monde devrait éviter une trop grande concentration des risques. Toutefois, lorsqu’un thème ou un secteur donné, par exemple la «Big Tech», continue de surperformer trimestre après trimestre, beaucoup d’investisseurs ne voient aucune raison de se séparer de positions gagnantes…

En général, les gérants ont déjà des catégories de placements bien définies d’avance en accord avec le client. Par exemple, 70% d’actions au maximum, dont moitié de titres américains au maximum. Ils disposent toutefois de la possibilité d’agir à la marge, de manière tactique, par exemple en augmentant ou en réduisant de +/- 5% la part dédiée aux actions américaines. De notre côté, lorsque nous identifions une trop grande concentration des risques en lien avec une catégorie d’actifs donnée, nous le signalons au client, qui peut ensuite procéder à un rééquilibrage du portefeuille – et cela même indépendamment du fait que certains seuils aient été formellement dépassés ou non. 

«Les investisseurs à qui nous avons parlé ces dernières semaines s’attendent à un élargissement du ‘rallye’ à d’autres valeurs que celles de la tech, comme les valeurs cycliques, les actions de petite capitalisation ou les actions internationales hors Etats Unis.»

Cela dit, une des causes de la concentration des risques la plus fréquente que nous constatons est celle liée au biais domestique (home bias). Par exemple, les actions suisses sont souvent sur-représentées dans les portefeuilles helvétiques – ce n’est pas surprenant en soi mais c’est un aspect que nous devons prendre en compte.

Combien de fois par an faut-il procéder à une telle évaluation et, si nécessaire, à un rééquilibrage du portefeuille – à des dates fixes ou plutôt à la suite d’événements particuliers, comme la forte correction survenue au début du mois d’août 2024?

Si l’on considère le deuxième semestre de 2024, il y a eu typiquement deux phases: avant l’élection présidentielle américaine de novembre et ensuite. Maintenant, la question du rééquilibrage d’un portefeuille ne doit pas forcément être liée à un événement spécifique - c'est même mieux de le faire à intervalle régulier, même en l’absence d’événements spécifiques. S’agissant des actions américaines, on peut réfléchir à réduire la part de la Tech au profit d’autres styles (Value, Cycliques par exemple) - ou en accordant une plus grande part aux petites capitalisations ou encore en optant pour un portefeuille équipondéré du S&P 500, de manière à atténuer la trop grande concentration de la performance autour des «Sept Magnifiques». Tout cela sans pour autant réduire nécessairement la part totale allouée aux actions américaines en tant que tel.

La forte concentration de la performance du S&P 500 en lien avec les «Sept Magnifiques» en 2024, et qui s’est d’ailleurs poursuivie en ce début d’année, est-elle un sujet de préoccupation majeur actuellement?

La concentration de la performance dans un nombre réduit de valeurs n’est pas un phénomène nouveau aux Etats Unis, et a déjà prévalu en 2023 comme en 2024. Une étude récente de Bessembinder a montré que, sur les 100 dernières années, moins de 4% des sociétés cotées expliquent l’essentiel de la génération de valeur des indices boursiers aux Etats Unis. Cependant, les investisseurs à qui nous avons parlé ces dernières semaines s’attendent à un élargissement du ‘rallye’ à d’autres valeurs que celles de la tech, comme les valeurs cycliques, les actions de petite capitalisation ou les actions internationales hors Etats Unis, sur lesquelles ils se sont positionnés en conséquence. 

En Suisse, qui recourt typiquement à Natixis Portfolio Clarity?

Il y a toutes sortes de sociétés ou de profils. En Suisse, il y a notamment une proportion importante de banques privées ou de gérants indépendants qui recourent à ce service.

Quelles sont les implications du rapprochement en cours entre Natixis IM et Generali annoncé en janvier sur le service Natixis Portfolio Clarity? Cette offre continuera-t-elle à être proposée de la manière qu’auparavant?

Le service que nous proposons s’inscrit dans une démarche de «client centricity» éprouvée et plébiscitée par nos Clients eux-mêmes. C’est un marqueur fort de notre identité collective. Nous avons toutes les raisons de croire que ce service sera poursuivi et surtout amplifié.

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