Financer l’économie régénératrice

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

«Quadia apporte son soutien aux entreprises qui réinventent leur chaîne de valeurs», expliquent Aymeric Jung et Astadjam Bamanga.

Financer aujourd’hui les solutions de demain? C’est avec un regard nouveau sur le rôle de l’économie régénératrice qu’il faudrait aborder l’investissement tel que le conçoit la société d’impact investing Quadia. Abandonnons le postulat d’une économie qui extrait, produit et jette et tournons-nous vers un système qui produit, consomme et se régénère ; un système local, collaboratif, circulaire, fonctionnel et biomimétique car il cherche à rétablir l’équilibre, comme le fait le vivant. C’est l’économie régénératrice. L’impact est déjà pour aujourd’hui et n’en sera que plus grand demain, dans vingt ans ou dans un siècle mais ne nous y trompons pas, en se positionnant sur cette tendance holistique, on produit aussi de la performance. Explications avec Aymeric Jung et Astadjam Bamanga.

En quoi Quadia investit-elle différemment?

Investir, ce n’est pas cliquer sur une ligne d’écran pour prendre une position, c’est écouter la société, c’est préparer l’avenir. Ce n’est pas substituer des panneaux solaires et des éoliennes aux énergies fossiles mais penser en termes d’efficience énergétique. Dans un futur sans déchet, le recyclage est déjà une notion du passé. Nous privilégions la réutilisation ou le «upcycling». Une entreprise qui n’a pas anticipé le rejet du plastique à usage unique est condamnée. Souvenez-vous de Kodak. Ceux qui ne savent pas prendre le tournant sont voués à disparaitre. La disruption n’est pas que technologique, elle sera aussi sociale et environnementale.

Il est impératif de construire
un nouveau paradigme économique.
N’est-ce pas aller un peu vite?

Nous ne sommes ni dans le jugement, ni dans le rejet. Les expériences passées ont été faites avec les connaissances et l’éthique de leur époque. Mais ce que nous voulons financer sont les entreprises qui prennent le relai pour corriger les erreurs du passé. Notre méthodologie de gestion d’impact, Quadia Impact Management, nous permet d’établir avec nos entreprises bénéficiaires une feuille de route vers une économie régénératrice, inspirée du fonctionnement du vivant. Une économie qui produit, consomme et se régénère et non un processus qui extrait, produit et gaspille. Une autre économie peut faire reculer le jour du dépassement mondial1.

Ce cadre dépasse largement la finance durable de type ESG à laquelle votre industrie vient tout juste d’adhérer.

D’abord il le complète, car il est impératif de construire un nouveau paradigme économique et de ne pas se donner bonne conscience en répondant de manière isolée à quelques critères s’ils ne sont pas appréhendés de manière holistique. Ensuite, une baisse des émissions de CO2 qui ne serait pas accompagnée d’une préservation de nos écosystèmes ne sera ni durable ni suffisant. La bonne gouvernance ne se réduit pas à quelques règles législatives mais à équilibrer en amont et en aval une entreprise et sa chaîne de valeur dans l’intérêt de toutes les parties prenantes.

Et la finance a un rôle à jouer dans ce processus?

La finance fait partie de la solution quand c’est une finance d’engagement. Les grandes conférences gouvernementales seules ne feront pas changer la dynamique de terrain – et encore moins un financement juste thématique la multiplication de produits financiers qui ne servent à rien ni à personne - mais le soutien apporté aux entreprises qui apportent des solutions. Pour Quadia, le but de l’investissement d’impact est de préparer une économie juste et résiliente dont la croissance prend aussi en compte des critères qualitatifs et extra financiers.

Au-delà du financement, notre rôle est aussi d’assister les entreprises
dans l’amélioration des éléments de leur chaîne de valeur.
Quels sont vos terrains d’action?

Nous en avons choisi trois: l’efficience énergétique, l’alimentation durable, et l’économie circulaire. Au-delà du financement, notre rôle est aussi d’assister les entreprises dans l’amélioration des éléments de leur chaîne de valeur et objectifs d’impact qui sortent de leur expertise propre.

Pouvez-vous nous donner quelques exemples d’entreprises?

Les Coteaux Nantais sont un leader incontesté de la culture biodynamique2. Pionnier de l’agriculture biodynamique dès la première heure, ils cultivent plus de 40 variétés de pommes et près d’une dizaine de poires sur 102 hectares répartis en 4 lieux. Cette biodiversité leur a permis de mieux résister à certaines intempéries et de diversifier leurs recettes sans additifs. Leur réflexion se veut complète: agriculture biologique, valorisation de la production par transformation locale en compotes, jus et purées, pérennisation des emplois saisonniers, participation des collaborateurs à l’entreprise. En résumé, ils ont fait du bon sens paysan un avantage compétitif car en étant désormais sur deux points de la chaîne de valeur, production et transformation, ils peuvent mieux contrôler leur marge et répondre à la demande grandissante des consommateurs pour plus de qualité et de transparence dans son alimentation.

Dans un esprit similaire, vous avez tout récemment investi dans Poulehouse.

Poulehouse propose «l’œuf qui ne tue pas la poule». Son objectif est de promouvoir une filière éthique qui respecte la vie et le bien-être animal tout en maîtrisant son impact environnemental. Les poules de Poulehouse ne sont pas abattues (pour rien car leur viande n’est pas consommée en Europe) quand leur rendement diminue, vers 18 mois, mais gardées à vie. Le prix des œufs est plus élevé mais grâce à une série de partenariats, l’entreprise arrivera à le réduire suffisamment pour accéder au marché de la grande consommation.

Combien et comment investissez-vous?

Depuis 2010, nous avons investi 200 millions d’euros. En direct, uniquement dans les pays développés, par le biais de capital ou de dette privés ainsi que grâce à des formules de dette indexée au chiffre d’affaires qui évitent d’affaiblir des sociétés en pleine construction au mauvais moment.

Depuis 2018 vous travaillez en partenariat avec la banque Degroof Petercam.

La banque souhaitait proposer un produit d’impact à ses clients, ce qui nous a menés à ouvrir un fonds d’impact investing consacré à l’économie régénératrice, domicilié au Luxembourg. Ce fonds est réservé à des investisseurs qualifiés. Son deuxième closing se fera en fin d’année et le troisième et dernier au mois de février prochain avec un objectif de l’ordre de 60 millions d’euros.

 

1 Le jour du dépassement (Earth Overshoot Day) correspond à la date de l’année, calculée par Global Footprint Network, à partir de laquelle l’humanité est supposée avoir consommé l’ensemble des ressources que la planète est capable de régénérer en un an. Cette date est passée du 31 décembre au 1er août entre 1970 et 2019.
2 La biodynamie stimule les sols avec des procédés naturels et se réfère au calendrier lunaire pour gérer les plantations.