Face je gagne, pile je ne perds pas trop

Salima Barragan

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Quelles seront les conséquences du coup retentissant de la BNS sur les actifs suisses. L’avis de Chester Ntonifor de BCA Research.

La Banque nationale suisse a créé la surprise en juin, en relevant d’un coup son taux d’intérêt directeur de 50 points de base pour la première fois depuis 2007. Quelles seront les implications de ce tour de vis sur les actifs suisses? Si les actions helvétiques se distinguent souvent lors des périodes de ralentissement conjoncturel, elles ne sont actuellement pas bon marché. Cependant, le stratège en devises Chester Ntonifor chez BCA Research souligne que le potentiel d’erreurs des banques centrales est de bon augure pour les valeurs refuges. Selon lui, la volatilité continuera de soutenir le franc suisse à court terme qui constitue un bon pari. Entretien.

Comment se porte la conjoncture suisse?

Elle résiste plutôt bien, malgré le ralentissement de la croissance mondiale. En tant que petite économie ouverte, le risque est que la Suisse succombe à une faiblesse extérieure. Le baromètre du KOF, un indicateur clé de la progression du son PIB, s’est effondré au cours des douze derniers mois, passant de 144 à 97, en raison de la décélération de l’activité industrielle mondiale. Les performances économiques suisses sont procyclique du fait de la part importante des exportations dans son PIB. Par conséquent, un ralentissement de l’industrie manufacturière globale constitue souvent une menace pour la croissance helvétique. Mais étonnamment, pour le moment, la Suisse se porte mieux que le reste de l’Europe.

Quelles sont les projections d’inflation suite au rehaussement du taux directeur de -0,75% à -0,25%?

La BNS prévoit désormais que le nouveau taux d’intérêt de -0,25% permettra au renchérissement suisse de redescendre à 1,9% en 2023, puis à 1,6 % en 2024. Nous avons tendance à être d’accord avec la BNS, bien que les pressions sur l’offre en matière d’inflation doivent être surveillées de près.

Thomas Jordan a été très clair: la juste valeur du franc augmente avec la hausse de l’inflation externe, ce qui rend les produits suisses relativement moins chers.
Comment interprétez-vous cette différence avec l’Europe qui affiche un renchérissement bien plus élevé?

La faible inflation en Suisse s’explique en partie par les gains de productivité significatifs, notamment par rapport à ses partenaires commerciaux. Son revenu par habitant est élevé, mais la croissance des salaires a été inférieure à celle de la production, ce qui limite le risque d’une spirale inflation-salaire.

L’économie helvétique peut-elle diverger du reste du monde?

Une divergence est possible, mais improbable. Du côté positif, la Suisse a toujours l’un des taux directeurs les plus bas du G10, même après l’augmentation de 50 points de base des taux directeurs. De même, le renchérissement suisse s’avère également la plus faible du G10, en dehors du Japon. Il convient également de noter que les biens ont principalement entraîné des hausses de prix, tandis que la progression de l’inflation des services demeure modeste. En conséquence, la BNS a toléré une appréciation du franc pour tempérer l’inflation importée, tout en maintenant les coûts d’emprunt intérieurs à des niveaux très accommodants. Ainsi, alors que la politique monétaire se resserre partout, elle reste complaisante pour la demande en Suisse.

Le franc suisse va-t-il s’apprécier davantage?  

Sur une base pondérée par le commerce, oui. Thomas Jordan a été très clair: la juste valeur du franc augmente avec la hausse de l’inflation externe, ce qui rend les produits suisses relativement moins chers. Cela permet aux étrangers de faire monter les prix de la monnaie. Si les pressions inflationnistes s’avèrent persistantes, la BNS renforcera son discours visant à permettre la force du franc. Mais si elles s’atténuent et qu’un franc fort commence à affecter la balance commerciale, la BNS aura peu de raisons de maintenir une politique agressive.

Comment jugez-vous les valorisations des pairs de devises?

La flambée de l’inflation mondiale a rapproché l’euro/franc suisse et la livre/franc suisse de leur juste valeur. Cela dit, le franc est sous-évalué vis-à-vis du dollar et constitue donc une couverture satisfaisante contre l’accroissement de la volatilité par rapport à d’autres monnaies procycliques. Cela place le franc dans une bonne position de pari «pile je gagne, face je ne perds pas trop». En effet, une hausse du renchérissement et des fluctuations économiques profitera au franc. Mais si celles-ci devaient s’atténuer, le franc disposerait d’un coussin de valorisation, notamment contre le dollar.

Quid des actions suisses qui ont reculé après l’annonce de la BNS?

Les titres suisses ont tendance à être défensifs. En conséquence, les investisseurs ne devraient les surpondérer que s’ils s’attendent à un repli plus important des marchés boursiers mondiaux. Cela dit, les valeurs helvétiques sont devenues onéreuses sur une base relative et restent vulnérables à la hausse des taux d’intérêt. Si l’aversion mondiale au risque peut encore les soutenir à court terme, les conditions sont réunies pour qu’elles sous-performent les actions de la zone euro sur une période de 12 à 18 mois. Un bémol toutefois: les titres suisses ont tendance à surperformer lorsque le facteur qualité revient en vogue, ce qui peut limiter leur potentiel de baisse.