Cortex, un gestionnaire pas comme les autres

Salima Barragan

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L’intelligence artificielle permet de se positionner dans les changements de grands courants macro-économiques, estime Jacques Grivel de Fundo.

Employé depuis 3 ans pour gérer près de 400 millions de francs suisses pour une dizaine de mandats de caisses de pension, Cortex est un gestionnaire pas comme les autres. C'est un système basé sur l’apprentissage machine (Machine Learning) qui permet de trouver la meilleure allocation possible dans le respect du cadre fixé par les institutions de prévoyance. Et ses performances ont de quoi faire des jaloux: en 2021, Cortex a atteint des résultats en moyenne 50% supérieurs à ceux des indices des caisses de pensions des deux plus grandes banques suisses. Décryptage avec Jacques Grivel, ingénieur EPFL de formation et directeur général de Fundo, la société d’ingénierie financière qui a développé l’instrument.

Comment Cortex, qui est basé sur l’apprentissage machine et l’intelligence artificielle, fonctionne-t-il?

Le système, qui n’est pas paramétrique, apprend en permanence. Il n’y a pas et il n’y aura jamais de modèle dans Cortex ajusté par un back-testing et cette approche unique a été validée par un grand auditeur indépendant. Il met à jour ses connaissances tel un super cerveau humain qui fera de nouvelles connexions neuronales lors de chaque expérience ou observation. Son apprentissage continu lui permet de se positionner dans les grands courants macro. Il analyse toutes ses croyances et a priori qu’il mettra en permanence à jour lorsqu’il est confronté à de nouvelles informations, pour inférer une décision possiblement intelligente; celle qui minimise le regret mesuré à l’aune du risque-rendement.

Pourquoi avez-vous commencé à utiliser le machine learning pour optimiser les rendements des institutions de prévoyance?

La gestion des caisses de pension évolue au sein du cadre règlementaire de l’OPP 2 (Ordonnance sur la prévoyance professionnelle) qui régit les proportions maximales à allouer aux différentes classes d’actifs. Cet univers circonscrit par ce cadre est un prérequis pour le bon fonctionnement de Cortex, qui ne fonctionne pas en système ouvert. Cortex analyse l’intégralité des combinaisons possibles à l’intérieur des marges de fluctuation fixées par les règlements. Nous testons quotidiennement des milliers de combinaisons de portefeuilles possibles. L’allocation optimale sera calculée de jour en jour, avec de possibles changements importants au cours du temps variant de quelques semaines à des années, en raison des changements de régime. Grâce à sa capacité mémorielle et d’apprentissage, au traitement massif des stratégies ainsi que sa vitesse d’exécution, Cortex est capable de répondre à la triple question: existe-t-il un optimum dans les contraintes fixées et, si oui, lequel et pour combien de temps?

Avec ce type de systèmes, les banques et autres professionnels de la finance pourraient devenir des gestionnaires augmentés qui se concentreraient sur les axes de la créativité.
Comment intègre-il des facteurs exogènes comme une pandémie, une hausse des taux ou encore des tensions géopolitiques?

Le système travaille uniquement de manière endogène, en se nourrissant de prix de marché. Comme les caisses de pension excluent généralement des réactions tactiques à court terme sur des effets d’annonce, Cortex ne propose pas ce type de re-balancement inapproprié aux masses d’actifs des caisses de pension.

Pourrait-il s’adapter à d’autres types de gestion et anticiper les rotations sectorielles?

Oui, nous pourrions le faire à la demande d’une banque ou d’un gestionnaire car l’approche de la recherche de l’optimum est universelle. Une à deux banques nous contactent chaque mois pour connaître les capacités du système et ils sont fascinés de constater que les bons résultats de Cortex ne sont pas théoriques mais reposent sur une véritable gestion qui inclut les opérations de bourse et les frais.

Comment mesure-t-il le risque?

Le risque, c’est notamment l’expression de la volatilité à travers la matrice de variance-covariance. Mais personne ne peut affirmer qu’il s’agisse de l’unique mesure du risque. D’ailleurs, les résultats obtenus par Cortex laissent à penser que l’hypothèse d’efficience des marchés telle que l’a formulée initialement Eugène Fama, n’est pas strictement vérifiée. Ils sont davantage en accord avec les idées de Robert Shiller (prix Nobel d’économie avec Eugène Fama en 2013), qui avance qu’il y a à certains moments des exubérances irrationnelles de marché qui peuvent durer une longue période avant de peut-être se retourner*.

Pourrait-on l’utiliser pour gérer des devises?

Oui, Cortex est actuellement testé sur des crypto devises. Tout type de primes de risque, telles que les facteurs (smart Beta), ou encore un portefeuille de matières premières pour des traders, peut être traité. Des établissements s’y intéressent pour identifier les tendances qui se dessinent (pour autant qu’elles existent!).

Quel rendement le système a-t-il réalisé en 2021 durant sa première année complète d’existence?

Il a enregistré une amélioration de 50% avec un résultat moyen de 12%, soit près de 4% de plus que la performance d’investissement de l’indice des caisses de pension publié par l’UBS (8,06%) et de celle de l’indice publié par le Credit Suisse (8,24%). Cela correspond aux résultats obtenus préalablement par Cortex avant son déploiement pour la gestion de fortune, ce qui constitue une perspective d’amélioration substantielle pour les rentes, pour autant que cela se confirme.

Cortex marque-t-il la fin des gestionnaires humains?

Pas du tout. Avec ce type de systèmes, les banques et autres professionnels de la finance pourraient devenir des gestionnaires augmentés qui se concentreraient sur les axes de la créativité. Par exemple, la définition des règles de gestion et la relation clientèle. Le système ne sélectionne pas les titres qui composeront le portefeuille. Il ne remplacera pas non plus le banquier car dans monde de la finance le facteur émotionnel et la confiance tiennent une place importante. Cortex se positionne en qualité de partenaire digital de tout établissement financier tourné vers l’avenir.

* Une vidéo de 60 minutes du CIO de Fundo l'explique (voir https://youtu.be/ElR_tsXnayo)

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