Complaisance sur les actions, stress sur les taux

Salima Barragan

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La décennie écoulée d’assouplissement quantitatif a biaisé la perception du risque, estime Alexandre Ryo d’Ellipsis AM.

Volatilité, montées des taux d’intérêt, élections américaines en 2024: les incertitudes n’incommodent pas les marchés hautement complaisants. Une protection optionnelle contre une correction du SMI a rarement été aussi bon marché, constate Alexandre Ryo, responsable du développement du pôle Overlay & Customised Solutions d’Ellipsis AM. Présente à Genève depuis 2019, la société française s’est spécialisée dans la gestion de couvertures de portefeuilles actions, notamment pour le compte de caisses de pensions suisses. Entretien.

Quels sont les niveaux actuels des primes de risque des actions?

Les primes de risque sur les actions se sont compressées, principalement en Europe, aux États-Unis ainsi qu’en Suisse depuis un mois, après le rebond du marché. Le Price/Earning de l’indice se monte aujourd’hui à 16x, sachant que nous avons navigué dans une plage comprise entre 9x et 18x depuis 2005. Les primes de risque semblent ainsi chères sur une période comprise entre 2005 et aujourd’hui. Mais, en comparaison avec les années 90, les primes ont encore de la marge de compression.

Les marchés sont complaisants malgré l’élévation de la volatilité, la gestion de la hausse des taux et les élections américaines de 2024. Ils anticipent globalement un niveau faible de risque, mais les visions diffèrent selon les régions: davantage de volatilité anticipée sur les États-Unis, mais peu de risque d’une Black Swan ou de stress de liquidité. Grande complaisance en Suisse sur les risques extrêmes et la volatilité. Les anticipations sur l’Europe se situent entre deux.

L’époque TINA peu volatile avec un faible risque de correction est révolue. Cependant, il est difficile d’ignorer les actifs de croissance tels que les actions.
Et que dire du marché des taux et du crédit?

Le marché des taux est en revanche stressé. Il anticipe davantage de risque, notamment à court terme où la prime est devenue plus importante en raison de l’inversion de la courbe des taux. L’indice MOVE, qui mesure la volatilité du marché des taux, est revenu au même niveau de stress que 2008 et n’est pas retombé depuis l’année dernière

La prime de risque crédit a augmenté pour se situer dans une zone médiane. En revanche, sa volatilité est similaire à celle des marchés actions. Les risques anticipés sur les évènements de crédit sont bas, ce qui peut paraitre logique à court terme, mais reste un véritable défi à long terme étant donné que des refinancements sont à prévoir vers 2025-2027.

Suivez-vous également les primes de risques sur les devises?

Oui, car le marché des changes constitue un bon indicateur des flux des transactions entre les zones géographiques. Nous avons observé depuis l’année dernière une forte hausse sur la prime du risque de volatilité du dollar US, compte tenu de la hausse des taux et de la problématique de plafond de la dette. La prime de volatilité sur le billet vert affiche aujourd’hui un niveau 50% plus haut que ce que nous avions en 2021.

Pourquoi les marchés actions anticipent-ils aussi peu de volatilité malgré le contexte actuel?

La décennie écoulée d’assouplissement quantitatif a biaisé la perception du risque par les investisseurs. Plus récemment, la répercussion de l’inflation dans les prix a aussi eu un côté positif sur les marges des sociétés – la greedflation – , ce qui leur a permis d’afficher de bons résultats au premier trimestre et de rassurer les marchés. Pour illustrer cette complaisance, une protection contre une chute de 20% du SMI à horizon 1 an coute 1%. Ce levier de 1x20 est historiquement bas. En moyenne, il se situe à 1x10. L’anticipation du risque est similaire à 2019 où personne n’anticipait le COVID, la guerre en Ukraine ou encore l’inflation. Pourtant, certains signaux alarmants laissent à penser que la volatilité va s’élever davantage et perdurer pendant les prochains mois.

Quelles sont les stratégies sollicitées par les caisses de pension suisses afin de maintenir leur exposition aux actions et se protéger contre les risques?

L’époque TINA peu volatile avec un faible risque de correction est révolue. Cependant, il est difficile d’ignorer les actifs de croissance tels que les actions. L’immobilier et le private equity font aussi parti de cette famille, mais les investisseurs institutionnels sont en train de réduire leur exposition sur ces deux classes. Bien qu’elles se soient bien comportées ces dernières années, leurs primes de risques ont stagné.

Afin de se couvrir contre les risques extrêmes ou la hausse de la volatilité, les investisseurs institutionnels intègrent l’utilisation de stratégies d’overlay dans leurs allocations. Il s’agit d’une solution de couverture à travers les options de vente, gérée activement en termes de duration et de niveaux de couverture, qui leur permette d’ajouter de la convexité à un portefeuille composé d’actions. Cette stratégie vise, soit à obtenir un portefeuille action moins risqué sans impacter la performance, soit à augmenter l’exposition action sans augmenter le risque global du portefeuille. Rappelons que de tout évidence cette stratégie spécifique d'exposition aux actions n'offre pas de garantie contre la perte en capital.

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