Ces stratégies alternatives qui maintiennent le cap

Salima Barragan

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Selon Jean-Pascal Porcherot de LOIM, les petites structures s’adaptent plus rapidement aux retournements de marchés.

Poids de la gestion passive, manque de liquidité, positions similaires (crowding); des vents contraires affectent les stratégies traditionnelles des hedge funds. C’est sur la base de ce constat que Jean-Pascal Porcherot, responsable des fonds alternatifs internes chez Lombard Odier IM, a fait évoluer la division 1798 créée en 2007. Dans la configuration de marché actuelle, il privilégie les stratégies de niche et de convexité qui se sont distinguées par leur bonne tenue depuis le début de la crise. Entretien.

Comment l’essor phénoménal de la gestion passive a-t-il affecté vos activités?

La gestion passive a connu un essor exceptionnel ces dix dernières années avec la croissance des ETFs, des fonds systématiques et des investissements des banques centrales. Par exemple, Bank Of Japan est le plus grand acheteur d’ETF d’actions japonaises. Par conséquent, les flux systématiques représentent une majeure partie des transactions sur les marchés et ne sont pas forcément représentatifs de la performance économique des entreprises. Les gérants actifs doivent désormais tenir compte de ces flux comme sources de risques, mais aussi d’opportunités.

Concrètement, quel a été l’impact de ces flux systématiques en mars?

Hormis l’impact des annonces des banques centrales en réponse à la crise du COVID-19, je souhaiterais partager trois observations. Tout d’abord, les stratégies CTA, dont les actifs représentent environ 300 milliards, soit 10% des actifs de l’industrie des hedge funds, ont commencé à vendre à découvert (shorter) les marchés actions fin février, début mars, contribuant ainsi à accentuer la baisse, compte tenu de la liquidité existante. Deuxièmement, certains ETFs notamment dans le crédit ont dû vendre une partie de leurs actifs compte tenu du manque de liquidité secondaire. Ce manque de liquidité s’est également traduit par des décotes d’ETFs par rapport à leurs sous-jacents. Troisièmement, en fin de trimestre, une réallocation importante des fonds de pension a généré des flux d’achats importants vers les actions. Ces trois phénomènes, qui n’ont pas d’origine fondamentale, ont contribué à accentuer une volatilité très forte en mars.

Avec la disparition des prop desks et la croissance de la gestion passive,
la liquidité se tarit sur les marchés de crédit ou d’actions.
Le manque de liquidité n’est-il pas un phénomène plus ancien?

Oui. Depuis quelques années, avec la disparition des prop desks et la croissance de la gestion passive, la liquidité se tarit sur les marchés de crédit ou d’actions. Ce manque de liquidité combiné au crowding (ndlr convergences de positions) où l’industrie gère plus de 3 trilliards de dollars avec des fonds mastodontes positionnés sur les mêmes titres, sont propices à déclencher de potentielles dislocations lorsque les marches deviennent difficiles.

Comment évitez-vous le biais comportemental qui consiste à suivre les mouvements de masse?

Nous engageons des gérants expérimentés qui ont déjà vécu plusieurs crises, et non des analystes. Notre équipe de risk management indépendante aide les équipes de gestion à bien identifier les risques sous-jacents (facteurs, liquidité, crowding, etc) et s’assurent que le niveau de risque dans les portefeuilles est lié à leur conviction. 1798 est constituée de 9 équipes dont les expertises de gestion se chevauchent peu, de façon à optimiser les collaborations entre elles. Ainsi, dans des marchés difficiles, les gérants se parlent facilement et échangent des vues sur les classes d’actifs qu’ils suivent, par exemple crédit versus actions.

Certaines stratégies permettent-elles de surmonter les obstacles énumérés?

Oui, les stratégies de niche, mais également celles qui intègrent la convexité le permettent. Sur ce deuxième volet, nos gérants ont pour objectif de créer de la convexité dans leurs portefeuilles sans souffrir d’un coût de portage prohibitif. En d’autres termes, ils cherchent à construire des options d’achat ou de vente en payant un minimum de prime. Sur le crédit, nous avons des stratégies de décompression où nous profitons de l’écartement des spreads en vendant à découvert l’instrument le moins liquide/plus risqué pour acheter le plus liquide/moins risqué. Ainsi, lorsque les marchés se disloquent, nous nous retrouvons avec des positions attrayantes. Sur la période de mars, notre fonds principal était en hausse de 10% en absolu.

Le choc lié à la pandémie en mars a été plus violent qu’attendu
et la reprise économique pourrait nécessiter un certain temps.
Malgré votre structure institutionnelle, vos fonds alternatifs dépassent rarement 500 millions d’encours. Pour quelle raison?

Beaucoup de nos fonds ont en effet un montant d’encours maximal limité car les stratégies sont positionnées sur des niches. D’autre part, un fonds de 500 millions a plus de flexibilité qu’un fonds de dix milliards. Les fonds de petite taille peuvent ajuster leur exposition très rapidement tandis que les mastodontes sont bloqués avec des positions trop importantes. Cette adaptabilité permet de mieux se concentrer sur la liquidité et réduire les risques en un temps record alors qu’un gros gérant aura besoin de plusieurs jours pour réduire son exposition.

Comment avez-vous géré la crise du coronavirus?

Les primes de risques traditionnelles devenaient de plus en plus chères, ce qui n’était plus tenable à terme. Personne ne s’attendait à la crise du coronavirus mais face aux disruptions en Chine, notre stratégie flagship était au maximum de sa protection* et nos stratégies de crédit et de volatilité étaient bien préparées à une dislocation de marché.

Comment voyez-vous l’environnement de l’après-crise se dessiner?

Le choc lié à la pandémie en mars a été plus violent qu’attendu et la reprise économique pourrait nécessiter un certain temps, ce qui impacterait les marchés actions. A moyen et long terme, nous pourrions connaître des bouleversements conséquents en termes de protectionnisme, d’imposition et de justice sociale. Force est de constater que la crise n’est pas encore finie et que nous restons dans un environnement aux nombreux défis.

*Disclaimer: La préservation du capital / la protection du capital représente un objectif de construction de portefeuille et ne peut être garanti