Batteries: facteur de différenciation clé dans l’électromobilité

Yves Hulmann

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Pour George Saffaye, stratège chez BNY Mellon IM, il faut s’attendre à des améliorations importantes des performances des batteries ces prochaines années.

Le marché des véhicules électriques fait l’objet de toutes les convoitises. Pas une semaine ou presque ne se passe sans qu’un constructeur automobile n’annonce l’arrivée sur le marché d’un nouveau modèle de véhicule hybride ou électrique. La semaine dernière, le géant de l’automobile Volkswagen a indiqué qu’il allait accélérer ses investissements dans la voiture électrique et connectée, à hauteur de 89 milliards d’euros au cours des cinq prochaines années, soit davantage que ce qu’il avait annoncé auparavant. Pour être concurrentiels sur ce marché, les constructeurs automobiles devront toutefois aussi disposer des batteries adéquates, à la fois en termes de performance ou de coûts. Que faut-il attendre pour ce marché au cours des prochaines années? Le point avec George Saffaye, stratège en investissement chez Mellon, une société qui appartient à BNY Mellon Investment Management, où il est responsable d’un fonds dédié à l’innovation dans le domaine de la mobilité.

Où voyez-vous le plus grand potentiel de croissance au cours des prochaines années – chez les constructeurs de véhicules électriques ou chez les fabricants de batteries?

Ces deux types d’acteurs disposent tous deux d’un grand potentiel de croissance au cours des prochaines années – d’autant plus que le développement des uns ne va pas sans les autres. Les constructeurs de véhicules électriques ont besoin des fabricants de batteries, tout comme l’inverse vaut aussi. Maintenant, il y a aussi une autre distinction qui s’applique entre ces deux catégories d’acteurs: d’un côté, il y a les acteurs traditionnels qui ont un long héritage dans cette branche, à l’exemple de groupes tels que Ford, Daimler, Volkswagen, etc. De l’autre, il y a les nouveaux venus de la branche qui ont développé leurs activités directement autour des véhicules électriques ou d’autres produits et services liés aux nouvelles formes de mobilité. Les acteurs faisant partie de la première catégorie ont souvent beaucoup de choses à régler en lien avec leur activité traditionnelle, tandis que les seconds ont l’avantage de pouvoir se concentrer sur ces seules nouvelles activités. Maintenant, parmi tous les nouveaux acteurs qui sont apparus en lien avec le développement et la production de véhicules électriques, il y aura inévitablement une forme de consolidation.

«Certains projets se développent aussi en Europe dans ce domaine. On peut citer le site développé par l’entreprise suédoise Northvolt en collaboration avec Volkswagen.»

S’agissant des fabricants de batteries, la situation de départ est un peu différente car il y a beaucoup moins d’acteurs dans ce domaine qui requiert de très grandes capacités de production pour être rentable. Les 5 à 6 plus grands producteurs de batteries contrôlent environ 80% de l’ensemble du marché. Ces acteurs sont principalement concentrés dans la région de l’Asie-Pacifique, notamment en Corée du Sud, en Chine et au Japon. A l’inverse, les acteurs européens, même les plus importants, disposent de parts de marché beaucoup moins importantes.

Les fabricants européens ont-ils une chance de trouver leur place aussi dans le domaine des batteries?

Comparé à l’Asie, les capacités de production basées en Europe resteront beaucoup plus modestes. Toujours est-il que certains projets, lorsqu’ils sont développés dans le cadre de vastes collaborations, se développent aussi en Europe dans ce domaine. On peut citer le site développé par l’entreprise suédoise Northvolt en collaboration avec le constructeur automobile allemand Volkswagen qui sont à la tête du premier consortium européen pour la production de cellules de batteries pour le secteur automobile. Northvolt est en train de mettre sur pied une «Gigafactory» qui ambitionne de rivaliser avec celle de Tesla à proximité de Berlin.

«Les batteries sont un domaine où il est nécessaire de pouvoir grandir rapidement lorsque l’on dispose d’une technologie intéressante.»
Dans le secteur des batteries, faut-il forcément «voir les choses en grand» dès le départ ou peut-on aussi réussir en débutant avec des produits de niche spécifiques?

De nos jours, il est devenu assez difficile de trouver des technologies véritablement uniques qui, d’un seul coup, vous permettent d’avoir un important avantage concurrentiel par rapport à d’autres techniques déjà existantes et qui vous permettent ensuite de croître très rapidement. Et à supposer qu’une start-up ou une entreprise réussit à développer une technologie intéressante dans une niche spécifique, il faudra qu’elle soit capable de déployer cette innovation à plus grande échelle. Les batteries sont, à mon avis, un domaine où il est nécessaire de pouvoir grandir rapidement lorsque l’on dispose d’une technologie différenciée ou avancée.

S’agissant de l’organisation de la chaîne de production, certains experts anticipent que des entreprises, initialement spécialisées dans la fabrication de batteries, pourraient un jour vouloir lancer directement leurs propres véhicules électriques sur le marché, damant ainsi le pion aux constructeurs automobiles traditionnels. Qu’en pensez-vous?

C’est un concept intéressant à envisager – et on ne peut pas exclure que quelques fabricants de batteries tentent l’aventure. Néanmoins, dans le domaine de la construction véhicules, vous avez besoin non seulement de sites de production pour l’assemblage des différentes parties des voitures mais surtout aussi d’un réseau de distribution pour commercialiser ensuite ces véhicules. Réunir toutes ces compétences n’est pas si simple! Comme constructeur automobile, vous ne devez pas seulement savoir concevoir et assembler des parties de véhicules mais il faut aussi savoir maîtriser l’expérience finale de l’usager. Tesla est, à sa façon, parvenu à réunir toutes ces compétences. Toutefois, c’est un grand défi pour n’importe quel fabricant de batteries de parvenir à le faire. Si des fabricants de batteries se mettent à fabriquer et commercialiser leurs propres voitures, il est plus vraisemblable que cela se produise dans le domaine de véhicules utilitaires très simples. En revanche, dans les segments plus haut de gamme, les constructeurs automobiles traditionnels conserveront l’avantage, car ils savent maîtriser mieux différents aspects tels que le design, l’infotainement qui comptent beaucoup aussi pour la clientèle, à quoi s’ajoute bien sûr aussi le service après-vente.

«Dans le haut de gamme, les constructeurs automobiles traditionnels conserveront l’avantage.»
Dans le domaine des batteries, faut-il compter avec des améliorations graduelles et successives ou peut-on s’attendre à des percées soudaines très importantes aussi dans ce domaine-là?

On ne peut bien sûr jamais rien exclure car le propre des innovations importantes est souvent que les gens ne s’y attendent pas. Malgré tout, je pense l’évolution sera incrémentale dans le domaine des batteries. Les améliorations ne porteront nécessairement seulement sur la performance des batteries – elles peuvent aussi concerner la réduction des coûts et une consommation moins importante de certaines matières premières, surtout lorsque celles-ci sont rares et chères. Par exemple, il y a des projets de batteries qui nécessiteront beaucoup moins de cobalt. Je pense toutefois qu’il s’agira d’améliorations graduelles et sur la durée – le marché aura le temps de voir ces innovations arriver. Par exemple, Tesla a présenté cet automne un nouveau type de batteries appelées 4680, fabriquées par Panasonic, qui pourrait avoir une capacité de stockage au moins 5 fois plus élevée que les batteries existantes, une autonomie supérieure de 16%, tout en étant nettement moins chères à produire. Une fois que ce type d’innovations ont été testées et adoptées par un constructeur, l’ensemble du secteur en profite, ce qui renforcera l’attrait des véhicules électriques.

Vous avez parlé des terres rares. Qu’est-il possible pour réduire la dépendance des constructeurs européens envers ce type de matériaux que l’on ne trouve généralement pas sur le Vieux Continent?

C’est un enjeu particulièrement important pour les acteurs européens du secteur mais aussi pour ceux qui sont basés en Asie et aux Etats-Unis. Si l’on considère l’exemple du cobalt, la grande majorité de ce minerai est extrait au Congo, un pays où cette activité engendre de nombreux problèmes, il suffit de penser à la question du travail des enfants. Plus il sera possible pour le secteur de réduire le pourcentage de cobalt utilisé dans les batteries, mieux ce sera, car cela permettra aussi de réduire les risques de trop forte dépendance envers un seul minerai et envers certains pays.

Avez-vous intégré des fabricants de batteries dans le portefeuille de titres présents dans les fonds que vous gérez en lien avec la thématique de la mobilité?

Oui, nous avons par exemple une société coréenne spécialisée dans la fabrication de batteries qui est une position importante pour diversifier notre portefeuille. Hormis la profitabilité à court terme affichée par telle ou telle société, je pense qu’il est avant tout essentiel de sélectionner les fabricants de batteries qui réunissent les meilleurs atouts sur le plan technologique pour pouvoir être les partenaires privilégiés des grands constructeurs automobiles. En 2022 et au cours des prochaines années, il sera à mon avis extrêmement intéressant d’observer comment le paysage constitué à la fois des fabricants de batteries et des constructeurs automobiles va évoluer.

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