Au-delà des FAANG

Yves Hulmann

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William de Gale de BlueBox préfère investir dans les sociétés technologiques actives dans le hardware plutôt que dans les «big tech».

Lorsque l’on parle de valeurs technologiques, ce sont usuellement les noms des géants de la tech californienne qui viennent d’abord à l’esprit, qu’on les appelle GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) ou FAANG (Facebook, Amazon, Apple, Netflix, Google). Les géants du web ne sont toutefois pas la tasse de thé de William de Gale, gérant d’un fonds spécialisé dans les valeurs technologiques globales chez BlueBox Asset Management. Le Britannique préfère investir dans les sociétés qui fournissent les technologies indispensables au fonctionnement des géants de la tech – par exemple, des fabricants de hardware, de semi-conducteurs, des éditeurs de logiciels ou des équipementiers en télécommunications. Il explique les raisons de son choix.

Vous misez de préférence sur des entreprises technologiques de taille moyenne plutôt que sur les géants de la tech. Pourquoi?

Chez BlueBox Asset Management, nous tendons à éviter la plupart des très grandes entreprises de la tech. Etant donné que celles-ci sont les gagnantes du dernier cycle de disruption, elles vont être collectivement les perdantes du prochain. Dès lors, j’évite actuellement les actions des FAANG (Facebook, Amazon, Apple, Netflix, Google), à la fois en raison des niveaux d’évaluation affichés par ces titres mais aussi à cause des différents enjeux politiques qui entourent de plus en plus ces sociétés. Typiquement, je préfère me concentrer sur des entreprises affichant une capitalisation comprise entre 1 et 100 milliards de dollars, pas au-delà. A mon avis, la tranche située dans le milieu est le meilleur endroit où il faut investir en matière de technologies.

On a franchi une étape supplémentaire: l’ordinateur peut toujours
davantage interagir directement avec le monde réel.
Quels thèmes d’investissement vous paraissent particulièrement intéressants actuellement?

La tendance de fond la plus importante actuellement est que les ordinateurs sont désormais toujours davantage connectés avec le monde réel. Auparavant, un être humain jouait le rôle de l’appareil entrant et sortant pour l’ordinateur: il fallait entrer les données via un clavier, puis les lire à partir de l’écran avant de pouvoir interagir avec le monde réel. Le système n’avait lui-même pas de connexion avec le monde réel – il dépendait des humains qui le nourrissaient de données et qui réagissaient en fonction des données sortantes obtenues.

Et qu’est-ce qui a changé maintenant?

Désormais, on a franchi une étape supplémentaire: l’ordinateur peut toujours davantage interagir directement avec le monde réel. Les capteurs et l’Internet des objets (ndlr : Internet of Things ou IoT en anglais) fournissent au système une vision directe d’un aspect du monde. L’automation et les véhicules autonomes sont des exemples de systèmes capables d’avoir une action directe sur le monde, sans nécessiter d’intervention humaine. Si vous sortez les humains du circuit, les processus fonctionnent des millions de fois plus vite. Cela ouvre par exemple des possibilités entièrement nouvelles pour les fabricants d’équipements utilisés pour l’Internet des objets (IoT), parce que les humains ralentissaient trop fortement le système auparavant. C’est pourquoi, je me concentre sur les entreprises qui fournissent cette connexion directe entre les ordinateurs et le monde réel, et qui rendent ainsi toutes ces nouvelles applications possibles – plutôt que sur les sociétés plus visibles qui créent ces applications. Beaucoup de ces dernières apparaissent très excitantes mais elles n’ont pas de modèle d’affaires viable sur le long terme.

En d’autres termes, vous misez plutôt sur les «enablers», les sociétés qui rendent possibles certains développements technologiques, plutôt que celles qui utilisent cette technologie, les «users»?

Schématiquement, on peut résumer les choses comme cela. Prenez l’exemple des «fintech», les leaders dans ce domaine – ou du moins ceux qui sont présentés comme tels – changent continuellement au fil des années. En revanche, les entreprises qui rendent ces développements possibles – les sociétés actives dans les semi-conducteurs, le «cloud computing», etc. – restent très souvent les mêmes sur la durée. C’est pourquoi, je n’investis ni dans Uber, ni dans Snapchat. Je préfère investir dans les sociétés technologiques moins spectaculaires mais qui sont à la base de leur développement. Vous pouvez bien sûr essayer de deviner qui sera la prochaine «licorne» ou «big tech» – toutefois, vous avez non seulement beaucoup de chances de vous tromper mais, en plus, ces entreprises réinvestissent souvent tout l’argent qu’elles ont gagné pour préserver leur avantage compétitif. Il est très difficile pour les sociétés de la «tech disruptive» de créer durablement de la valeur pour les investisseurs. Très peu d’entre elles y parviennent.

Les cycles dans le domaine des semi-conducteurs évoluent très rapidement.
Il faut environ six semaines pour mettre des semi-conducteurs sur le marché.
Parmi les dix positions principales de votre fonds, on trouve des fournisseurs typiques de technologies, comme Lam Research ou Taiwan Semiconductor, mais aussi un éditeur de logiciels comme Adobe. Pourquoi avoir retenu ces sociétés?

Concernant la dernière mentionnée, il est aujourd’hui devenu un réel défi de créer des contenus sur Internet sans recourir à Adobe. Cela ouvre de nombreuses nouvelles possibilités pour cette société. Quant à Lam Research, il s’agit d’une société qui développe des équipements clés pour l’industrie des semi-conducteurs et qui compte parmi ses clients les principaux leaders du secteur, y compris Micron, Taiwan Semiconductor ou Samsung par exemple. La propriété intellectuelle de l’industrie des semi-conducteurs est de plus en plus détenue par des entreprises qui fabriquent des équipements, comme Lam, plutôt que par les fabricants de semi-conducteurs eux-mêmes – en conséquence, cela a accru les rendements du secteur des équipements. Désormais, Taiwan Semiconductor semble clairement être le gagnant de la production externalisée de semi-conducteurs et ce groupe a dépassé Intel en termes de leadership technologique. Même la plus petite des entreprises actives dans le design de puces a maintenant accès à la capacité de leader mondial de la fabrication de puces.

Avez-vous augmenté ou réduit certaines catégories de titres dans votre fonds ces derniers mois?

Depuis novembre dernier, nous étions assez fortement exposés dans les semi-conducteurs, nous avons réduit cette exposition fin avril. Les cycles dans le domaine des semi-conducteurs évoluent parfois très rapidement. Il faut environ six semaines pour mettre des semi-conducteurs sur le marché. Il n’est pas toujours facile pour ces fabricants de satisfaire à la demande des entreprises finales – dès lors, quand il y a une phase d’insuffisance de l’offre, tout le monde se met ensuite à en produire, ce qui finit par entraîner des excédents. On observe ainsi de très forts mouvements de balanciers dans ce domaine.

Avez-vous aussi accru certaines positions?

A l’inverse, nous avons plutôt revu à la hausse notre exposition dans des éditeurs de logiciels comme Microsoft. Les logiciels de ce groupe restent indispensables au fonctionnement de nombreuses entreprises et il est moins exposé à la querelle commerciale entre la Chine et les Etats-Unis que beaucoup d’autres sociétés technologiques. Le fait de louer les logiciels sous la forme de services est aussi un atout pour le groupe car cela rend les revenus de Microsoft plus prévisibles. Un autre aspect encore plus important est que le groupe figure parmi les deux fournisseurs leaders de services dans l’informatique en nuage («cloud computing») et qu’il est probablement politiquement moins exposé qu’Amazon.