Echange international de renseignements fiscaux: mieux vaut agir tard que jamais

Michel Abt, FBT Avocats

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Bien que les contribuables mis en cause résident souvent à l’étranger, le droit suisse leur confère la possibilité de participer aux procédures en Suisse.

Les droits de participation aux procédures suisses d’assistance fiscale internationale demeurent toutefois souvent lettre morte, faute pour les contribuables étrangers d’être avisés à temps des prérogatives dont ils jouissent. Cela étant, un droit capital apparaît potentiellement imprescriptible: celui de connaître quels renseignements ont été transmis à l’étranger.

Droit de participation active à la procédure: un mirage dans bien des cas

Lorsqu’une autorité fiscale étrangère enquête sur l’un de ses ressortissants et requiert à cet effet le concours actif de la Suisse, en vue par exemple de se faire remettre des extraits des comptes bancaires de l’intéressé, l’Administration fédérale des contributions (AFC) est alors légalement tenue de notifier à ce contribuable les droits de partie dont il jouit dans le cadre de la procédure suisse.

Le contribuable étranger doit tout d’abord se voir notifier l’existence de la procédure et sa faculté d’y participer.

A cet effet, la Loi fédérale sur l’assistance administrative internationale en matière fiscale (LAAF) prévoit, selon un ordre de priorité défini par la loi, pas moins de cinq modalités de notification, lesquelles doivent permettre – dans la mesure du possible – d’atteindre effectivement le destinataire résidant à l’étranger.

En pratique, il n’est toutefois pas rare, pour ne pas dire habituel, que faute de parvenir à notifier directement leurs droits aux parties étrangères, l’AFC s’en remette subsidiairement à une notification par voie de publication dans la Feuille fédérale, canal de communication officiel de la Confédération suisse.

En l’état actuel de la jurisprudence, l’accès au dossier post-procédure est conditionné à la vraisemblance d’un intérêt digne de protection (alors qu’il est inconditionnel en cours de procédure).

La communication prend alors une forme laconique du type suivant:

«Communication de l’Administration fédérale des contributions (AFC) – Assistance administrative

  1. 1. Afin de lui permettre de faire valoir son droit d’être entendu, l’AFC invite Madame «Exemple», née le 1er janvier 1920, à désigner, dans un délai de 10 jours dès publication, un représentant en Suisse autorisé à recevoir des notifications, respectivement à transmettre à l’AFC une adresse actuelle en Suisse.
  2. Le nom et l’adresse du représentant, respectivement l’adresse actuelle en Suisse de la personne habilitée à recourir, doivent être communiqués à l’AFC par e-mail, à [email protected], ou à l’adresse suivante:
    Administration fédérale des contributions, Eigerstrasse 65, CH-3003 Berne»

Si les personnes désignées ne se manifestent pas, la procédure se poursuit sans elles. A l’issue de la phase de récolte et d’examen des renseignements, la LAAF impose à l’AFC de procéder à une nouvelle tentative de notification, concernant cette fois-ci la décision finale statuant sur la portée de l’assistance accordée.

En l’absence de réaction, la décision finale autorisant l’assistance sollicitée par l’Etat requérant devient exécutable à l’issue du délai de recours de 30 jours.

Dans nombre de cas de figure, les renseignements parviennent ainsi à l’autorité fiscale étrangère sans que les contribuables visés aient été concrètement à même de faire usage de leurs «droits suisses de défense».

Faute d’avoir été menée, et donc gagnée en Suisse, la bataille a ensuite toutes les chances de se relocaliser dans l’Etat requérant, sous forme d’un contrôle fiscal, prélude à un rappel d’impôt et à des sanctions (amendes, voire peines de prison).

Droit d’accéder a posteriori aux renseignements communiqués à l’étranger: une faculté sous-exploitée

Une fois nantie des renseignements sollicités via les voies de la coopération interétatique, l’administration fiscale étrangère se retrouve en position de force: elle possède des informations financières sensibles obtenues en Suisse et compte bien s’en servir pour faire pression sur le contribuable.

Il existe éventuellement une solution pour remédier à cette inégalité des armes: celle de requérir et d’obtenir, postérieurement à la clôture de la procédure suisse d’assistance fiscale internationale, un droit de regard sur les renseignements qui ont été communiqués.

Si ce droit d’accès «rétroactif» au dossier est très vraisemblablement inexploité à ce jour, ses assises juridiques apparaissent néanmoins relativement sûres et solides.

Depuis un arrêt de 1969, le Tribunal fédéral reconnaît en effet aux parties à une procédure un droit d’accéder au dossier postérieurement à sa clôture.

Réservé dans un premier temps à des cas exceptionnels, ce droit s’est peu à peu libéralisé.

En l’état actuel de la jurisprudence, l’accès au dossier post-procédure est conditionné à la vraisemblance d’un intérêt digne de protection (alors qu’il est inconditionnel en cours de procédure). Les exigences jurisprudentielles relatives à la densité de cet intérêt sont toutefois désormais minimales; le simple fait de vouloir accéder à un dossier en vue d’explorer la pertinence d’une demande de reconsidération a été jugé suffisant.

Le droit de consulter un dossier archivé peut cependant être supprimé ou limité si l'intérêt public ou un intérêt prépondérant l'exige. Sous cet angle, une pesée des intérêts doit ainsi intervenir et peut, théoriquement, faire échec à une demande d’accès rétrospectif au dossier.

On l’aura donc compris, les nombreux contribuables étrangers qui auraient manqué de participer à la procédure d’assistance fiscale internationale ouverte en Suisse à leur encontre ont irrémédiablement perdu la faculté de faire échec à la demande d’entraide fiscale les visant.

Cependant, le droit interne suisse permet vraisemblablement de fonder en leur faveur un droit extra procédural d’accès au dossier qui, bien loin de constituer un «gadget judiciaire», représente une arme fondamentale dans la perspective de la défense fiscale (voire pénale) dans l’Etat requérant.

Sans cela en effet, les contribuables sont doublement perdants: d’une part, ils ont été privés de la possibilité de s’opposer en Suisse à la coopération interétatique dont ils font l’objet et, d’autre part, ils se retrouvent, dans l’Etat requérant, sous la menace de rappels d’impôt, de lourdes amendes, voire – dans les cas graves –  exposés à des peines privatives de liberté, tout en ignorant la nature et la portée des données obtenues en Suisse que l’on ne manquera pas d’exploiter à leur encontre.

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