«Monnaie Pleine», une initiative dangereuse et pernicieuse

Olivier Rigot, EMC Gestion de Fortune

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L’objectif caché des initiants consiste à implémenter un système qui a finalement pour objectif d’étatiser les mécanismes du crédit.

L’acceptation par le peuple et les cantons le 10 juin prochain de l’initiative dite «monnaie pleine» plongerait l’économie suisse dans une expérience monétaire qu’aucun pays au monde n’a jamais expérimentée. La théorie de la monnaie pleine n’est pas nouvelle et avait déjà été évoquée lors de la crise économique des années trente aux Etats-Unis. L’objectif, louable a priori, consisterait à protéger les déposants de la perte de leur argent lors de la faillite de la banque auprès de laquelle ils auraient déposé leurs fonds. L’idée serait d’obliger les banques à virer les avoirs à vue de leurs clients auprès de la Banque Nationale Suisse (BNS) qui, en échange, se substituerait aux clients de la banque, en mettant à disposition les fonds équivalents.

Pourquoi le mécanisme de protection ne concernerait-il
que les avoirs à vue et pas les avoirs à terme et surtout les carnets d’épargne.

La première question que l’on peut se poser est de savoir pour quelle raison le mécanisme de protection ainsi mis en place ne concernerait que les avoirs à vue et n’engloberait pas les avoirs à terme et surtout les carnets d’épargne. L’objectif caché des initiants consiste à implémenter un système qui a pour objectif de limiter, de contrôler et finalement d’étatiser les mécanismes du crédit. Les défenseurs du projet s’insurgent contre le fait que les banques puissent créer de la monnaie scripturale en accordant des crédits à leurs clients, un mécanisme qui existe depuis longtemps, qui a fait ses preuves et surtout qui est encadré et régulé par la loi et surveillé par les instances étatiques, en l’occurrence la Finma en Suisse. Cette dernière, par exemple, a le pouvoir d’octroyer ou de retirer des licences bancaires. Notre banque centrale a les outils de politique monétaire en mains pour agir sur l’offre et la demande globale de crédits en Suisse. En fonction de la conjoncture, elle les actionne en agissant sur les taux d’intérêt directeurs, les taux de réserves obligatoires que les banques doivent détenir en permanence auprès de cette dernière, en prenant «en pension» des titres ou en intervenant sur le marché des changes. Les initiants affirment qu’en acceptant l’initiative monnaie pleine, rien ne changerait ou si peu. C’est faux, le diable se cache dans les détails du texte soumis au peuple. Les banques pourraient effectivement continuer à faire du crédit pour autant que celui-ci soit entièrement garanti par les dépôts correspondants de la clientèle. Cette contrainte empêcherait les banques de créer de la monnaie dite scripturale, le diable personnifié pour les fervents défenseurs de l’initiative qui considèrent que celle-ci n’est pas de la monnaie et n’a pas de valeur légale (sic…).

Le lecteur comprendra aisément que l’accès au crédit va devenir beaucoup plus difficile et, premier effet, si le crédit se raréfie, il va devenir cher et donc son prix, à savoir les taux d’intérêt, va monter. La conséquence immédiate sur le marché des changes sera une appréciation très forte de notre monnaie. La Suisse connaît bien, depuis de nombreuses années, les désagréments d’une devise qui s’apprécie fortement: une perte de compétitivité de l’industrie d’exportation, une chute du tourisme et finalement, une explosion du chômage. La capacité des banques à accorder des crédits sera vite épuisée par manque de dépôts, elles devront alors se tourner vers la BNS pour quémander, par exemple, un crédit pour financer l’hypothèque de cinq cent mille francs suisses de M. Dupont, qui désire acquérir son logement.

«Si le financement du marché immobilier ne pouvait plus être correctement assuré,
ce serait un pilier de l’économie, le bâtiment, qui sombrerait rapidement.»

Si le financement du marché immobilier ne pouvait plus être correctement assuré, ce serait un autre pilier de l’économie suisse, le bâtiment, qui sombrerait très rapidement.

Le fonctionnement au quotidien de la «monnaie pleine» serait un processus lourd, fastidieux sur le plan administratif et si la BNS devait épuiser sa propre capacité de crédit en fonction de l’accroissement de l’offre monétaire globale qu’elle s’est fixée en début d’année, le crédit serait refusé à M. Dupont. On entrerait de plain-pied dans une économie planifiée, pire que celle que le communisme a engendrée et la Suisse deviendrait le Vénézuela de l’Europe.

Les initiants ont tellement peu confiance dans l’implémentation démocratique de leur projet qu’ils ont prévu à l’article 99 point 1 de l’initiative la possibilité pour la Confédération de déroger à l’un des fondements de notre ordre juridique: la liberté économique.

Le pire reste à venir, l’article 99a alinéa 3 prévoit que la création monétaire ne passerait plus par les circuits bancaires classiques mais serait directement mise à disposition de la Confédération, des cantons et même des citoyens: «Dans le cadre de son mandat légal, la BNS met en circulation, sans dette, l’argent nouvellement émis, et cela par le biais de la Confédération ou des cantons ou en l’attribuant directement aux citoyens. Elle peut octroyer aux banques des prêts limités dans le temps». Financer la politique budgétaire par de la création monétaire ex-nihilo, il fallait y penser. Cela s’appelle faire fonctionner la planche à billets et rappelle le triste souvenir de la République de Weimar et ses brouettes de billets qui ont conduit à l’avènement du fascisme en Allemagne. Hormis le fait que les initiants méconnaissent les mécanismes d’une politique monétaire moderne, oublient sciemment que la Suisse est un pays ouvert à l’international et notre devise traitée sur toutes les places financières mondiales, la BNS perdrait toute indépendance et se trouverait sous la coupe réglée du pouvoir politique. Il est rare qu’une initiative fédérale fasse autant l’unanimité contre elle, tous les partis politiques réunis sous la coupole fédérale la rejettent et même les syndicats n’y voient aucun avantage pour leurs adhérents. En conclusion, l’initiative «monnaie pleine» fait la part belle à l’idéologie, au populisme et ne peut même pas être considérée comme une utopie tant elle est fantaisiste, inapplicable et incohérente. Elle ruinerait en peu de temps les fondements de la prospérité suisse et entrainerait notre pays non pas vers une récession économique mais dans une profonde dépression. Elle doit être rejetée sans appel dans les urnes le 10 juin prochain.