Stratégies factorielles appliquées aux actifs émergents

Cyril Gomez

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Le débat animé entre les adeptes de la gestion active et les apôtres de la gestion passive s’étend vers les marchés émergents.

Tout commence avec une petite analyse de quatre pages publiée fin février par la filiale de la banque d’investissement américaine Piper Jaffray, la société de conseils Advisory Research (AR). En s’appuyant sur eVestment (la plateforme d’analyse de données pour l’industrie de la gestion d’actifs), celle-ci vante les mérites des fonds de marchés émergents gérés de façon active par rapport aux produits passifs.

Mais, la semaine dernière, Larry Swedroe, directeur de la recherche de la société de conseils Buckingham Strategic Wealth, ainsi que de l’association américaine des conseillers en investissement indépendants appelée The BAM Alliance, protesta avec véhémence contre la démonstration d’AR. Associant celle-ci à une opération de marketing de la part d’une firme ayant tout intérêt à promouvoir la gestion active.

Le MSCI EM Index ne serait pas le bon outil

Qui a raison? Allnews s’est procuré l’analyse en question. Dans laquelle on observe que sur une base de données de 300 fonds d’actions émergentes gérés activement, les rendements moyens sur 5, 10 et 15 ans dépassent d’assez loin ceux de l’indice MSCI Emerging Markets Index (MSCI EM), lequel sert de benchmark pour la plupart des exchange-traded funds (ETF) des marchés émergents. Les excédents sont respectivement de 1,99, 1,49 et 1,57 point de pourcentage pour chacune des périodes précitées.

Le prétendu alpha généré par les fonds actifs des marchés émergents
ne serait qu’un pur beta ou la simple réplication d’une exposition à facteurs.

L’une des explications fondamentales à ces écarts de performance réside dans le manque d’efficience des marchés émergents. Moins liquide, moins transparent et davantage de frais de transaction. Ainsi, selon Larry Swedroe, pas étonnant que l’iShares MSCI Emerging Markets ETF (EEM), dont les actifs sous gestion (AuM) approchent les 40 milliards de dollars, affiche une qualité de suivi de son benchmark discutable.

De plus, pour ce technicien de l’investissement, la propre base de données d’eVestment induit déjà en erreur. L’expert suggère que le prétendu alpha généré par les fonds actifs des marchés émergents ne serait qu’un pur beta ou la simple réplication d’une exposition à facteurs. Tels que les primes de risque des actions value et des petites capitalisations. Sans parler du fait que d’autres bases de données seraient plus objectives pour juger des performances entre les gérants actifs et les produits passifs.

Chacun met en avant ses propre données

La fiche de performance semi-annuelle des fonds actifs et passifs publiée par S&P Dow Jones Indices (SPIVA Scorecard) montre en effet que 78% des gérants actifs des marchés émergents sous-performent leur benchmark sur 5 ans. Qu’il en va de même pour 85% d’entre eux sur une période de 10 ans et 95% sur une période de 15 ans. Soulignons toutefois que S&P Dow Jones Indices utilise ses propres indices, tandis que les données d’eVestment reposent sur ceux du MSCI en l’occurrence.

Larry Swedroe dit recommander aux investisseurs deux produits passifs factoriels offrant une exposition aux marchés émergents, émis par Dimensional Fund Advisors (DFA). Les fonds DFA Emerging Markets Value Portfolio ETF (DFEVX) et DFA Emerging Markets Small Cap Portfolio ETF (DEMSX). Depuis leur lancement en mai 1998, ces deux fonds enregistrent des rendements de 11,2% et 11,8% à fin février 2018. Contre 8,1% pour le MSCI EM Index.

Les 84% des managers actifs sous-performant leur benchmark ne sont plus que 68%
dès que l’on omet d’inclure les coûts dans le calcul des performances.

Pourtant, MSCI offre déjà des indices factoriels sur les marchés émergents. Mais, jusqu’ici, en effet, les solutions factorielles conçues en interne par DFA font mieux. À fin mai 2018, l’iShares MSCI Emerging Market Small Cap (EEMS) lancé en août 2011, par exemple, enregistre une performance cumulée de 26% contre un peu plus de 32% pour le DFA Emerging Markets Small Cap Portfolio ETF (hors frais de gestion). Le seul ETF existant offrant un biais value sur les marchés émergents, l’iShares MSCI Emerging Markets Value (EVAL), a été liquidé en août 2015, trois ans après sa création, par manque d’intérêt de la part des investisseurs.

Gestion active toujours pénalisée par les coûts

La seconde observation est que les propres auteurs de la fiche de performance SPIVA expliquent, dans le cas de l’Europe, que les 84% des managers actifs sous-performant leur benchmark ne sont plus que 68% dès que l’on omet d’inclure les coûts dans le calcul des performances. Ce qui relativise quelque peu la critique de Larry Swedroe à l’encontre d’AR. Enfin, les tenants de la gestion passive doivent également se souvenir que les dix dernières années ont été tout sauf normales. Les politiques monétaires ultra accommodantes ont eu pour principal effet de favoriser faire mécaniquement monter les cours de l’ensemble des titres, y compris ceux de mauvaise qualité.

Toutefois, il est également aisé de concevoir le besoin que ressentent les asset managers de justifier leur existence vis-à-vis de clients de plus en plus tentés par les ETF (dont les AuM s’élèvent désormais à plus de 5000 milliards de dollars). Si la maison-mère d’AR, Piper Jaffray, a publié le quatrième chiffre d’affaires consécutif record et un bénéfice net en hausse de 19%, le total de ses AuM a chuté de 1,4 milliard de dollars l’an dernier à un total de 7,3 milliards. Soit des sorties de fonds des clients de près de 20%, dans un environnement de marché pourtant euphorique où le S&P 500 et le Dow Jones ont tous deux respectivement progressé de plus de 30% et 40%.