Wall Street vs Main Street?

Communiqué, Edmond de Rothschild

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Perspectives et convictions pour le premier semestre 2024 de Benjamin Melman, Global CIO de Edmond de Rothschild Asset Management.

  • Les performances des marchés d’actions ne dépendront pas des profits si les banques centrales font preuve d’une certaine réactivité
  • Sur les marchés obligataires, sauf à considérer que les prévisions d’inflation sont bien trop optimistes, il est difficile de ne pas être positif sur la duration
  • Les stratégies de portage sont vraiment à privilégier, en se tenant à l’écart des notations les plus basses

Dans les événements économiques les plus frappants de 2023, cohabitent deux phénomènes profondément antagonistes : une croissance plus résiliente que prévu (du moins aux Etats-Unis) et une contraction du crédit bancaire en Europe et Outre-Atlantique. Cette conjonction est tout sauf durable : on ne peut financer des croissances en valeur autour de 4%-5% sans un minimum de crédit.

Les enquêtes des banques centrales montrent que si les banques commerciales n’affichent clairement pas de volonté de prêter, de toutes façons la demande de crédit est en retrait avec de tels niveaux de taux. Et cette situation semble pouvoir durer longtemps si rien ne bouge sur le front monétaire. L’économie des pays développés est en plein processus de désendettement. Du fait de l’extraordinaire lévitation de l’économie américaine cette année, on a pu croire que la politique de la Fed n’était pas assez restrictive.

Nous sommes convaincus du contraire: l’économie américaine a tenu grâce à une politique fiscale encore très expansionniste cette année et ceci en dépit de la politique monétaire. L’expérience de ces dernières années en Chine nous rappelle à quel point il ne faut pas sous-estimer les impacts du désendettement: une croissance toujours inférieure aux attentes ou encore un quasi recul des prix domestiques en pleine vague d’inflation mondiale.

UN NÉCESSAIRE RÉAJUSTEMENT DES TAUX D’INTÉRÊT

Si les banques centrales n’organisaient pas ce risque de récession/déflation, il nous est très difficile de trouver ailleurs, au-delà du risque géopolitique, d’autres facteurs de crise économique majeure. Les bilans privés sont sains, les bilans publics sont certes très dégradés mais il est trop tôt pour qu’ils posent des problèmes, les banques sont dans leur immense majorité robustes, les prix de l’immobilier sont en recul contrôlé grâce à une demande sous-jacente forte et une offre trop souvent limitée. Les marges des entreprises sont également globalement très élevées et ont résisté jusqu’ici de façon impressionnante à tous les chocs qui s’exercent sur elles depuis la crise du Covid.

Nous ne sommes donc pas encore dans cette phase du cycle où les entreprises, en agrégé, doivent restructurer. En revanche, il va de soi que sans réajustement des taux d’intérêt, les marges seront sous pression l’an prochain, ce qui fragilisera davantage le cycle.

Ainsi, dans le cadre d’un tassement de la croissance et de l’inflation qui a toutes les raisons de se poursuivre, il y a de la place du côté des banques centrales pour aligner en conséquence leurs taux directeurs à la réduction de l’inflation afin de maintenir peu ou prou les taux réels au même niveau et éventuellement de réduire ces derniers pour accompagner le creux de l’activité car à ce niveau, les taux réels sont très restrictifs.

LES JEUX SONT OUVERTS

Le problème venant pratiquement uniquement des banques centrales, la façon dont elles répondront au contexte en 2024 jouera un rôle déterminant dans les dynamiques des marchés. Seront-elles proactives ou simplement réactives? Les derniers discours des banquiers centraux plaident sans ambiguïté en faveur d’un conservatisme monétaire dans la lutte contre l’inflation. En revanche, il n’est pas anodin que la Fed comme la BCE aient de fait retiré récemment le biais au durcissement qu’elles affichaient en termes de politique monétaire, alors même que les derniers chiffres connus de croissance américaine étaient plus forts que jamais. Préparent-elles une politique un peu différente ? A ce stade, les jeux sont ouverts et toute anticipation sur ce point reste spéculative.

Une baisse de taux proactive conduirait à un relâchement direct de la pression sur la croissance, sur les marges des entreprises et un rehaussement du ratio cours-bénéfice sur les marchés d’actions. Si l’année 2024 sera vraisemblablement fragile concernant la dynamique des bénéfices, les investisseurs reprendront espoir pour la suite. En revanche, si les banques centrales ne font que conserver un niveau très restrictif de taux réels, la performance des marchés d’actions pourrait être en ligne avec des bénéfices médiocres.

Il est intéressant toutefois d’observer à travers le marché des swaps d’inflation que les investisseurs anticipent une inflation américaine à 2,25% en octobre 2024, en baisse de plus de 1,2% par rapport aux niveaux anticipés fin 2023 alors qu’ils prévoient une baisse de taux de la Fed de 75 points de base au titre du même exercice. Autrement dit, les marchés anticipent une remontée des taux réels pratiqués par la banque centrale à pratiquement 2,3% et donc une politique monétaire encore plus restrictive, ce qui nous semble une hypothèse très forte si l’économie américaine se tasse comme nous l’anticipons. Ainsi, si le scénario d’inflation du marché se déroule peu ou prou comme prévu par les investisseurs, toute inflexion de la banque centrale par rapport à cette anticipation déjà bien restrictive de politique monétaire serait en mesure de propulser les marchés obligataires et d’actions.

SE TENIR PRÊT À « SURPONDÉRER » LES ACTIONS

Historiquement, au cours des trente dernières années, les périodes qui ont suivi le pic des hausses de taux et la première baisse de taux se sont sans exception traduites par une baisse marquée des taux longs aux Etats-Unis et ont dans 75% du temps été accompagnés par des performances assez solides sur le SP&500, et d’autant plus fortes que la récession n’a pas embrayé après la baisse de taux, comme en 2019.

Il convient à nos yeux d’être normalement investi sur les marchés actions en dépit des risques pesant sur les bénéfices afin de pouvoir profiter de la réévaluation et de l’amélioration des perspectives bénéficiaires qui résulteraient d’une évolution de la politique monétaire. Et être prêt à passer surpondéré en cas de perception de changement de cap des banques centrales.

En ce qui concerne les marchés obligataires, sauf à considérer que les prévisions d’inflation des investisseurs ou les nôtres sont bien trop optimistes, il est difficile de ne pas être positif sur la duration pour 2024. Schématiquement, si les banques centrales restent restrictives, le désendettement continuera de tirer le tandem croissance/inflation vers le bas et les parties longues de la courbe en profiteront. Si les banques centrales décident d’être proactives, ce sont les parties courtes et intermédiaires qui en bénéficieront le plus. Toutefois, historiquement, ces phases d’inflexion cyclique et de baisse de taux ne sont pas toujours favorables aux spreads de crédit, même si les écartements de spreads que l’on a pu constater sont bien compensés par l’effet baisse de taux. A ce titre, les stratégies de portage sont vraiment à privilégier, en se tenant à l’écart des notations les plus basses.

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