Vieux avant d’être riches?

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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La Chine est-elle condamnée à rester coincée dans le piège des économies à revenu intermédiaire?

Cela va bien au-delà des aléas de la «guerre commerciale», mais celle-ci a servi de révélateur aux fragilités intérieures et extérieures de la Chine, tout comme elle réveille la question lancinante de la poursuite de son développement économique.

Pour cela, j’aimerais prendre le Japon comme point de comparaison. Car en 2019, la Chine comme le pays du Soleil Levant en 1989, n’est-elle pas à l’aube d’une «décennie perdue»? La Chine s’inscrit en effet dans un modèle de développement qui fut celui du Japon, puis des «tigres» d’Asie, de l’après-guerre à nos jours. La Chine aborde un tournant économique dans un contexte conjoncturel et démographique compliqué.

La Chine de Deng Xiaoping a embrassé la modernisation et le rattrapage économique en s’insérant dans le modèle de développement dit «en vol d’oies sauvages», théorisé par l’économiste japonais Akamatsu. En pratique, cela a consisté à miser sur l’industrie lourde, l’organisation centralisée des allocations des ressources, le développement des infrastructures et la montée en gamme progressive des productions. Ce mode de développement a pour contrepartie une forte dépendance aux exportations – alors que la part de la consommation domestique reste en retrait et l’épargne abondante – une grande mainmise de l’Etat, une forte pollution, un modèle de concentration verticale des productions, tandis que les échanges interindustriels restent médiocres et les pratiques concurrentielles contestées. Comme le montre une étude récente du Mckinsey Global Insitute1, le monde est devenu plus dépendant de la Chine, que celle-ci ne l’est du reste du monde.

La Chine, comme avant elle le Japon,
subit l’appréciation de sa devise.

Le Japon et la Chine n’en affichent pas moins des différences criantes. Le premier connait la liberté d’opinion, un état de droit, et vit sous le parapluie nucléaire américain, ayant poursuivi une stratégie de «soft power». La  Chine de son côté, puissance nucléaire autonome, membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU, continue de progresser dans un système dominé par l’Etat (entreprises publiques, collectivisation des terres), ayant une ambition géostratégique globale.

Sur le plan économique et financier, à trente ans de distance, les similitudes entre les deux pays méritent d’être relevées. Sur le plan conjoncturel, la Chine, comme avant elle le Japon, subit l’appréciation de sa devise, une crise de crédit après les excès de la période 2008-2010, une récession immobilière, des problèmes de corruption et de malversations, un système financier très affaibli et criblé de créances non recouvrables. Sur le plan structurel, les efforts de dépollution de l’industrie, la montée en gamme vers des productions plus avancées et à plus forte valeur ajoutée, le poids croissant de la consommation des ménages et une société de service, induisent des transformations souvent douloureuses. Nous avons déjà montré ces derniers mois combien l’économie chinoise se trouve affaiblie, sa production ralentie – ce qui se traduit pas un net repli des importations du pays – et la consommation des ménages en décélération.

Comme son voisin, la croissance de la population
active fléchit à un rythme très rapide.

La Chine, encore plus que la Japon avant elle, a pu compter sur l’abondance d’une main d’œuvre disciplinée et peu chère, et un marché intérieur particulièrement large. Comme son voisin, la croissance de la population active fléchit à un rythme très rapide. Sans toutefois en être au point de perdre des habitants (-1,2% au Japon depuis 2008), la Chine a connu un net ralentissement de la croissance de sa population (+5,3% ces 10 dernières années, contre +70% entre 1960 et 1990 et encore +16% entre 1990 et 2008). L’allongement de l’espérance de vie, le recul de la mortalité, induisent un vieillissement accéléré de la population, qui, pour les générations qui arrivent à la retraite, n’a pas connu de couverture sociale ou vieillesse bien organisée.

De plus, et contrairement au Japon, la croissance du PIB par habitant s’est accompagnée d’un fort creusement des inégalités, et n’a pas permis à ce jour de rejoindre le club des pays à revenu élevé. Le pays traverse désormais une crise de confiance. A la récession manufacturière en partie provoquée par la réorientation et la dépollution forcée de l’économie, s’ajoutent les déboires d’une guerre commerciale mal engagée et d’une pandémie de grippe porcine qui pèse sur le pouvoir d’achat des ménages, tandis que la Banque Centrale manque de marges de manœuvre monétaires face aux défaillances du crédit. La crise de Hong Kong ravive la méfiance de ses voisins, à commencer par Taïwan. La mainmise croissante de l’Etat et le contrôle de la population masquent mal les failles de la contestation sur ses marches. Le Parti craindrait-il désormais de perdre la confiance du peuple dans sa capacité à le conduire vers la prospérité générale?

En 2020, le gouvernement chinois annoncera fièrement et sans surprise que le PIB du pays a été doublé ces dix dernières années. Mais qu’en est-il du bien-être de ses habitants, à commencer par ses séniors?

 

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