Un environnement d’investissement en pleine mutation

Alexandre Tavazzi, Pictet Wealth Management

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Les bouleversements inédits survenus depuis 2020 vont durablement transformer les économies et les marchés.

Avec les mesures de soutien budgétaire et monétaire historiques adoptées au plus fort de la pandémie, le redémarrage de l’activité à la sortie des confinements s’est traduit par une envolée de la demande, qui a déstabilisé les chaînes d’approvisionnement. Puis le retour de l’inflation a contraint les banques centrales à orchestrer la hausse des taux d’intérêt la plus rapide de l’histoire du monde occidental. L’invasion de l’Ukraine a ensuite renversé l’équilibre géopolitique et engendré un réalignement des pays autour de différentes visions du monde, tout en aggravant les difficultés d’approvisionnement.

Avec tous ces événements, le modèle économique et politique de ces dix dernières années est aujourd’hui caduc, et une allocation d’actifs qui n’en tiendrait pas compte produirait à coup sûr des performances suboptimales. Dans ces conditions, les investisseurs n’auront pas d’autre choix que de repenser leurs allocations. Il leur faudra tenir compte de quatre paramètres: le surplus d’épargne des ménages, les déficits budgétaires vertigineux, la taille du bilan des banques centrales et l’intensification des tensions géopolitiques.

L’important volume d’épargne accumulé et la hausse significative des salaires (en pleine pénurie de main-d’œuvre) contribueront à soutenir les dépenses de consommation, bridant par la même occasion les efforts engagés pour normaliser l’inflation. En parallèle, l’état inquiétant des finances publiques devrait inciter les gouvernements à trouver de nouvelles sources de revenus, tandis que les banques centrales réduiront la taille de leur bilan. Enfin, les tensions géopolitiques engendrent peu à peu une polarisation du monde, contraignant les entreprises à refaçonner leurs réseaux d’approvisionnement et de production.

Les nouveaux défis de la résilience de l’industrie, de l’indépendance énergétique et de la sécurité nécessiteront de lourds investissements ces prochaines années.

Dans un contexte de relations internationales houleuses, le contrôle de la production et la sécurité de la chaîne logistique sont devenus prioritaires pour les entreprises, mais aussi pour les Etats ne pouvant plus compter sur leurs anciens alliés. Si l’actualité récente rappelle la guerre froide, qui a opposé les Etats-Unis et l’URSS pendant la seconde moitié du XXe siècle, la situation s’avère aujourd’hui bien plus compliquée, puisque plusieurs blocs économiques et politiques s’affrontent au sein d’un monde désormais multipolaire.

Les nouveaux défis de la résilience de l’industrie, de l’indépendance énergétique et de la sécurité nécessiteront de lourds investissements ces prochaines années. Dans de nombreux pays, les plans stratégiques se multiplient pour convaincre les filières d’industries stratégiques de rapatrier leur production, et la concurrence pour garantir l’accès aux technologies de pointe va s’intensifier. Mais à moins des gains de productivité ne soient générés (avec l’aide probable de la technologie), la reconquête de la souveraineté industrielle dans les économies où le marché du travail est déjà tendu risque d’alimenter les tensions inflationnistes. Les entreprises verront aussi leur rentabilité érodée par la coûteuse refonte de leurs maillages logistiques et industriels, par la réorientation de leurs flux de trésorerie vers de nouveaux investissements et par la recherche d’une main-d’œuvre qui se raréfie. Possiblement au détriment des actionnaires, qui ne bénéficieront plus des opérations de généreux rachats d’actions et des dividendes de ces dernières années.

La remontée des taux d’intérêt freinera également l’investissement en actions et pourrait, dans certains pays, redorer le blason des placements monétaires. La fragmentation accrue de l’échiquier géopolitique est quant à elle susceptible de bousculer l’ordre monétaire ces dix prochaines années, en remettant en question la suprématie du dollar dans les échanges commerciaux internationaux et les réserves de change.

Sur les marchés du crédit, l’accélération de l’inflation et les hausses de taux d’intérêt qui en découlent ont récemment rendu leur attrait aux obligations de qualité, qui devraient occuper une place accrue au sein des portefeuilles, sans pour autant en augmenter le profil de risque. Ce retour en grâce de l’univers obligataire sera bienvenu pour les stratégies classiques 60/40.

Ces tendances se sont accélérées ces dernières années, débouchant sur un environnement très différent. Ces prévisions de rentabilité des classes d’actifs au cours des dix prochaines années doivent aider les investisseurs à revoir leur allocation d’actifs à la lumière de ces évolutions.

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