Se préparer à des taux durablement élevés

James Mazeau, UBS Global Wealth Management

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Les taux ont augmenté pour l’ensemble des échéances un peu partout dans le monde. Les banques centrales ont souligné qu’il était trop tôt pour «crier victoire» dans la lutte contre l’inflation.

A l’issue de leur dernière réunion de politique monétaire, certaines banques centrales (Banque centrale européenne, Banque de Suède et Banque de Norvège) ont relevé leurs taux, tandis que d’autres comme la Réserve fédérale américaine (Fed), la Banque nationale suisse et la Banque d’Angleterre ont opté pour le statu quo.

Toutefois, certaines d’entre elles ont souligné qu’il faudrait en faire plus pour que l’inflation retrouve un niveau conforme à leur objectif, quitte à maintenir des taux directeurs durablement élevés, voire à les augmenter légèrement.

Préférence pour les obligations

Par exemple, les principaux responsables de la Fed tablent désormais sur une baisse des taux directeurs de seulement 50 points de base (pb) l’an prochain, moitié moins que prévu auparavant. Alors que le risque de récession aux Etats-Unis s’est atténué, les marchés ont également revu à la baisse leurs attentes concernant les taux de la Fed : ils anticipent désormais une baisse de seulement 50 pb en 2024, contre 150 pb début août.

La Recherche d’UBS considère depuis longtemps que les participants au marché des actions surestiment l’ampleur des baisses de taux et la croissance économique futures, d’où son avis globalement neutre à l’égard des actions. La Fed, qui a conditionné l’évolution de sa politique à celle des données économiques, n’a aucun intérêt à être taxée de laxisme face à l’inflation.

Néanmoins, la fin imminente du cycle de resserrement monétaire et la perspective d’un ralentissement de la croissance économique si les taux directeurs restent durablement élevés confortent sa préférence pour les obligations, notamment celles de grande qualité. Explications.

  • Que l’atterrissage de l’économie se fasse en douceur ou dans la douleur, l’activité économique mondiale va ralentir l’an prochain

Même si des mesures de soutien à la croissance sont susceptibles d’être prises dans certaines parties du monde, leur ampleur est difficile à mesurer et elles présenteront sans doute un caractère très politique. Elles ne suffiront probablement pas à contrebalancer l’impact négatif sur la croissance de la persistance d’une politique monétaire restrictive.

Les taux réels sont désormais positifs sur l’ensemble de la courbe, une première depuis la crise financière de 2008. Les taux de crédit hypothécaire et sur les cartes de crédit sont également au plus haut depuis des décennies et le durcissement des conditions de crédit se poursuit. En période de ralentissement de la croissance, les obligations de qualité ont tendance à surperformer les actions.

  • La décrue de l’inflation devrait améliorer le rendement réel des obligations malgré le récent rebond des prix de l’énergie

Les trois composantes de l’inflation sont l’inflation des biens, de l’immobilier et des services de base (inflation «super sous-jacente»). Avec la réorientation de la demande des ménages vers les services au détriment des biens et l’atténuation des difficultés d’approvisionnement à l’échelle mondiale, l’inflation des biens telle que mesurée par l’indice PCE (Personal Consumption Expenditures) est ressortie à -0,6% en glissement annuel en juillet.

L’inflation immobilière retombe, une tendance qui s’annonce durable. L’inflation des loyers enregistre une décrue régulière depuis que la Fed a amorcé le resserrement monétaire début 2022. Elle a retrouvé un niveau proche de la moyenne observée avant la pandémie. Le baromètre officiel du coût du logement reflétera cette stabilisation des loyers avec un temps de retard.

L’inflation super sous-jacente devrait également continuer de ralentir. Les marchés de l’emploi aux Etats-Unis enregistrent une timide détente sous l’effet du resserrement monétaire. Cette détente devrait se poursuivre. La Fed est en effet déterminée à ramener l’inflation vers son objectif, ce qui implique le maintien d’une politique monétaire restrictive jusqu’à ce que la normalisation des conditions sur le marché du travail se confirme.

  • Les rendements obligataires restent nettement supérieurs à leur niveau d’équilibre à long terme

Les prévisions de rendement à long terme de la Recherche d’UBS tiennent compte de trois paramètres.

  1. Le taux directeur réel neutre (r*)
    Il s’agit du taux d’intérêt théorique auquel une économie est en équilibre, avec une situation de plein-emploi et une stabilité de l’inflation à hauteur de l’objectif à moyen terme de la banque centrale (2% le plus souvent).
    Il est impossible d’observer le r* dans les données de marché, c’est pourquoi le niveau de ce dernier fait l’objet de vifs débats. On retiendra la prévision de la Fed d’environ 0,5% à titre de meilleure estimation.
     
  2. Les anticipations d’inflation
    Il s’agit des taux d’inflation moyens futurs prévus par le marché. Si les marchés pensent que la Fed atteindra son objectif d’inflation à moyen terme de 2%, il est raisonnable de retenir ce taux comme paramètre. En additionnant ces deux chiffres, on obtient un taux directeur nominal neutre de 2,5%.
    Toutefois, les estimations fondées sur le marché de ce taux directeur nominal neutre sont nettement plus élevées dans la mesure où les prévisions à long terme actuelles pour le taux au jour le jour se situent dans une fourchette de 3,75 à 4%.
     
  3. La prime de terme
    Il s’agit d’une mesure du rendement supplémentaire exigé par un investisseur pour détenir une obligation à échéance lointaine (par exemple, un bon du Trésor américain à dix ans) plutôt que d’acheter successivement des obligations à échéance rapprochée (par exemple, des bons du Trésor à un an) sur la même période.
    La prime de terme est traditionnellement positive car les investisseurs exigent une rémunération plus élevée pour détenir une obligation à échéance plus lointaine. Néanmoins, ces dernières années, la prime de terme est quasiment nulle, voire négative. Cette anomalie est imputable aux programmes d’assouplissement quantitatif des banques centrales, qui visent à réduire le coût de la dette publique à long terme en achetant des obligations à échéance plus lointaine comme les titres du Trésor.

Désormais, les grandes banques centrales sont en train de revenir sur ces programmes qui ont vu le jour en temps de crise en liquidant leurs avoirs en bons du Trésor américain, y compris ceux à plus long terme. La prime de terme pourrait donc augmenter.

Mais il est peu probable que la Fed tolère une augmentation trop rapide (et une flambée des rendements obligataires) si cela devait compromettre le bon fonctionnement ou la stabilité des marchés. Par conséquent, il est sans doute raisonnable de prévoir le niveau des rendements obligataires à long terme en partant toujours du principe que la prime de terme sera nulle.

Privilégier les obligations de qualité

La Recherche d’UBS maintient donc son avis Most Preferred sur les obligations de qualité. Elle privilégie les titres qui arrivent à échéance dans cinq à dix ans et elle est séduite par ceux qui offrent des gages de durabilité du revenu et d’appréciation du capital.

Elle est moins optimiste à l’égard des obligations émergentes et high yield. En effet, le rendement supplémentaire qu’elles procurent est limité au regard du risque accru encouru.

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