Réveillez-vous: la gestion active est de retour

Peter de Coensel, DPAM

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Malgré un environnement pavé de risques extrêmes, il existe de belles opportunités pour les gérants capables d’éviter les perdants.

Début 2022, alors que l’assouplissement quantitatif entrait dans sa 14ème année d’existence, on assistait à l’émergence d’une dynamique d’inflation à sources multiples. Il s’en est suivi un traitement de choc qui a duré 14 mois et a amené les principales banques centrales à ajuster agressivement leurs taux directeurs. Le traitement a éliminé la plupart des vecteurs d’inflation.

Néanmoins, prédire les trajectoires des principaux indicateurs macroéconomiques reste un exercice périlleux: d’une part, les instruments de politique monétaire manquent de précision, d’autre part, l’environnement actuel est propice à la survenance d’évènements porteurs de risques extrêmes.

Des risques extrêmes plus fréquents?

Alimentées par la spirale des taux à long terme, les turbulences du marché des emprunts d’Etat britanniques ont déstabilisé les caisses de pension: leurs politiques de gestion étant déterminées par leurs engagements (liability-driven), elles se sont trouvées proches de l’effondrement.

Aux Etats-Unis, en mars dernier, une première série de banques régionales ont été mises en défaut en raison de déséquilibres entre leurs actifs et leurs passifs (risque de liquidité).  La Fed n’ayant pas exclu la possibilité de nouvelles hausses de taux, la question n’est pas de savoir s’il faut s’attendre à une nouvelle vague de faillites bancaires. La question est de savoir à quel moment cette vague déferlera.

L’exposition des petites banques (bilan inférieur à 100 milliards de dollars) à l’immobilier commercial s’élève à 14,4%. Mais il ne s’agit que d’une moyenne, car si l’on applique les critères de la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC), ce sont environ 700 petites banques qui sont surexposées à l’immobilier commercial.  Or, le montant des crédits immobiliers commerciaux qui doivent être refinancés avant fin 2025 est de l’ordre de 1 500 milliards de dollars. Ce montant représente un mur de refinancement particulièrement impressionnant.

Les taux de défaut pourraient bondir et dépasser 8% pour le haut rendement et 10% pour les prêts avec effet de levier en 2024.

Sur le front des emprunts d’Etat en devises fortes émis sur les marchés frontière, la tension s’accroît et les pays qui cherchent à restructurer leur dette sont toujours plus nombreux (Zambie, Ghana, Surinam, Argentine, etc.). Les institutions supranationales auront donc fort à faire pour lutter contre le tarissement des sources de financement dans un contexte où ceux qui investissent traditionnellement dans les marchés émergents gèlent leurs achats ou accentuent leur sous-pondération de ces marchés.

Méfiez-vous des moyennes

Le marché des prêts avec effet de levier (leveraged loans) connaît également quelques remous. Sur la période 2007-2022, le taux de défaut de ce segment s’est établi à 2,4% (à mettre en regard des 2% du segment des obligations à haut-rendement). Or, selon la «US Senior Loan Officer Survey», les taux de défaut pourraient bondir et dépasser 8% pour le haut rendement et 10% pour les prêts avec effet de levier en 2024.

Ces chiffres représentent des moyennes qui occultent la variété des situations dans les différents secteurs économiques. Néanmoins, le message est clair: dans ces segments qui affichent un rapport risque/rendement élevé (rendement actuel de 8,75% pour le haut rendement et 9,50% pour les prêts avec effet de levier), il est crucial d’éviter les perdants!

Sur le mode «toute la mise va au vainqueur», les entreprises qui surfent directement ou indirectement sur les composants et services liés à l’intelligence artificielle (IA) générative ont été les principaux contributeurs aux performances de la bourse américaine en 2023. Bien que l’histoire ne se répète pas, elle rime et l’on peut comparer la situation actuelle avec celle qui prévalait au moment de la bulle internet au début de ce siècle. Les détails sont différents, mais la crainte de «rater quelque chose» est manifeste chez les participants au marché.

Pour l’heure, les investisseurs optent pour les leaders mondiaux de la technologie dans l'espoir de se protéger d’un ralentissement de la croissance. Et il existe en effet un petit nombre d’actions de qualité qui semblent se comporter comme des obligations allemandes à 10 ans, autrement dit, comme des valeurs refuges. Mais ces dernières ne jouent effectivement ce rôle que lorsque les circonstances leur sont favorables. Le Bund allemand zéro coupon échéance février 2032 émis début 2022 enregistre une performance négative de 18,7%!

Tout pour la gestion active

Dans un tel environnement, caractérisé par l’absence d’orientation claire, la gestion active dispose de plusieurs atouts, d’autant plus que les opportunités présentes sur les marchés actions et de taux se sont considérablement accrues en 2022 et 2023. En ce qui concerne l’obligataire, pour autant que l’on puisse compter sur un réseau interbancaire solide, le flux permanent d’émissions primaires ainsi que les milliers d’émissions secondaires qui peuvent être échangées fournissent de nombreuses occasions d’exploiter les inefficiences du marché.

Les banques centrales, insensibles aux prix, s’étant mises en retrait, il redevient possible de procéder à une découverte des prix sur la base de l’analyse fondamentale. Ainsi le gérant actif est de nouveau en mesure de surperformer, pour autant qu’il possède également une bonne connaissance des règles indicielles et de leurs effets sur les portefeuilles.

Sur les marchés d'actions, le suivi et la sélection de petites et moyennes capitalisations devraient permettre aux gérants d’éviter les mauvaises surprises découlant de concentrations potentiellement excessives sur les grandes capitalisations, concentrations qui ont atteint leur plus haut niveau depuis 20 ans. Le retour en force des gérants actifs passera également par le recours à la rotation sectorielle active et l’inclusion de la recherche ESG dans la sélection des actions.

Si la propension à éviter le risque devait devenir très forte suite à un effondrement de la croissance, une chose reste néanmoins certaine:  les gérants actifs auront davantage de chances de tirer leur épingle du jeu que les gérants passifs plus ou moins contraints d’accepter la performance de marché, le «bêta». L'alpha, qui est l’apanage des gérants actifs, ira à ceux qui évitent les perdants et sélectionnent des titres intéressants ou dont la valeur justifie le prix.

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