Pétrole et gaz: perdus dans la transition?

Peter de Coensel, DPAM

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La pression actionnariale et l’innovation pourraient accélérer la transformation des industries pétrolière et gazière.

Ces deux dernières années, la situation du marché a permis aux majors du pétrole et du gaz de réaliser des bénéfices supérieurs à la moyenne. Néanmoins, lorsqu'il s'agit de résoudre le problème de la décarbonisation, le secteur hésite à lutter contre le changement climatique. Ainsi, la hausse de la production de charbon et du prix de ce dernier a été motivée par la nécessité d’assurer l’approvisionnement énergétique à un juste prix.

Malgré des bénéfices record, les investissements de l’ensemble du secteur restent inférieurs à ce qu’ils étaient avant la pandémie. Ainsi la somme des bénéfices avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement (EBITDA) de BP, Chevron, ExxonMobil, Shell et TotalEnergies est passée de 178 milliards de dollars en 2017 à 332 milliards de dollars en 2022, ce qui représente une croissance annuelle moyenne d'environ 11%. Sur la même période, le total des dépenses d’investissements de ces groupes a stagné autour de 95 milliards de dollars. On observe donc un découplage très net entre les cash-flows opérationnels et des dépenses d’investissement qui, en valeur absolue, ont chuté de près de 50% par rapport à ce qu’elles étaient en 2012-2013.

Une approche intégrée qui inclut la durabilité est plus crédible et elle produit des effets positifs sur le long terme.

Par ailleurs, la proportion des moyens consentis aux diverses alternatives bas carbone(1) a fluctué entre 7,5% et 25% des dépenses d’investissement. L’objectif est d’amener cette proportion à 25 à 45% durant les 3 à 5 ans à venir. Cela reste un niveau peu ambitieux pour une industrie qui continuera de consacrer 30 à 50% de ses dépenses d’investissements au pétrole.

Sauvegarder les investissements

A l’heure actuelle, le trilemme de l’énergie qui consiste à trouver un équilibre entre sécurité de l’approvisionnement, prix abordable et durabilité, n’est pas intégré correctement dans les stratégies des grandes compagnies pétrolières et gazières. Seuls les deux premiers termes sont activement travaillés. Au niveau actuel de la production, il reste environ dix années de réserves. Ce fait, aggravé par la lenteur de la progression des investissements dans les alternatives bas carbone, semble justifier l’exploration de nouvelles réserves.

Cependant, la véritable réponse au trilemme énergétique passe par la sauvegarde des investissements et se situe au-delà des problématiques d’offre et de demande d’énergie. En raison de son impact direct sur le climat, l’approche axée sur le court terme aboutit à un accroissement des risques financiers à moyen et long terme. Ces risques, qui ne sont pas encore quantifiés, seront difficiles à évaluer et à minimiser. Par conséquent, une approche intégrée qui inclut la durabilité est plus crédible et elle produit des effets positifs sur le long terme.

Ceci nous amène à prendre en considération le secteur des services publics dont l’évolution contraste fortement avec celle du secteur du pétrole et du gaz. En effet, la croissance de ses dépenses d’investissement est pratiquement alignée sur celle de son EBITDA. Et, plus important encore, ce secteur affecte la quasi-totalité de ses cash-flows aux investissements dans les énergies renouvelables et les réseaux. Ainsi, les services publics se trouvent à l’avant-garde de la transition énergétique et ils sont dorénavant largement alignés sur la taxonomie de l’UE. Ce détour par les services publics constitue un message important pour les industries du pétrole et du gaz: la transition est une stratégie.

Intégrer le scope 3: un must

Les émissions de gaz à effet de serre (GES), toujours en augmentation, devraient voir leur évolution s'inverser à court terme. Des stratégies crédibles de décarbonisation doivent s'imposer. L’activité des grandes compagnies pétrolières représente environ 9 à 10% de l'ensemble des émissions de GES. Cependant, ces entreprises produisent les carburants qui sont à l'origine d'environ un tiers des émissions mondiales (hors secteur pétrole et gaz). Autrement dit, sur le plan de leur bilan carbone, leurs émissions de scope 1(2) représentent 8% des émissions globales, celles de scope 2, à peine 1%. En revanche, celles du scope 3 s’élèvent à 33%: elles sont donc tout à fait conséquentes.

D'ici 2030, l'énergie solaire devrait devenir la source d'énergie la moins chère.

Tout cela signifie que les actionnaires devraient faire pression sur les grandes compagnies pétrolières pour qu’elles adoptent des politiques climatiques adaptées et qu’elles élaborent des plans de réduction significative de leurs émissions. Il va de l’intérêt bien compris des investissements à moyen et long terme d’inclure le scope 3. D’amont jusqu’en en aval, l’industrie du pétrole et du gaz peut réduire ses émissions en améliorant l'efficacité de ses forages (électrification), en réduisant les fuites et le torchage (moins de méthane), en augmentant le captage, l'utilisation et le stockage du carbone ou en promouvant l'hydrogène vert. Ses options sont donc nombreuses.

La science, moteur de la transition

Il faut mettre un sérieux frein à la consommation de combustibles fossiles. Le coût de production des énergies renouvelables a chuté ces dix dernières années et il continuera de reculer. D'ici 2030, l'énergie solaire devrait devenir la source d'énergie la moins chère. La comparaison entre le rendement des capitaux propres investis dans les énergies renouvelables et le coût du capital investi dans les combustibles fossiles fait pencher la balance en faveur des premières. Les entreprises vont donc devoir réviser leurs stratégies.

La gestion d'actifs joue un rôle de facilitateur dans la mesure où elle oriente le capital vers son utilisation optimale. Les preuves scientifiques du changement climatique causé par l'homme sont faites, et les risques sont identifiés et reconnus par les industries pétrolière et gazière. Cependant, le court-termisme est tenace. Il convient donc de participer à l’élaboration de résolutions ou de soutenir celles qui incitent les grandes compagnies pétrolières et gazières à modifier leurs stratégies, car la lutte contre le changement climatique est devenue primordiale. Les industries du pétrole et du gaz ne se sont pas perdues dans la transition. La science qui a été le principal moteur de leur réussite pourrait, une fois encore, être celui de la transformation de tout le secteur.

 

(1) Bioénergie et biocarburants, recharge pour véhicules électriques, énergies renouvelables, hydrogène, capture et stockage du carbone.
(2) Le «scope» désigne le périmètre au sein duquel sont étudiées les émissions de GES dans une entreprise ou pour un produit. Le scope 1, le plus restreint, regroupe les émissions directes et le scope 3, le plus large, regroupe toutes les émissions qui ne sont pas liées directement à la fabrication du produit.

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