Que l’on me ramène chez moi

Chris Iggo, AXA IM

8 minutes de lecture

En Europe et au Royaume-Uni, il est probable que l’inflation continuera de faiblir. Aux États-Unis, la rigidité des prix qui caractérise certaines parties du secteur des services a bloqué le processus de désinflation.

Dans leur anticipation des prix, les marchés sont sur le point d’exclure toute baisse des taux d’intérêt pour 2024. Cela paraît quelque peu extrême. En Europe et au Royaume-Uni, il est probable que l’inflation continuera de faiblir. Aux États-Unis, la rigidité des prix qui caractérise certaines parties du secteur des services a bloqué le processus de désinflation, mais l’indice des dépenses de consommation personnelle (PCE) - le principal outil de mesure de l’inflation employé par la Réserve fédérale (Fed) - semble évoluer dans le bon sens, même si l’indice d’inflation des prix à la consommation (IPC) se comporte un peu moins bien. Les obligations du Trésor à échéance longue et les autres obligations souveraines de référence ne semblent pas très intéressantes, et cela restera ainsi tant que les taux d’intérêt n’auront pas baissé. Avant que cela ne se produise, les marchés du crédit seront plus engageants, avec des rendements marqués principalement par le portage. La duration courte et les écarts de taux demeurent les thèmes dominants sur les marchés obligataires.

Un, deux, et non six 

À court terme, les obligations semblent un peu survendues. Depuis décembre, le rendement de l’emprunt de référence à 10 ans du Trésor américain s’est accru de 80 points de base (pb). D’autres rendements de référence souverains ont connu des progressions similaires. Plusieurs facteurs peuvent être à l’origine de la volatilité des rendements sur la portion longue de la courbe. Ils peuvent résulter d’une vue différente de la politique monétaire, des données économiques et des événements géopolitiques. Ce qui est plus intéressant, ce sont les changements que nous avons observés dans les attentes à l’égard de ce que les banques centrales comptent entreprendre cette année. Les prévisions ont sensiblement changé quant au niveau où se trouveront les taux directeurs à la fin de l’année 2024. C’est aux États-Unis que l’on observe le changement le plus marqué sur ce plan, avec un marché dont la prévision a grimpé de 3,65% à un peu moins de 4,90%. En d’autres termes, alors qu’il s’attendait à ce que la Fed procède à six abaissements, le marché en prévoit désormais moins de deux. Concernant les interventions de la Banque centrale européenne (BCE), le marché a réhaussé son attente de 2,0% à 3,10% pour le taux directeur (en passant de sept paliers d’abaissement à trois), et pour celles de la Banque d’Angleterre (BoE), l’anticipation du taux en fin d’année est passée de 3,50% à 4,70% (en prévoyant non plus sept paliers d’abaissement, mais moins de deux). Il n’est donc pas étonnant que les rendements des titres à revenu fixe soient négatifs depuis le début de l’année.

À l’heure actuelle, il est difficile de distinguer vers quoi se dirigent les obligations. Le risque d’escalade au Proche-Orient pourrait finalement commencer à avoir des répercussions plus significatives sur les marchés mondiaux. Une hausse des prix du pétrole pourrait perturber les perspectives d’inflation et de croissance. Avec le conflit en cours en Ukraine, il existe un scénario potentiel de réduction des risques dans lequel les obligations bénéficieraient d’un afflux de valeurs refuges en provenance des actifs à risque. Cependant, il s’agit là d’un processus difficile à prédire et à négocier. Pour l’heure, il convient de suivre de près l’évolution des fondamentaux et des décisions politiques.
Les responsables politiques savent-ils eux-mêmes où ils en sont? - Si l’on fait abstraction de la situation mondiale sur le plan de la sécurité, la manière dont les prévisions de taux d’intérêt se sont modifiées nous amène à nous demander: «Qu’est-ce qui a changé entre-temps?». Certains diront que les gouverneurs des banques centrales ont commis une erreur en encourageant les marchés à s’attendre à un assouplissement rapide de la politique monétaire en 2024, alors que l’inflation était encore supérieure à l’objectif fixé, et que par ailleurs, ils auraient dû tenir compte du fait que le taux d’intérêt neutre était beaucoup plus élevé que prévu. La politique monétaire n’a pas été aussi stricte qu’elle aurait dû l’être et un assouplissement serait par conséquent une erreur. Depuis la fin de l’année dernière, les banquiers centraux se sont beaucoup éloignés de leur position conciliante initiale. Bien entendu, les données chiffrées ont également incité les responsables politiques à se montrer plus prudents. Dans certaines économies, le processus de désinflation est peut-être en train de caler. Aux États-Unis, le renchérissement global des prix à la consommation se montait à 3,5% en mars, contre 3,1% en janvier, et le taux de base reste bloqué près de la barre des 4,0%. Une grande partie des données indiquent que la Fed devrait attendre. Le fait de dépendre des données semble engendrer une incertitude politique. Cette incertitude entraîne des primes de taux d’intérêt plus élevées, ce qui renchérit les coûts d’emprunt dans l’ensemble de l’économie.

Avant la Fed? 

En Europe, le recul de l’inflation s’est poursuivi. Le taux global est tombé à 2,4% en mars, alors qu’il était de 6,9% en mars 2023. Au Royaume-Uni, l’inflation globale se montait à 3,2% en mars, contre 3,4% en février. Compte tenu des effets de base liés à la structure des prix de l’énergie au Royaume-Uni, l’inflation globale devrait être nettement plus faible en avril. Parallèlement à des données indiquant une légère reprise d’activité, le renchérissement semble encore faiblir de ce côté-ci de l’Atlantique. C’est pourquoi il est davantage question que la BCE ou la BoE, ou les deux, abaissent leurs taux d’intérêt avant que la Fed ne le fasse. Les marchés tablent sur un abaissement de 25 points de base de la part de la BCE, se produisant en juin/juillet, et sur un abaissement complet opéré par la BoE d’ici septembre. Je suis d’avis que tous les deux se décideront à intervenir en juin. Selon moi, cela laisse penser qu’au niveau de rendement actuel, le marché des gilts offre une bonne valeur. Cependant, les obligations d’entreprises à échéances courtes, libellées en livres sterling, sont encore plus attrayantes. Le rapport le plus défavorable de la tranche à un ou trois ans de l’indice des obligations d’entreprises en livres sterling est actuellement de 5,7%. C’est plus intéressant que les taux d’intérêt des liquidités en livre sterling, avec de surcroît la perspective de gains en capital une fois que la Banque d’Angleterre aura décidé d’agir.

N’évoquez pas d’éventuels relèvements de taux 

On constate que la Fed ne fait pas la moindre allusion quant à la possibilité qu’elle soit contrainte de relever ses taux. Lors des réunions de printemps du Fonds monétaire international à Washington, le président de la Fed, Jerome Powell, a repoussé l’idée qu’il faille s’attendre à un abaissement des taux d’intérêt de la part de la Réserve fédérale, et a admis qu’aux États-Unis, le processus de désinflation était actuellement enlisé. Cependant, il n’existe aucun document public indiquant que les responsables de la Fed auraient admis que dans leur réflexion, il seraient passés d’un projet d’abaissement des taux, à une décision de gel des taux, puis à une intention de relèvement des taux. Mais les investisseurs ont des doutes quant à la capacité de la Fed à maîtriser la situation en termes d’évolution de l’inflation et, si elle n’est effectivement pas en mesure de le faire, se demandent de quels moyens elle dispose pour y remédier.

Les marchés ont tendance à se focaliser sur les prix à la consommation comme principal indicateur du renchérissement. Cet outil de mesure présente toutefois de nombreux problèmes de calcul qui peuvent conduire à des mouvements excessifs, ou des valeurs aberrantes, par rapport à la situation réelle de l’inflation. On a tendance à oublier que l’outil de mesure préféré de la Fed est le PCE (c’est-à-dire l’indice des dépenses de consommation personnelle). Il montrait un taux d’inflation s’élevant à 2,8% en février, soit 200 points de base de moins qu’en février 2023. En utilisant l’indice PCE de base, le taux central actuel des Fed Funds est supérieur de 245 points de base au taux d’inflation (contre 145 points de base si l’on emploie le CPI de base). De toute évidence, l’indice PCE de base reste supérieur au niveau visé de 2,0% d’inflation, et la Fed souhaite voir des chiffres moins élevés. Une simple projection basée sur les variations mensuelles historiques de l’indice laisse penser qu’il se maintiendra légèrement au-dessus de 2,0% jusqu’à la fin de l’année (au cours de la décennie allant jusqu’à la fin de 2020, il s’était établi en moyenne à 1,6%). Le fait est que l’indice de référence du PCE de base reste néanmoins orienté à la baisse, tandis que l’IPC est au point mort.

Encore plus tenace 

L’argument en faveur d’un scénario baissier pour les obligations américaines découle du fait que la Fed envisagerait un relèvement de ses taux et qu’elle a explicitement revu à la hausse son estimation à long terme du taux neutre. Supposons que le taux neutre se trouve dans une fourchette de 3,5% à 4,0% et que la courbe des rendements redevienne positive, ce qui porterait les rendements à 10 ans à 5,0%-5,5%. Cela pourrait se justifier par le fait que l’inflation se montre plus tenace et qu’il existe une prime de terme plus élevée, en raison des inquiétudes relatives à la situation budgétaire des États-Unis. Il ne s’agit pas d’une prévision, mais d’un scénario plausible que les investisseurs devraient intégrer à leur réflexion. Les revenus générés par les bons du Trésor sont restés au-dessous de la barre des 5% depuis la crise financière mondiale, une période marquée par des achats massifs de la part des banques centrales, puis par une pandémie qui a paralysé l’économie mondiale durant plusieurs trimestres. Ce que je veux dire par là, c’est que dans une perspective historique, une croissance de 5 à 6% ne serait pas une chose anormale pour une économie qui semble pouvoir soutenir une croissance nominale de l’ordre de 5 à 7%.

Rattraper le retard 

Même si ce scénario ne se réalise pas, les perspectives de duration longue des bons du Trésor ne sont que modérément encourageantes si l’inflation et la croissance sont faibles et si la Fed baisse ses taux de façon agressive. J’ai compilé quelques données chiffrées cette semaine, et si le rendement actuel de l’indice du Trésor restait inchangé, de sorte que le rendement total d’un portefeuille de titres du Trésor proviendrait principalement du portage, il faudrait attendre la mi-2029 pour que soient compensées toutes les pertes réalisées depuis septembre 2020 (à savoir le moment où l’indice de rendement total avait atteint son maximum). Les bons du Trésor continuent de reculer par rapport au pic de l’indice, contrairement aux actions internationales et au segment du haut rendement. Les investisseurs à duration courte ont nettement mieux réussi. Les baisses sur les rendements totaux, dues à l’impact des relèvements de la Fed, se sont arrêtées en novembre de l’année dernière pour le segment du marché des obligations d’entreprises américaines à un an ou trois ans. Un portage plus élevé et une durée plus courte ont été les stratégies gagnantes en matière de titres à revenu fixe, et cela pourrait continuer ainsi.

Un meilleur portage 

Mais le passé est le passé. Peu d’investisseurs en quête d’alpha auraient gardé un portefeuille passif de titres du Trésor au cours des cinq dernières années. Mais ce qui intéressera la plupart de mes lecteurs, c’est ce qu’il adviendra l’année prochaine, étant donné que le marché du Trésor donne le ton aux autres marchés des obligations et du crédit, ainsi qu’aux actifs à risque en général. Le bon du Trésor à 10 ans rapporte un petit peu moins de 4,6%. Les revenus des obligations à échéance courte sont plus élevés. Le rendement pondéré de l’indice ICE du marché du Trésor américain est de 4,8%. Au cours de l’année écoulée, le rendement de cet indice a été en moyenne de 22 points de base par mois, soit de 2,7% par an. Ce montant a augmenté et poursuivra sa hausse à mesure que le coupon moyen prendra de la valeur sur le marché. De cette façon, le point de rattrapage des pertes de l’ère du resserrement pratiqué par la Fed interviendra plus rapidement que ce qui a été suggéré ci-dessus. À l’avenir, le rendement du marché du Trésor devrait se situer entre 4 et 5%. Si l’on ajoute 90 à 100 points de base pour le crédit de première qualité et 350 à 400 points de base pour le segment du haut rendement, cela donne un marché américain des titres à revenu fixe qui a de quoi susciter l’intérêt. Tout relèvement de taux opéré par la Fed affectera les rendements aux États-Unis et sur d’autres marchés, mais nous sommes dans un monde où les niveaux de rendement sont plus élevés. Il serait donc judicieux que les investisseurs recherchent du revenu dans les obligations. Des rendements stables ne seraient pas une mauvaise chose (jusqu’à présent, le marché n’est pas allé à nouveau titiller la barre des 5% pour ce qui est des obligations du Trésor à 10 ans).

L’art de produire grand bruit 

Choisir un indice d’inflation spécifique pour définir son objectif de politique monétaire n’est jamais une démarche idéale. N’oubliez pas que le Royaume-Uni avait pour habitude de calquer sa politique sur l’inflation des prix de détail! Pour obtenir un taux de renchérissement plus «approprié», on élimine les valeurs de hausses des prix aberrantes, on ajuste les pondérations et on construit des indices d’inflation s’appuyant sur les habitudes de dépenses des différents groupes de revenus. Est-ce qu’il existe réellement un outil permettant une mesure précise de l’inflation? Probablement pas, et c’est pourquoi la conduite d’une banque centrale relève plus de l’art que de la science. Le choix d’un niveau cible est également davantage dicté par des considérations arbitraires que par des lois économiques naturelles. Au début de ce siècle, les banques centrales ont eu de la chance, car la mondialisation, la montée en puissance des instruments d’exportations chinoises à bas coût et les progrès technologiques ont entraîné une inflation négative des prix des biens de consommation. Dans le secteur des services, le renchérissement s’est maintenu entre 3 et 4%. L’inflation globale s’est montée à environ 2% en moyenne. Mais si le niveau d’inflation visé avait été de 2,5% ou 3%, les présidents des banques centrales ne seraient pas aussi inquiets.

Il n’y a aucun intérêt à entraver gravement la croissance économique juste pour obtenir un taux d’inflation inférieur de 50 à 100 points de base supplémentaires, en particulier si dans certains secteurs, l’anticipation des prix ne s’est pas normalisée après la pandémie de COVID-19. Ce ne sont certainement pas les légères variations du coût de l’argent au jour le jour qui vont y changer quoi que ce soit. À l’heure actuelle, les banques centrales ne peuvent pas relever leurs taux, car cela saperait leur crédibilité. Elles ne peuvent pas non plus s’empresser d’assouplir leur politique monétaire, car cela minerait également leur crédibilité. Les taux d’intérêt du marché et les rendements obligataires en sont le reflet. D’un point de vue tactique, les bons du Trésor et les obligations d’État sont des titres à acheter, et le crédit est devenu plus attrayant au cours du mois dernier, compte tenu de la progression des rendements et de l’élargissement des spreads. L’année des titres obligataires s’avère laborieuse, mais le portage devrait nous permettre de finalement retrouver le chemin de la maison.

Fin de saison

En tant que supporter de Manchester United, il est triste d’en être réduit à prendre du plaisir à voir ses plus grands rivaux historiques essuyer des revers. En effet, il aurait été difficile de voir Manchester City remporter le triplé deux fois de suite, mais grâce au Real Madrid, cela ne se produira pas. Liverpool se retrouvera également avec une récolte moins riche que ce que certains de ses supporters les plus optimistes avaient espéré. United a encore une chance de soulever une coupe en argent, à condition de battre Coventry ce week-end et d’affronter ensuite Chelsea ou Manchester City. Mais la saison a été affreuse pour les ‘diables rouges’, avec comme seuls faits marquants l’émergence d’une nouvelle génération de jeunes joueurs talentueux et le but inscrit à la dernière minute pour battre Liverpool en Coupe d’Angleterre. Espérons que de meilleures choses se profileront à l’horizon. Mais pour l’heure, place au cricket, à l’Euro de foot et aux Jeux olympiques!

A lire aussi...