Obligations: la clé pour comprendre le marché

Nikolaj Schmidt, T. Rowe Price

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La semaine dernière, nous avons vu l'obligation d'État américaine à 10 ans dépasser à nouveau les 5%, tandis que le taux d'un prêt hypothécaire à 30 ans aux États-Unis a atteint 8%.

Le marché s'attend à ce que les niveaux de taux d'intérêt élevés créés par les hausses de taux historiquement agressives de ces dernières années durent plus longtemps que prévu.

Cette évolution a également eu pour effet de ramener les obligations au centre de l'intérêt des investisseurs. Durant un certain nombre d'années, il semblait qu'il n'y avait pas d'alternative réelle au marché des actions. Cependant, les actions et les obligations ne sont pas deux domaines indépendants. Afin de comprendre les perspectives du marché des actions, il est nécessaire de se pencher sur le marché des obligations.

Les turbulences du marché obligataire

L'année dernière tout comme cette année, nous avons assisté à des turbulences et à des corrections sur le marché obligataire. Si le repli de 2022 s'est déroulé dans un contexte d'inflation galopante et de resserrement monétaire accéléré, il en a été tout autre pour 2023. L'évolution du marché obligataire a été caractérisée par une inflation plus modérée et les banques centrales ont indiqué qu'elles arrivent gentiment à la fin du cycle de resserrement monétaire.

Deux leçons principales peuvent être tirées de l'évolution des marchés obligataires au cours des dernières années. Tout d'abord, en 2022, nous avons assisté à une baisse de l'activité économique indiquant que les banques centrales freinaient l'économie et qu'elles devraient rapidement changer de cap et réduire radicalement les taux d'intérêt une fois la récession survenue. Depuis lors, l'évolution des chiffres clés a modifié le discours: le marché pense désormais que l'économie américaine, et le monde dans son ensemble, peuvent très bien fonctionner avec un taux d'intérêt directeur supérieur à 5%. Cela a conduit à une réévaluation du taux d'intérêt directeur, qui devrait être appliqué à long terme.

L'amélioration des chiffres clés a amené les banques centrales à déclarer qu'elles n'assoupliront pas leur politique monétaire dans un avenir proche. Cela a naturellement renforcé le discours du marché et entraîné une correction du marché obligataire.

À très court terme, la situation devrait se poursuivre comme elle l'a fait jusqu'à présent. Les données économiques encourageantes continuent de pousser les banques centrales à maintenir une politique monétaire stricte.

Le deuxième enseignement est que les taux d'intérêt élevés et les développements économiques ont modifié l'offre d'obligations d'État. Ces dernières années, les gouvernements du monde entier ont vu leurs frais d'intérêt augmenter, créant des déficits budgétaires plus importants qui doivent être couverts. Pour ce faire, ils ont émis davantage d'obligations. En parallèle, nous constatons une baisse de la demande en raison du passage de l'assouplissement quantitatif au resserrement quantitatif. Les banques centrales sont passées du statut de principal acheteur d'obligations à celui de principal vendeur. En conséquence, le marché a été inondé d'une offre considérable d'obligations d'État que d'autres ont été réticents à acheter.

Que signifient les corrections du marché obligataire pour l'économie?

Pour évaluer l'impact du ralentissement actuel du marché obligataire sur l'économie, il est nécessaire de vérifier si l'évaluation actuelle de la politique monétaire par le marché est cohérente avec la dynamique économique sous-jacente.

À mon avis, la perception du marché selon laquelle l'économie américaine et mondiale peut fonctionner correctement avec un taux directeur américain de plus de 5% est une grossière incompréhension de la dynamique économique actuelle. Le récent repli du marché obligataire n'est pas en phase avec les taux directeurs, et il s'avérera très préjudiciable à l'économie mondiale.

La reprise de l'activité économique que nous avons observée en 2023 est le résultat de facteurs temporaires qui s'estompent. Ces facteurs reflètent une reprise cyclique de la demande de services qui a été rendue possible par un assouplissement des conditions financières et l'utilisation des stimuli financiers fournis durant la pandémie. En réponse au ralentissement de l'inflation aux États-Unis, à la réouverture de l'économie chinoise et à la disparition rapide de la crise énergétique dans la zone euro, les conditions financières ont été considérablement assouplies au quatrième trimestre 2022.

Avec le décalage habituel de six mois, cet assouplissement des conditions financières a donné une forte impulsion à la croissance. Malheureusement, avec le repli du marché obligataire, la hausse du dollar américain et la baisse des actions qui en découlent, l'impulsion positive sur la croissance s'estompe et se transformera en un vent contraire pour la croissance.

Les actions sont confrontées à une correction

À très court terme, la situation devrait se poursuivre comme elle l'a fait jusqu'à présent. En effet, les données économiques encourageantes continuent de pousser les banques centrales à maintenir une politique monétaire stricte, mais d'ici 3 à 6 mois, les États-Unis et les autres banques centrales devraient se rendre compte que des taux d'intérêt américains supérieurs à 5% nuisent gravement aux économies. Nous assisterons à un ralentissement significatif de la croissance, ce qui affectera les marchés boursiers.

Bien que, dans un premier temps, les actifs à risque tels que les actions puissent bénéficier de la reprise du marché obligataire, celle-ci se ralentira à plus long terme et le scénario vraisemblable est celui d'une correction. En revanche, les banques centrales ont désormais tellement augmenté les taux d'intérêt qu'elles seront en mesure de les réduire en réponse à un ralentissement de la croissance. Cependant, l'assouplissement des banques centrales n'interviendra qu'après une correction significative des actifs à risque. Et pendant que cette correction se déroulera, nous verrons la demande d'obligations augmenter. Le déséquilibre actuel entre l'offre et la demande d'obligations s'en trouvera rééquilibré.

Une fois encore, les États-Unis devraient être mieux placés pour résister à la pression des taux d'intérêt plus élevés, et les actifs américains devraient, selon moi, continuer à surperformer ceux du reste du monde.

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