Mon amie, la tendance

Chris Iggo, AXA IM

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Nous entendons grogner les «ours» de la bourse, mais ne voyons pas encore de signes évidents indiquant une reprise de l’inflation ou un atterrissage brutal.

Les marchés connaissent une tendance à la hausse

Nous entendons grogner les «ours» de la bourse, mais ne voyons pas encore de signes évidents indiquant une reprise de l’inflation ou un atterrissage brutal. Avec des rendements du marché monétaire de 3% à 6%, il est beaucoup plus facile de se passer des actions que si l’on ne gagnait rien en conservant sa caisse en l’état. Il se peut néanmoins qu’en dépit des cours en hausse, les ours de la finance aient somme toute raison: certaines classes d’actifs à risque ne sont en effet plus très loin du pic qu’elles avaient atteint en 2021. Mais ce vieil adage boursier garde encore toute sa valeur: «The trend is your friend.»

Un été particulièrement chaud?

Ces derniers temps, les marchés ont connu une tendance à la hausse. L’optimisme généré par la situation conjoncturelle a assuré des revenus appréciables. Au moment de la rédaction de ces lignes, le MSCI World avait progressé de 2,6% depuis le début du mois de juillet. En outre, le rendement total des actions internationales se monte à 11% depuis fin mars et à 18,3% depuis le début de l’année. On s’accorde désormais sur la prévision que les Etats-Unis et d’autres grandes économies parviendront à réaliser un atterrissage en douceur - et comme l’inflation recule, on ne s’attend plus à des rendements obligataires aussi élevés. Et surtout: pour l’année 2024, on prévoit des taux directeurs nettement plus bas. Pour l’horizon de juin 2024, les marchés prévoient actuellement un taux comportant 30 points de base de moins que le niveau maximum attendu en termes de taux d’intérêt. Au Royaume-Uni, le revirement est encore plus frappant: on prévoit maintenant que le taux d’intérêt maximum sera inférieur de 78 points de base à celui du début du mois.

Doux ou brutal?

Le resserrement de la politique monétaire arrive pratiquement à son terme. L’évolution récente du marché suggère qu’un assouplissement intervenant dès le début de 2024 est de plus en plus probable. Tant les actions que les obligations en profitent. C’est l’évolution conjoncturelle qui nous dira si cette tendance se poursuivra. Un atterrissage brutal, en douceur ... ou qui se fait attendre? Les avis sont partagés. Or, les trois scénarios n’ont pas de contenu clairement défini. Pour ma part, j’interprète l’atterrissage brutal comme une situation dans laquelle l’entrée en récession est officiellement déclarée. Aux États-Unis, l’organisme chargé de cette tâche est le National Bureau of Economic Research (NBER). C’est à lui qu’il revient de définir les points de départ et de fin des récessions et des phases de croissance. En période de récession, le PIB chute, soit légèrement comme en 2001, soit fortement comme en 1981 et en 2008/09. De plus, le chômage augmente durant une telle période. Au cours de toutes les récessions déterminées par le NBER depuis les années 1970, le taux de chômage a augmenté d’au moins deux points de pourcentage, et souvent de bien davantage.

L’atterrissage brutal est plus fréquent

Le passage en récession signifie donc un atterrissage brutal. En revanche, un atterrissage en douceur est une situation dans laquelle le PIB chute si fortement que les nouvelles surcapacités mettent un frein à l’inflation. La croissance économique serait alors inférieure à la tendance sur le long terme, mais resterait néanmoins positive. Le taux de chômage augmenterait légèrement, d’environ un point de pourcentage, et l’inflation reculerait. Cela semble acceptable. Il est cependant extrêmement rare qu’une inflation très élevée tombe à un niveau acceptable sans que ne se produise un atterrissage brutal. Certes, il est déjà arrivé que l’économie continue de croître, du moins temporairement, même à un rythme inférieur à la moyenne, et que l’inflation cesse d’être un problème. Mais il s’agissait alors de situation dans lesquelles, durant une longue période, le renchérissement s’était préalablement maintenu à un faible niveau et n’avait pas subitement pris l’ascenseur.

Croissance tendancielle?

Et cette fois-ci? Depuis fin 2020, environ la moitié du temps, la croissance du PIB américain a été inférieure à la croissance tendancielle, sur la base d’une comparaison avec le trimestre précédent. En moyenne, la croissance économique américaine s’est montée à 2,6% par an pendant ces deux dernières années et demie, ce qui correspond très exactement à la moyenne sur le long terme. Juste avant l’épidémie de Covid, le taux de chômage était de 3,6%, soit le même taux qu’en juin 2023. C’est peu en comparaison avec les données du passé, mais il faut savoir que le taux de chômage a structurellement baissé depuis la dernière grande crise financière. Cela est également vrai pour l’Europe (depuis le début des années 2010), de même que pour le Royaume-Uni. Aux États-Unis, la situation est-elle similaire à celle de 2019 - avec le plein emploi et un écart de production, certes pas très important, mais néanmoins bien réel?

Un enchaînement de chocs

Bien sûr, nous avons subi un grand choc conjoncturel entre-temps. La pandémie a d’abord affecté la production, puis les prix. Les plus optimistes des investisseurs font valoir que le choc inflationniste des deux dernières années a surtout été un choc de l’offre et que les effets de second tour sont restreints. Une croissance économique de courte durée, inférieure à la tendance à long terme, engendrée par une hausse des taux d’intérêt réels, suffirait alors à éliminer la pression inflationniste résiduelle. Ces dernières semaines, cette vision des choses a trouvé de plus en plus d’adeptes, au point d’en faire pratiquement un consensus.

K.O. au premier round - ou un long combat acharné?

On se plaît à croire que cette fois, tout est différent – et cela n’est pas sans danger. L’inflation a fortement reculé, mais pour la ramener réellement à 2%, il faudra peut-être des excédents de capacité beaucoup plus importants, c’est-à-dire des pertes de production. Nul ne saurait le dire, pour l’instant. Les investisseurs voient souvent les choses à très court terme. Ils constatent que l’inflation baisse et s’attendent dès lors à ce que tôt ou tard les taux d’intérêt en fassent de même. Ils estiment que les banques centrales ont été très actives pour combattre le renchérissement, et qu’en fin de compte, l’affaire est réglée. Mais il peut aussi en être autrement. Il se peut que l’inflation reparte de plus belle et que la politique monétaire soit contrainte d’en faire bien plus à moyen terme, même si on préfère ne pas y croire. Mais si l’économie fonctionne à plein régime, un assouplissement de la politique monétaire pourrait renforcer la croissance en 2024 et par conséquent, relancer l’inflation. Les taux d’intérêt ne pourraient alors plus être abaissés, les primes de risque des obligations resteraient élevées et il serait difficile d’obtenir des rendements constants par le biais des actions. En revanche, en cas d’atterrissage brutal classique, le chômage augmenterait fortement, l’inflation reculerait significativement - et la banque centrale pourrait alors baisser les taux d’intérêt de manière conséquente, en les maintenant à un faible niveau, de sorte à permettre d’amorcer une reprise.

Ce qui nous attend encore

Il est bien entendu que cette année, l’économie américaine s’est avérée étonnamment solide. Cela se confirme dans les données chiffrées du deuxième trimestre qui viennent d’être publiées par les banques. Si c’est un atterrissage brutal qui nous attend, il n’est pas encore en vue. En effet, le plus souvent, l’emploi tombe à son niveau le plus bas juste avant une récession, et il ne faut pas oublier que le taux de chômage se situait à 3,4% en janvier. Depuis, il a légèrement augmenté, en suivant peut-être un schéma constaté durant les cycles précédents. Mais nous devons faire preuve de patience jusqu’à ce que nous sachions quel atterrissage les pilotes nous préparent. Une chose est certaine: plus les indicateurs pointent en direction d’un atterrissage brutal, plus les gains de cours durables deviendront improbables. Les investisseurs réévalueront alors les actions et le secteur du haut rendement - même si les indices se trouvent encore en dessous des points culminants atteints au second semestre 2021.

Mais tout d’abord, il faut savoir que les obligations ont une prédilection pour une inflation en baisse. Pour l’instant, les taux d’intérêt du marché monétaire sont élevés et devraient maintenir ce niveau cette année. Les bons du Trésor américain à un an offrent une rémunération de 5,3%, les bons français de 3,68% et les dépôts en sterling à un an un rendement de plus de 6%. Quant à eux, les faibles taux d’intérêt à terme du marché monétaire signifient que ceux qui investissent aujourd’hui à très court terme – par exemple dans de l’argent au jour le jour, à un mois ou à trois mois – devront à un moment donné se tourner vers des titres offrant des rendements plus faibles. Les revenus du marché monétaire ont certes augmenté, mais le plafond est atteint. Tôt ou tard, ils perdront de leur attractivité.

Le cash ne règne pas toujours en maître

Cela suffira-t-il à pousser les investisseurs vers des titres à plus longue échéance, à leur faire prendre des risques inhérents au haut rendement ou à les inciter à miser finalement sur les actions? Depuis le début de l’année 2022, les rendements obligataires sont inférieurs à leur moyenne sur le long terme et les indices se trouvent désormais dans une fourchette se situant 10-30% en dessous de leur tendance du long terme. Par conséquent, il existe encore un potentiel considérable d’évolution vers le haut. Cela trouve son équivalent dans le faible niveau de prix des obligations. Ainsi, les titres de l’indice Euro Corporate Bond (ICE Bank of America) cotaient en moyenne à 90,41, contre 103,4 fin 2021. Les marchés et les économistes considèrent que le taux neutre d’équilibre est nettement inférieur aux taux directeurs actuels. Ils pensent qu’une lente baisse des taux directeurs en direction du taux neutre d’équilibre entraînera un amenuisement général des rendements - quoique vers un niveau supérieur au taux du marché monétaire.

Les actions américaines les plus exposées en cas d’atterrissage brutal

Ce qui est déterminant pour les actions, c’est de savoir si nous allons atterrir brutalement ou en douceur. Si une récession fait vraiment chuter les bénéfices des entreprises l’année prochaine, les actions américaines sembleront chères. Actuellement, le S&P 500 cote à 19 fois le montant des bénéfices attendus pour l’année à venir. Si les prévisions de bénéfices baissent de 5%, le PER passera à 20, toutes choses égales par ailleurs. Avec un rendement des obligations d’entreprise de 5,5%, les actions paraîtront alors très chères. Mais en dehors des États-Unis, les actions sont beaucoup plus avantageuses et les rendements obligataires sont également plus faibles, du moins en Europe. En 2024, le rendement des bénéfices de l’indice Euro Stoxx devrait être de 8,3%, et de 4,2% pour l’indice Euro Corporate Bond.

Les instruments de placement les plus conservateurs demeurent donc la «caisse» et les titres à courte échéance. Sur le marché monétaire, on continuera à réaliser des bénéfices à court terme, mais cela peut rapidement changer en cas d’atterrissage brutal. En revanche, les titres à risque devraient bénéficier d’un atterrissage en douceur si les bénéfices des entreprises ne s’amenuisent que modérément et si les défaillances des titres à haut rendement restent limitées. Il est difficile d’être carrément pessimiste, ne serait que pour une seule classe d’actifs. Mais là aussi, les choses peuvent changer rapidement si les données chiffrées se détériorent. Pour ce qui est des placements sur le marché monétaire, des obligations et peut-être aussi des actions, nous prévoyons à nouveau des rendements réels positifs lorsque l’inflation des années 2022 et 2023 sera derrière nous. En tous les cas, nous approchons du niveau des points culminants enregistrés en 2021 - tant dans le domaine des actions que du secteur du haut rendement.

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