Make a deal

Martin Neff, Raiffeisen

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On doit prendre Donald Trump au sérieux, qu’on le veuille ou non. L’heure est aux deals, aussi ou plus particulièrement en Europe.

Il y a quelques années, nous avons vécu dans un restaurant à Avola en Sicile, ignoré par les touristes car éloigné et d’aspect un brin crasseux, une scène certes pas atypique pour l’Italie, mais plutôt rare chez nous. Alors que nous prenions notre repas de midi, un grand nombre de convives fêtait le baptême d’un bambin dans la salle voisine. Et comme de coutume en Italie, la fête était bruyante. Les adultes discutaient entre eux, plusieurs personnes s’exprimant systématiquement en même temps, et les nombreux enfants tentaient de couvrir ce niveau sonore déjà conséquent par leurs cris. Jusqu’à ce que quelques claques se mettent à voler, doublées d’une annonce explicite. «Ça suffit maintenant». Le calme revint après quelques gémissements. C’était bien sûr amusant pour nous d’assister à la confirmation de clichés typiques sur nos voisins méridionaux, mais nous étions aussi quelque peu choqués. Car les gifles avaient été magistrales. Pour le dire simplement, ce n’était pas sympathique, mais d’une efficacité indéniable. Si nous mettons de côté la durée de l’effet de cette intervention radicale, nous pouvons dire que l’autorité n’a souffert d’aucune contestation et a repris la main.

Quoi ou comment?

La même scène en Suisse provoquerait sans doute une certaine dose d’indignation, des hochements de tête de la part des observateurs et des messes basses. Qui sait, peut-être même que quelqu’un formulerait une critique de vive voix, mais je pense que c’est plutôt improbable. Il faut en effet un certain courage pour critiquer publiquement des méthodes éducatives musclées. Sans compter le respect accordé à la sphère privée en Suisse. En quoi cela nous regarde-t-il d’ailleurs? Pour moi, la question n’est d’ailleurs pas de savoir si c’est juste ou injuste ou si des mesures anti-autoritaires ou moins autoritaires auraient produit des résultats similaires. C’est un fait que cette mesure parentale visait à restaurer le calme et qu’elle a abouti. Seul le «quoi» importait et pas le «comment». 

Donald Trump se soucie peu de savoir
comment seront perçues ses pires insultes.

Qu’est-ce que cela me rappelle? Donald Trump, qui se moque totalement du «comment», pour peu qu’il y ait un «deal» payant pour l’Amérique. Son prédécesseur et de nombreux politiciens européens des deux sexes préfèrent, en revanche, négocier avec style, même si cela leur prend une éternité et débouche au final sur un compromis insipide. Ce n’est pas le monde de Donald Trump. Il se soucie peu de savoir comment seront par exemple perçues ses pires insultes ou le fait d’insister par pur intérêt personnel auprès du FBI pour qu’il enquête sur une personne ou non lorsque cela risque de lui nuire personnellement. Son style – autrement dit son «comment» – est sans aucun doute autoritaire pour ne pas dire autocratique, comme s’il entendait gouverner le pays tout seul et sans le moindre «check and balance», c.-à-d. sans contrôle. Parfois cette méthode brutale porte aussi ses fruits pour les Américains, ce que refusent d’admettre beaucoup de gens qui voient dans le consensus ou le compromis les seules solutions viables. 

Un style brutal

Nous pourrions discuter pendant des heures du bien-fondé des mesures protectionnistes. Mais il ne fait aucun doute que Donald Trump a arraché des concessions évidentes au Canada et au Mexique dans l’accord commercial nord-américain récemment conclu. Ceux-ci se consolent désormais en pensant avoir évité le pire. Mais c’était sans doute précisément la stratégie de négociation de Donald Trump. Menacer du pire pour extorquer le maximum. Cela ne fonctionne évidemment que si l’on est du bon côté du manche et c’est encore le cas de l’Amérique, même au niveau mondial, au plan économique, technologique et évidemment militaire. 

Quand Barack Obama a laissé de côté la carotte pour manier le bâton,
rapidement plus personne n’a pris ses menaces au sérieux.

Ce n’était pas différent sous les présidents Bush Junior et Obama, mais ceux-ci ont longtemps été enlisés dans des conflits épuisants en Afghanistan et en Irak. Il est certes arrivé à Barack Obama de laisser de côté la carotte pour manier le bâton, mais rapidement plus personne n’a pris ses menaces au sérieux. Le dictateur syrien Baschar al-Assad a plus d’une fois franchi la «ligne rouge» fixée par Barack Obama en lançant des attaques chimiques contre sa propre population, mais celles-ci sont restées sans conséquences. Les autres grandes puissances ont enregistré ces hésitations et ont soudainement pris de l’assurance, notamment le président russe Poutine qui a annexé la presqu’île ukrainienne de Crimée peu de temps après la «ligne rouge» d’Obama.

Seul compte le succès

L’autre rival géopolitique des Américains, la République populaire de Chine, n’est pas non plus vraiment délicate quand il s’agit de ses propres intérêts. Cela fait bien longtemps que l’économie chinoise n’a plus rien à voir avec le communisme d’ordre rural des décennies passées. L’empire du Milieu ne s’est pas pour autant transformé en une économie de marché loyale, conforme à l’idée ou au souhait que s’en fait l’occident (européen) très idéaliste. L’Etat exerce toujours une forte influence pour ne pas dire pression sur l’économie. Le «capitalisme d’Etat» permet au gouvernement de piloter notamment la conjoncture grâce à des subventions massives et à des mesures de soutien, mais aussi de poursuivre des objectifs géopolitiques par le biais de ses entreprises publiques. Des acteurs étatiques se cachent effectivement derrière de nombreuses initiatives entrepreneuriales. Les nouvelles routes de la soie en Eurasie, que la télévision suisse a déjà qualifiées de «route chinoise pour conquérir le monde» en sont un bon exemple, tout comme les projets d’infrastructure chinois en Afrique, qui doivent assurer l’approvisionnement en matières premières à long terme. 

Après deux années de Donald Trump, le monde a déjà beaucoup changé. Les marchés financiers l’ont compris depuis longtemps. Donald Trump conclut des «deals», un terme un peu louche chez nous, mais qui matérialise au final des résultats, contrairement aux négociations sans fin débouchant sur des compromis difficiles. C’est ce que veulent voir les acteurs des marchés financiers. Depuis que Trump est aux manettes, les marchés américains ont laissé tous les autres loin derrière eux. Il ne peut donc pas avoir entièrement tort, même si nous sommes nombreux à le juger insupportable. Cela ne compte pas en bourse. Quant à Trump, il ne semble guère se soucier de l’opinion des autres à son égard. On doit le prendre au sérieux, qu’on le veuille ou non. L’heure est aux deals, aussi ou plus particulièrement en Europe. Faute de quoi, nous risquons un nouvel équilibre selon la théorie des jeux. L’équilibre dit leader/suiveur. Les rôles sont actuellement clairement répartis. Cela ne peut pas aller dans le sens du vieux continent.

P.-S.: ma convalescence avance bien et je vais m’accorder des vacances la semaine prochaine. Vous retrouverez ensuite régulièrement ma chronique. Je vous remercie de votre fidélité et de votre patience.

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