Les meilleures caisses de pension sont au Canada

Emmanuel Garessus

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La gouvernance des grandes institutions de prévoyance canadiennes est différente de celle des suisses. Leur performance est élevée à long terme, mais pas pour toutes.

Le débat sur les caisses de pension suisses porte sur le taux de conversion ou la performance des placements, mais rarement sur des comparaisons internationales. Il est vrai que la structure des institutions et la culture sont si différentes d’un pays à l’autre que les comparaisons sont difficiles. Mais lorsque la performance des caisses de pension d’un pays est significativement supérieure à celle de notre pays, il est permis de s’interroger sur les raisons des écarts. Ce type de réflexion peut faire émerger des améliorations tant au profit de ces institutions que des assurés.

L’an dernier, la performance des caisses de pension suisses a été positive de 5% après une perte de 10% en 2022. A titre de comparaison, le rendement des fonds canadiens a été bien meilleur puisqu’il a atteint 9,1% (en dollars canadiens et en termes nominaux), après une perte de 10,3% en 2022, selon la Royal Bank of Canada. Le marché canadien mérite que l’on s’y attarde. Il le 3e plus grand marché de fonds de pension au monde, derrière les Etats-Unis et le Japon. Ces trois pays représentent 76% du marché mondial.

Un rendement annuel de 9,3% sur 10 ans

L’idée souvent avancée selon laquelle les fonds canadiens sont en moyenne plus performants se vérifie une année après l’autre. CPP Investments, le plus grand fonds canadien, présente un taux de rendement annuel de 9,3% sur 10 ans. De tels rendements ne sont pas rares sur la scène canadienne, un système qui fait partie des systèmes de retraites les plus solvables. Mais pour être correct, et ramener la performance canadienne à sa juste valeur, il importante d’ajuster la performance à l’évolution des monnaies. Or le dollar canadien ne cesse de baisser par rapport au franc suisse (de 12% en 3 ans). Actuellement, 100 dollars canadiens valent 65,5 francs. La baisse du dollar canadien mine donc une partie du mythe canadien. Par ailleurs, il s’agit souvent de fonds à primauté des prestations. Or les experts s’accordent à souligner les vulnérabilités de ce mode de financement par rapport à la primauté des cotisations - celui qui est généralement pratiqué en Suisse.

Le Canada compte huit des 100 plus grandes caisses de pension mondiales dans ses rangs et le 7e plus grand au monde

Le Canada compte huit des 100 plus grandes caisses de pension mondiales dans ses rangs, dont le 7e plus grand fonds au monde. 
Le leader canadien, le Canada Pension Plan Investments (CPP Investments) a été créé en 1966 et il a fortement cru après une réforme intervenue en 1997 qui s’est traduite par une augmentation des cotisations des assurés et des mesures qui ont conduit à la création de ce que l’on nomme aujourd’hui le «modèle canadien». Un autre changement clé est survenu en 2006 avec l’introduction d’une stratégie de placement active. Dès lors CPP Investments est passé de 100 milliards de dollars canadiens sous gestion en 2006 à 590 milliards et il compte plus de 21 millions d’assurés. Selon un de ses rapports publiés novembre dernier, ses actifs devraient atteindre 3600 milliards de dollars canadiens en 2050. Les autres très grands fonds canadiens sont celui d’Ontario Teachers Pension Plan (OTPP), celui des enseignants, et le Public Service Pension Plan.

Le regard sur l’allocation d’actifs du CPP Investments souligne une forte proportion d’actifs réels au sein des fonds canadiens et surtout une forte exposition au private equity (33% en 2023, contre 27% en 2019) ainsi qu’aux actions cotée (24%), aux infrastructures (9%) et à l’immobilier (9%). Les obligations se limitent à 12% du portefeuille 2023 (selon le rapport annuel à fin mars).

Mais tout n’est pas rose au Canada. L’OTPP, le 2e plus grand fonds, n’est pas du tout satisfait par sa performance de l’année dernière, ainsi qu’il l’écrit dans son rapport annuel 2023 (à la fin décembre). Le rendement ne s’élève qu’à 1,9% en raison d’une stratégie trop défensive qui s’est traduite par une trop faible exposition aux actions cotées et en particulier aux 7 magnifiques. Le rendement de son indice de référence a atteint 8,7%. Sur 10 ans, le rendement annuel de l’OTPP tombe à 7,6%.

Les raisons d’une surperformance

Un travail de recherche de l’université McGill et de CEM benchmarking, repris par le magazine spécialisé Institutionnel Investor, portait sur la performance annuelle de 2004 à 2018 et souligne la supériorité mondiale des caisses de pension canadiennes. Non seulement elles surpassent la concurrence en termes de rendement des investissements, mais aussi de couverture des risques au passif.

Les raisons avancées par cette étude en juillet 2020 mettant en exergue quelques points clés: Tout d’abord les institutions de prévoyance canadiennes gèrent les fonds plutôt à l’interne plutôt que de les confier à des sociétés externes. Au sein des plus grandes caisses de pension, 80% les gèrent à l’interne, contre 34% pour leurs homologues d’autres pays. Il en résulte une baisse des coûts d’un tiers, selon les auteurs. Ce comportement se vérifie au sein de chaque classe d’actifs. Il permet aux caisses de pension canadienne d’investir cinq fois plus en informatique. Comme les fonds sont de très grande taille, leur avantage de coûts est encore plus marqué.

L’OTPP, le 2e plus grand fonds, n’est pas du tout satisfait par sa performance de l’année dernière.

L’étude souligne aussi une allocation des actifs très différente, avec une part des investissements plus élevée dans les actifs réels. Leur gestion est en générale plus coûteuse que celle des actions et des obligations, mais les fonds canadiens investissent 18% dans ce domaine. Une autre caractéristique marquante qui était signalée par cette étude porte sur l’indexation des engagements à l’inflation. L’étude conclut que si les institutions américaines reprenaient le modèle canadien, il se traduirait par une hausse de 15% du Sharpe ratio sur 15 ans, en termes absolus et une augmentation de 13% du Sharpe Ratio du porte actifs/passifs.

Au classement Mercer des meilleurs système de prévoyance, le Canada ne s’inscrit pourtant qu’en 11e position. Pour Keith Ambachtsheer, l’un des chercheurs les plus connus en matière de fonds de pension, des progrès  sont encore possibles au Canada. Ils devraient provenir de l’extension au privé de la stratégie qui a permis aux grandes caisses publiques d’incarner le modèle canadien et de présenter de très bons rendements, indique-t-il dans un article récent pour Globe and Mail. L’expert note qu’en 2021, le fonds OTTP a versé 6,9 milliards de dollars en prestations de retraite à 151'000 enseignants retraités. Cela représente environ 46'000 dollars par retraité. Un travailleur du privé a besoin de plus d’un million d’épargne pour obtenir une telle rente.  Or, selon les statistiques officielles du Canada, les deux tiers des ménages canadiens proches de la retraite détenaient en 2019 une épargne enregistrée sur des comptes individuels, avec un solde médian d'environ 100'000 dollars. Un grand nombre de retraités ne disposent donc pas d’un capital suffisant. Keith Ambachtsheer indique qu’il existe un écart de rendement annuel de 2,5% entre le privé et le public. L’écart est considérable dans une optique à long terme.

Le 2e pilier suisse n’est pourtant pas prêt à se laisser tenter par le modèle canadien. La première raison est culturelle et politique. Les caisses de pension suisses sont gérées selon le mode paritaire et la rémunération des conseils de fondation est en principe nulle. Le bénévolat et le volontariat sont au coeur du système suisse. Au Canada, les grandes caisses de pension fonctionnent comme des entreprises de gestion et leur CEO obtient une rémunération de manager. Selon le rapport de gestion 2023 de CPP Investments, John Graham, président et CEO, a obtenu une rémunération de 5,38 millions de dollars en 2023, contre 5,35 millions l’année précédente. Le directeur financier (CFO) a reçu 1,19 million de dollars. Auprès d’OTPP, la rémunération du président et CEO, Jo Taylor, s’est élevée à 5,2 millions de dollars. 

Il existe peut-être tout de même quelques éléments que les institutions suisses pourraient s’approprier, notamment une plus grande marge de manoeuvre dans les placements. Le taux minimum LPP de 1,25% est un indicateur de la faible prise de risque des caisses de pension et du montant très médiocre qui revient aux assurés. 

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