Les investisseurs ont-ils perdu la raison?

François Savary, Prime Partners

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Le scénario de «boucle d’or» refait surface alors que les craintes de récession étaient prégnantes, il y a quelques mois encore.

Quelle année 2019 pour les marchés actions, surtout si l’on se remémore les sombres perspectives qui dominaient à la fin de l’an dernier. Avec des progressions souvent comprises en 10% et 12% sur les principaux indices des pays développés, le Japon fait figure de parent pauvre (6%) alors que la Chine explose (plus de 22%). Le scénario de «boucle d’or» refait surface alors que les craintes de récession étaient prégnantes, il y a quelques mois encore. Tout se passe comme si le dernier trimestre 2018, calamiteux pour les bourses, n’avait été qu’une «mauvaise plaisanterie» ou mieux encore un «magnifique piège» pour les esprits chagrins trop prompts à annoncer l’émergence d’un inévitable bear market.

Il est vrai que les banquiers centraux sont passés par là, comme nous le pensions à la fin de l’an dernier. Le rebond des conditions financières qui s’est mis en place depuis janvier est la cause principale de la reprise marquée des indices, il ne faut pas se voiler la face!

On ne peut pas dire que les conditions fondamentales ont de quoi justifier
l’enthousiasme des investisseurs pour les actions.

Un regard sur les fondamentaux laisse une impression toute autre. Qu’il s’agisse des chiffres économiques, qui au mieux laissent entrevoir une stabilisation des conditions conjoncturelles mondiales, ou des attentes de croissance bénéficiaire, qui n’ont pas réellement connu d’inversion de leurs révisions baissières, on ne peut pas dire que les conditions fondamentales ont de quoi justifier l’enthousiasme des investisseurs pour les actions.

En fin de compte, cet écart entre les conditions de liquidités d’une part et la réalité de la croissance économique et de celle des bénéfices de l’autre constitue un dilemme qui n’est pas durablement soutenable. La progression des indices est en effet fondée sur une nouvelle expansion des multiples, qui les rend vulnérables.

Tout se passe comme si les investisseurs avaient décidé de miser sur une extension du cycle économique mondial, dans le sillage du changement de cap monétaire des grands argentiers. Or, ce dernier est avant tout le résultat d’une perte de visibilité sur l’avenir de la conjoncture et d’une appréciation plus négative des risques qui pèsent sur celle-ci. Le discours des banques centrales est à cet égard très clair, même si les investisseurs semblent s’en moquer. Pourtant, ils seraient bien inspirés d’écouter les grands argentiers, de ne pas ignorer le fait que la croissance US ralentit, que la Chine peine à stabiliser sa conjoncture et que le modèle allemand de croissance «mercantiliste» affiche des ratés inquiétants – ce n’est pas le seul d’ailleurs.

Il faut se méfier des théories qui veulent que nous vivions une période différente
des précédentes et que les concepts d’hier sont éculés.

La liquidité ne pourra pas, à elle seule, supporter une progression complémentaire des bourses. L’expansion des multiples ne pourra se poursuivre éternellement ou alors le hausse des marchés en deviendra d’autant plus vulnérable, sans aller jusqu’à parler de bulle! Le «gap» liquidité-fondamentaux ne pourra pas se creuser indéfiniment, d’autant plus qu’une telle évolution serait la meilleure preuve que l’hypothèse d’une nouvelle extension du cycle économique est erronée. Il faut d’ailleurs toujours se méfier des théories qui veulent que nous vivions une période différente des précédentes et que les concepts d’hier sont éculés; ce genre de raisonnement est souvent ce qui finit par générer les bulles.

Je ne sais pas si les investisseurs ont perdu la raison mais il me semble que l’optimisme des dernières semaines est excessif au regard des fondamentaux. A contrario, je reste dubitatif sur les scénarios les plus pessimistes qui voient dans le rebond actuel une forme de «bear market rally» qui doit inciter à quitter les marchés tant qu’il en est encore temps. Prendre des profits après une progression significative des bourses au cours du premier trimestre 2019 est l’option que nous privilégions. C’est la voix de la raison!

Gérer les risques et afficher une grande flexibilité tactique constituent une combinaison à privilégier, quitte à abandonner quelques pourcents de performance, si le scénario de «boucle d’or», désormais largement intégré, devait se matérialiser; rien ne permet de dire en l’état que tel sera le cas. En outre, les marchés actions avancent lentement mais surement vers la saison des bénéfices du premier trimestre 2019, qui constituera à n’en pas douter un test crucial pour le «gap» liquidités-fondamentaux sur lequel le rallye actions de 2019 s’est (dangereusement?) construit.

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