Le bruit du marché

Philip Bold, Ethenea Independent Investors

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Les fluctuations sur les marchés financiers sont considérables, car les acteurs du marché dont les anticipations divergent se bagarrent autour du «vrai» prix.

  • Dans ce contexte, les prévisions qui formalisent les anticipations sont insuffisantes. Elles se basent sur des simplifications de la réalité qui ne sont pas crédibles.
  • Pourtant, elles sont nécessaires. Les prévisions sont indispensables pour s'orienter dans le bruit des marchés et pour naviguer entre les opportunités et les risques.

La théorie et la pratique s'opposent souvent sur les marchés financiers. Il y a déjà des désaccords sur des points fondamentaux, par exemple la formation des prix. Si les marchés sont efficients – selon la théorie – les acteurs rationnels veillent à ce que les nouvelles informations soient immédiatement reflétées dans les prix. En revanche, la pratique montre une autre image: même en l'absence de nouvelles (ayant une incidence sur les prix), on observe des fluctuations erratiques. Si l'on fait abstraction de la fable de l'homo œconomicus, qui constitue une prémisse des modèles théoriques, l'hétérogénéité des attentes des acteurs du marché ainsi que l'insuffisance des prévisions contribuent aux caprices des prix.

Que les prix se forment par le mécanisme superficiel de l'offre et de la demande – c’est acquis. Ce qui est essentiel, c'est la raison sous-jacente, à savoir l'anticipation de l'avenir, qui incite les acteurs du marché à agir à des prix correspondants. Les anticipations divergentes des acteurs du marché aboutissent à un prix qui reflète l'expression de l'avenir reconnue par consensus comme la plus probable. Si les attentes changent – même en l'absence de nouvelles (ayant une incidence sur les prix), par exemple si les acteurs du marché adaptent leurs prévisions et agissent en conséquence – le prix d'équilibre change également. Il oscille en permanence, comme un compromis, entre les différentes expressions possibles de l'avenir.

Bien entendu, tous les acteurs du marché ne sont pas en mesure de modéliser des scénarios futurs précis. Cet exercice est généralement effectué par des analystes qui ont une influence importante sur la formation du consensus. Néanmoins, chaque investisseur a probablement des attentes futures au moins implicites qui le poussent à agir. Or, ces prévisions – qu'elles soient explicites ou implicites – s’apparentent plutôt à une navigation à l’aveugle.

«Si les prévisions économiques sont si peu fiables, c'est parce qu'elles reposent sur des modèles déterministes, qui ne tiennent pas compte de la réalité», Philip Bold.

L'affirmation de la capacité de prévision vaut à elle seule le coup d'œil. Les prévisions se basent sur des modèles dans lesquels la réalité est réduite à des points et des références essentiels. En économie, les modélisations sont caractérisées par des relations de causalité déterministes. Autrement dit: Une donnée de départ aboutit à un résultat clairement défini. Certes, cela a du sens dans les sciences naturelles, où l’on constate des phénomènes récurrents. Dans la science économique, qui est une science sociale marquée par l'évaluation et l'action humaines, les affirmations de modèles déterministes sont toutefois problématiques. En effet, la modification d'un facteur d'entrée ne modifie pas seulement la sortie de manière monocausale, mais aussi de manière interdépendante les autres facteurs d'entrée ; parfois même, de nouveaux facteurs d'influence apparaissent.

Fixation des prix, investissements, adaptation des produits, interventions réglementaires: toutes les décisions ont des implications pour les concurrents, les fournisseurs, les clients et les investisseurs, qui réagissent à leur tour de manière dynamique aux changements. La réalité est marquée par ces références auto-influentes. Cela modifie les systèmes dans leur ensemble. Dans la modélisation économique, cette dynamique est toutefois limitée par l'hypothèse «ceteris paribus» (toutes choses égales par ailleurs), qui suppose que les conditions marginales restent inchangées. Les acteurs économiques ne se voient pas accorder la capacité d'adaptation et la flexibilité dont ils font preuve dans la réalité. Les prévisions supposent donc une précision qui n'existe pas.

Malgré ces imperfections, les prévisions ne sont pas complètement vaines. Elles offrent des garde-fous pour évaluer le profil risque-opportunité des classes d'actifs et des titres individuels. Non pas comme des estimations ponctuelles, mais comme des orientations. Dans ce contexte, il est d'une part important de conserver un positionnement construit sur des hypothèses solides, même si le bruit à court terme s'y oppose. D'autre part, il est également essentiel de rester flexible et de reconsidérer les positionnements dès que de nouvelles informations remettent en question la thèse de départ de l'investissement. Dans le bruit du marché, dans la lutte pour le «vrai» prix, il y aura toujours des opportunités.

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