La transition énergétique selon Elon Musk

Bruno Allain, Quaero Capital

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Que l’on apprécie ou pas le personnage, le plan de décarbonation de l’économie présenté par Tesla le mois dernier mérite qu’on s’y intéresse.

Ses excès, sa mégalomanie et sa conception très personnelle de la gouvernance ont fait d’Elon Musk un personnage particulièrement clivant. Que l’on apprécie ou pas le personnage, il n’en reste pas moins que le plan de décarbonation de l’économie présenté par Tesla le mois dernier mérite qu’on s’y intéresse.

«Master Plan 3», un document d’une quarantaine de pages sous-titré Sustainable Energy for All of Earth, est en réalité une feuille de route pour aller vers une économie décarbonée.

De nombreux organismes, l’Agence Internationale de l’Energie en tête, présentent régulièrement ce type de projections et communiquent sur ce à quoi pourrait/devrait ressembler une trajectoire net zéro. Si la démarche n’est pas nouvelle, il convient de relever certains éléments du Plan présenté par Tesla.

Que trouve-t-on dans le Master Plan 3?

L’étude propose une «voie» vers une économie décarbonée («a path to reach a sustainable economy») tout en en chiffrant le coût et en en estimant la faisabilité.

Le plan pour éliminer les énergies fossiles

Tesla propose six étapes pour la plupart assez classiques (comme le passage à une génération d’électricité 100% renouvelable ou la migration vers les pompes à chaleur ou encore l’électrification des transports). Plus innovant, le sixième point étudie l’aspect industriel de la transition. Autrement dit : comment bâtir les capacités de production nécessaires pour la transformation de l’économie?

Ce dernier point est devenu une pierre d’achoppement majeure dans le débat sur le climat. En effet, de futures pénuries de minerais, le manque d’usines ou de travailleurs qualifiés, sont régulièrement évoqués pour remettre en cause la faisabilité de la transition… ou justifier un certain immobilisme.

Tesla apporte une réponse circonstanciée sur ces sujets et juge que, sur la problématique industrielle, la transition sera certes coûteuse (voir plus loin) mais qu’elle est parfaitement réalisable. Difficile de balayer d’un revers de main l’avis de Tesla sur ce sujet si l’on songe que le succès de la société est notamment lié à son excellence opérationnelle au niveau de la production.

Les résultats du modèle

Le Plan insiste sur l’inefficience du modèle énergétique actuel qui repose sur les énergies fossiles. Seule 36% de l’énergie primaire est aujourd’hui transformée en chaleur ou énergie « utile » pour l’économie.

Les véhicules électriques (VE) sont, quant à eux, 4 fois plus efficaces que les véhicules thermiques et les pompes à chaleur sont 3 fois plus efficaces que les chaudières au gaz.

D’après le Plan, nous pourrons ainsi remplacer 125 PetaWatt heure (PWh)1 par an provenant des énergies fossiles par «seulement» 70 PWh par an fournis par des énergies renouvelables (soit une baisse de -44% grâce à l’électrification) dont 4 PWh pour la production industrielle des renouvelables.

Pour produire une telle quantité d’énergie, et donc d’électricité, il faudrait des capacités totales de 12,1 TW d’éolien et de 18,3 TW de solaire, soit un total de 30,3 TW (dont 4,3 TW pour la seule production d’hydrogène vert, soit 14% de la capacité de production mondiale).

Le Plan estime également les besoins totaux en batteries à 240 TWh. De manière contre-intuitive, le basculement vers les VE représente moins de la moitié du total nécessaire (112 TWh) ce qui confirme les besoins colossaux de stockage pour d’autres secteurs que le transport.

Investissements nécessaires

Le Plan estime les investissements initiaux pour bâtir les infrastructures industrielles nous permettant d’arriver à une économie décarbonée à 5'200 milliards de dollars dont 890 milliards pour les usines de VE, 1'090 milliards pour les usines de batteries ou encore 577 milliards pour les électrolyseurs.

En incluant les investissements de maintenance, la «facture» monterait au total à 10'000 milliards sur 20 ans. Mais l’étude précise que ces montants sont très inférieurs aux investissements dont auraient besoin les énergies fossiles sur la même période: 14'000 milliards.

Activités minières et recyclage

Le Plan met en lumière plusieurs tendances que les experts du secteur soulignent régulièrement:

  1. Des besoins d’investissements colossaux chiffrés à 1'160 milliards de dollars
  2. 57% de ces investissements seraient consacrés à la partie raffinage (contre 43% pour les activités minières elles-mêmes) souvent identifiée comme possible goulet d’étranglement
  3. Les investissements les plus importants seront pour le lithium (374 milliards) et le graphite (282 milliards). La production de cuivre, moins souvent évoqué comme un minerai de la transition, aurait besoin de 215 milliards
  4. Estimés à 215 milliards, les investissements à faire dans le recyclage de minerais sont également très conséquents mais décolleront à partir de la prochaine décennie

Le rapport arrive à la conclusion que, sous réserve de faire les investissements susmentionnés, aucun minerai indispensable à la transition ne présente de risque de pénurie durable.

Faut-il encore écouter Elon Musk?

Nous aurions tendance à dire que quand celui qui a anticipé l’électrification des transports et de l’économie une décennie avant tout le monde propose une voie vers la transition énergétique, il serait dommage de ne pas l’écouter.

Le Master Plan 3 conclut: «La modélisation révèle qu’un futur électrique et durable est techniquement envisageable et qu’il nécessite moins d’investissements et d’extraction de matières premières que la poursuite de notre modèle économique insoutenable.»

 

1 Un PetaWatt heure = 1000 TeraWatt heure. RTE estimait la consommation d’énergie française en 2021 à 1'600 TWh ou 1,6 PWh)

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