L’inflation «oublie» le coût du crédit

Emmanuel Garessus

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Les bonnes nouvelles de l’inflation peinent à augmenter le sentiment des consommateurs. Au sein des chercheurs, le débat fait rage sur le besoin d’intégrer le coût de l’argent dans le coût de la vie.

Erreur sur l’indice des prix? Les économistes parlent d’anomalie en constatant le niveau déprimé du sentiment des consommateurs qui contraste avec les bonnes nouvelles provenant de la baisse de l’indice des prix à la consommation. La raison de cet écart provient en grande partie du coût des emprunts des ménages qui s’est envolé à la suite des politiques monétaires restrictives. 

Cette hausse de la charge financière des ménages n’est pas prise en compte dans l’inflation mesurée par l’indice des prix à la consommation (IPC), selon une étude (The cost of money is part of the cost of living: New évidence on the consumer anomaly; NBER WP, février 2024). Ses auteurs sont les économistes Marijn Bolhuis (FMI), Karl Oskar Shulz (Harvard), Judd Cramer (Harvard) et Lawrence Summers (Harvard).  Faut-il dès lors corriger l’indice des prix, censé refléter le coût de la vie du consommateur? Coût de la vie et coût de l’argent ne font-ils pas bon ménage?

«Le sentiment des consommateurs est fortement corrélé au coût des emprunts (logement et automobile) et à l’offre de crédit aux ménages».

Le sentiment des consommateurs est fortement corrélé au coût des emprunts (logement et automobile) et à l’offre de crédit aux ménages. Comme ce coût atteint des sommets cette année, le moral des consommateurs est extrêmement faible malgré le ralentissement de l’inflation et le très bas niveau du chômage. Cette situation porte sur les Etats-Unis, mais il est en grande partie valable dans d’autres pays de l’OCDE, comme le montre cette étude, à l’exception notable du Royaume-Uni. 

Le coût des hypothèques a triplé

Les consommateurs considèrent que le coût de l’argent fait partie du coût de la vie. Le niveau des taux hypothécaires et le coût du leasing automobile réduisent en effet leur pouvoir d’achat, d’autant que les banques restreignent les conditions du crédit. 

Aux Etats-Unis, les prix des maisons ont augmenté de 50% depuis le début de la pandémie, le coût des hypothèques à 30 ans a triplé depuis le début 2021 et le prix des paiements d’un crédit automobile a augmenté de plus de 80%. Pendant ce temps, l’indice des prix à la consommation a augmenté de 20% depuis la fin 2019, note l’étude. Cet indice d’inflation publié chaque mois par les autorités ignore les paiements d’intérêts sur le logement depuis 1983 et sur les crédits pour l’achat de véhicules. Avant cette date, il les intégrait si bien qu’une politique monétaire plus restrictive provoquait une hausse de l’indice et que ce dernier était très volatile. Aujourd’hui, le logement représente 26% de l’indice et les achats automobiles 7%. En Suisse d’ailleurs, la composante logement, qui se centre sur les loyers, représente 17% du panier du consommateur.

Fort du constat d’un impact majeur du coût de l’argent sur le sentiment des consommateurs, les auteurs développent une mesure alternative de l’indice des prix à la consommation. Ils intègrent notamment une autre mesure du coût du logement. La méthodologie actuelle s'appuie uniquement sur le marché de la location pour imputer la variation du prix de l'équivalent loyer des propriétaires. L’intégration de ces deux éléments (crédits au logement et aux automobiles) réduit de 70% l’anomalie exprimée par le sentiment des consommateurs.

Plus fondamentalement, le logement fait-il partie de la consommation? Certes, il fournit un service de base, le logement, qui est consommé au quotidien. Mais c’est très souvent le plus grand investissement effectué durant leur vie par de nombreux ménages. 

Distinguer coût de la consommation et coût de la vie

Ce travail majeur sur l’indice des prix est critiqué sur le blog d’econlib par Cameron Harwick, un économiste et professeur associé à SUNY Brockport. Ce dernier le rappelle fort justement: le «coût de la consommation» est une notion très différente du «coût de la vie» et des «dépenses typiques d'un ménage». «Tout d'abord, si notre mesure est le bien-être du consommateur, nous nous intéressons aux coûts prospectifs des décisions de consommation futures, et non aux dépenses rétrospectives. D'un point de vue plus pratique, deux problèmes fondamentaux séparent ces deux conceptions: (1) toutes les dépenses des ménages ne sont pas de la consommation et (2) toutes les consommations des ménages ne sont pas des dépenses, même si elles ont un coût.» Plus fondamentalement, ajoute-t-il, la consommation désigne la satisfaction des besoins actuels, par opposition à l'investissement, qui consiste à dépenser aujourd'hui pour satisfaire des besoins futurs.

«Le «coût de la consommation» est une notion très différente du «coût de la vie» et des «dépenses typiques d'un ménage».

L’indice des prix à la consommation (IPC) doit donc s’intéresser au coût de la satisfaction des besoins actuels. Dans le cas du logement, une maison est un investissement, avec toute l'incertitude que cela comporte sur sa valeur. C’est pourquoi un office statistique préfère souvent les prix des loyers au lieu des prix des logements.  Cameron Harwick note que les biens de consommation durables sont pris en compte dans l'IPC, non pas avec leur prix de vente, mais avec leur coût d’utilisation,. Pour Cameron Harwick, le taux d'intérêt, fondamentalement, est le prix de l'investissement, pas de la consommation, et tout effet indirect sur le prix de la consommation est pris en compte dans l’IPC. Il peut affecter la richesse et le sentiment, même si le coût de la consommation est inchangé.

Harwick rappelle que les économistes se demandent d’abord si les revenus augmentent plus ou moins vite que les prix. Il ajoute que l’étude nous fait remarquer «que les actions politiques visant à contenir l’inflation- même si elles sont couronnées de succès! - peuvent avoir des effets importants sur les types d'investissements que les consommateurs sont susceptibles de réaliser, ce qui peut constituer un facteur important dans la dynamique politique de l’inflation.»

Néanmoins, assure Harwick, «il est également important de disposer d'une mesure qui corresponde approximativement au coût de la consommation dans un sens prospectif, car c'est le facteur principal dans les décisions des consommateurs à l'avenir et dans l'estimation de la valeur de l'argent dans le temps en termes de besoins qu'il peut satisfaire». Mais l’indice des prix de la consommation ne doit pas être une mesure du coût de la vie.

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