IA: le bon, la brute et la bulle

Steen Jakobsen, Saxo Bank

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Le marché progresse en sélectionnant les gagnants alors que les valorisations actuelles ne tiennent pas suffisamment compte des gains futurs à plus long terme.

«Les récessions sont des périodes pendant lesquelles les économies sont au régime» - Paul Samuelson, économiste.

Lors de cycles économiques normaux, les banques centrales remontent les taux d’intérêt pour répondre à une forte inflation, un marché du travail tendu, et aux conditions financières accommodantes – à l’image d’aujourd’hui. Elles resserrent donc leur politique monétaire dans le but de «donner un coup de froid» à l’économie afin d'éviter des «surchauffes» qui pourraient aggraver une potentielle récession. Depuis la crise de 2008, les banques centrales étaient pour le moins réticentes à l’idée de déclencher une récession en portant les taux d'intérêt à un niveau qui freine véritablement l'activité.

Le marché pense que la Fed en a fait assez avec ses 500 points de base de hausse, mais la réalité est que, dans la plupart des cycles économiques, les fonds de la Fed doivent au moins correspondre au PIB nominal afin de ralentir suffisamment l'activité économique pour réduire l'inflation et agir sur un marché de l'emploi tendu. Mais il semblerait que le double mandat de stabilité des prix et de plein emploi ait été remplacé par une priorité absolue: pas de récession, ou, pour reprendre la métaphore de Samuelson citée au début de cet article, «pas de régime».

Après la pandémie de COVID-19, nombreux sont ceux qui pensaient que l'économie reprenait une trajectoire normale. Ils pensaient que les taux d'intérêt bas continueraient à soutenir la croissance et qu'un «atterrissage en douceur» était possible. Ce point de vue était toutefois bien naïf. L'économie est actuellement surendettée et les valorisations des actifs atteignent des sommets. Un «atterrissage en douceur» est très peu probable dans cet environnement et, en tant que concept économique, il est extrêmement rare!

Si en surface, la «mer» économique semble calme, avec une volatilité à des niveaux extrêmement bas, de forts courants et contre-courants, sous la ligne de flottaison, annoncent un second semestre 2023 difficile.
Peu de probabilité de récession imminente

L'économie mondiale ressemble davantage à une rivière qui a été endiguée. Le barrage représente les différents facteurs qui ont freiné la croissance économique, tels que la pandémie de COVID-19, les perturbations de la chaîne d'approvisionnement et la guerre en Ukraine.

Lorsque ces facteurs commenceront à se dissiper, le barrage commencera à se rompre et la rivière s'écoulera plus librement. Cela conduira à une extension et à une résurgence de la croissance économique et de l'inflation, contrairement au consensus dominant qui prévoit une récession imminente accompagnée d'un resserrement du crédit et d'une crise de l'immobilier. Le déblocage de ces obstacles permettra à l'économie dans son ensemble d'éviter une récession profonde, voire mineure, même en termes de PIB réel.

Cela signifie que la Fed et l'économie auront un taux d'exécution en termes de PIB nominal plus élevé que prévu. La demande accumulée au niveau des États et des entreprises, ainsi que dans le cadre de l'IRA (Inflation Reduction Act) et du CHIPS and Science Act, est amplement suffisante pour maintenir l'emploi à un niveau élevé.

Vers une potentielle bulle

Le contexte politique insuffisamment restrictif a créé une bulle potentielle sur le marché boursier. Cette année, la valorisation a été stimulée par trois facteurs: la mini-crise des banques de la Silicon Valley et des banques régionales, les problèmes liés au relèvement du plafond de la dette, et la surévaluation des méga et grandes capitalisations associées à l'introduction d'applications de chat génératives (OpenAI et Google's Bard).

Les deux premières ont créé une injection de liquidités de plus d'un milliard de dollars. La troisième est devenue le moteur de prix super-exponentiels pour les valeurs les liées à l'IA. Le battage médiatique autour de l'IA, comparant ce moment avec l’arrivée de l'iPhone ou l'introduction de l'internet, est une des causes de la dernière flambée des marchés boursiers. Il ne s'agit pas de critiquer l'IA, car nous sommes tout à fait conscients du potentiel de l'IA générative pour accroître la productivité au fil du temps. Le marché progresse en sélectionnant les gagnants alors que les valorisations actuelles ne tiennent pas suffisamment compte des gains futurs à plus long terme.

Si en surface, la «mer» économique semble calme, avec une volatilité à des niveaux extrêmement bas, de forts courants et contre-courants, sous la ligne de flottaison, annoncent un second semestre 2023 difficile. Nous ne sommes pas en mesure de prévoir l'évolution des marchés, mais nous savons reconnaître la formation d'une bulle et les données qui ne vont pas dans ce sens. Cette bulle, comme toutes les bulles, s'accélère lorsque les données fondamentales ne correspondent pas au discours.

La bonne nouvelle est qu'une récession profonde est peu probable. La mauvaise nouvelle est que les taux d'intérêt devront rester élevés plus longtemps. Nous ne pensons tout simplement pas que «l'audio corresponde à la vidéo» lorsque nous parlons de l'économie mondiale.

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