France: la réforme des retraites n’aura pas lieu

Bruno Cavalier, ODDO BHF

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Ou, si elle a lieu, ce ne sera pas dans la forme et selon le calendrier souhaités par le gouvernement.

© Keystone

Officiellement, le but est la création d’un régime universel de retraite remplaçant à terme la multiplicité des régimes existants. Il y aurait un gain de transparence (pilotage du système) et d’équité (disparition des régimes spéciaux). Il y aura inévitablement des perdants. Un an après les «gilets jaunes», on ne voit pas Emmanuel Macron prendre le risque d’une crise sociale bloquant le pays durablement. La réforme sera différée, amendée ou bien rachetée par des concessions à ceux dont la capacité de nuisance sociale est la plus forte.

Le système de retraite français étant assis sur le principe que les cotisations des actifs servent à payer les pensions des retraités, il est impossible d’aborder ce sujet sans quelques considérations touchant à la démographie. Au début des années 1980, il y avait près de 3 cotisants pour chaque retraité; ce ratio est tombé à 1,7, il est projeté à 1,5 d’ici 2040. L’entrée tardive des jeunes dans la vie active et, surtout, l’allongement de la durée de la vie ont bouleversé le fondement même du système de répartition. Selon le Conseil d’Orientation des Retraites, l’espérance de vie des personnes ayant atteint 60 ans était en 2015 de 27,4 ans pour les femmes, 22,9 pour les hommes, soit +1,0 et +1,5 en dix ans. C’est un gain de 1,2 année pour les femmes et 1,5 pour les hommes qui est projeté en moyenne pour chaque décennie jusqu’en 2060 (graphe de gauche).

France: espérance de vie à 60 ans

Source: COR, Oddo BHF Securities

Si l’on souhaite préserver le niveau des pensions sans augmenter le montant des cotisations, il faut d’une manière ou d’une autre relever le ratio cotisants/retraités, soit en stimulant le taux d’emploi, soit en retardant l’âge de départ en retraite. C’est le b.a.-ba. Age effectif de départ, durée et montant des cotisations, niveau des pensions, il y a quelques paramètres incontournables à l’examen du problème des retraites.

En France, l’âge légal ouvrant droit à une pension de retraite, éventuellement avec une décote si la durée de cotisation n’est pas atteinte, est de 62 ans. L’âge effectif est un peu plus élevé dans le secteur privé, mais nettement plus bas dans les administrations.

France: âge effectif de départ en retraite

Source: COR, Oddo BHF Securities

La tendance est légèrement haussière par suite de précédentes réformes des retraites faites en 1993, 2003 et 2010. Le taux de remplacement, défini comme le revenu médian des retraités par rapport au revenu de la population de 50-59 ans, est de 67%, contre une moyenne de 61% dans l’UE. En somme, le système des retraites français est plus onéreux que dans les autres pays européens. Selon Eurostat, les dépenses de retraites représentaient 12,8% du PIB en moyenne dans l’UE en 2015, mais 15% en France, qui est dépassée en ce domaine par seulement deux autres pays, l’Italie (16,5%) et la Grèce (17,8%).

Le projet du gouvernement n’est pas une réforme «paramétrique», officiellement du moins, ce qui oblige à certaines contorsions. Sans toucher à l’âge légal, on introduit le concept d’âge pivot par rapport auquel seraient calculées des primes ou décotes afin d’inciter à allonger la durée d’activité. La réforme se veut «systémique»: le but est de substituer à la multiplicité des régimes existants (42) un régime unique. Le calcul des pensions ne se ferait plus en fonction des annuités de cotisation, qui peuvent être différentes selon les cas particuliers, mais sur la base d’une accumulation de points tout au long de la carrière professionnelle. La valeur du point serait identique pour tous les cotisants, qu’ils soient salariés du secteur privé, entrepreneurs indépendants, employés d’entreprises publiques ou fonctionnaires, assurant de la sorte l’équité du nouveau système. La bascule sur le nouveau système est supposée débuter à compter de 2025. Tel est le projet préconisé par le Haut-Commissaire du gouvernement dans un rapport publié en juillet 2019. Un sondage récent indiquait qu’hormis l’abolition des régimes spéciaux, vus comme des avantages bénéficiant à une minorité d’individus mais dont le coût est en partie à la charge de la collectivité, la majorité des mesures destinées à viabiliser le système des retraites sont majoritairement rejetées.

France: l'opinion et la réforme des retraites

Source: BVA, instituts de sondages, Oddo BHF Securities

Bref, les motifs de modifier le système actuel ne manquent pas. Primo, ce système n’est pas viable du fait des évolutions démographiques. Secundo, il est complexe à piloter compte tenu du grand nombre de régimes existants, ce qui par ailleurs offre peu de visibilité aux actifs quant à leurs droits de retraite. Enfin, il apparaît peu équitable au plan social puisqu’il juxtapose des régimes dont les règles peuvent différer largement. Mais ces (bonnes) raisons ne sont pas un gage de réussite, loin s’en faut.

Tout d’abord, à moins que la chose nous ait échappé, il n’y a eu aucun effort sérieux de communication gouvernementale à destination de l’opinion publique pour la convaincre du bien-fondé de sa démarche. La longue consultation qui a eu lieu était une affaire d’experts, ce qui est certes nécessaire, mais le dire d’experts (même s’il était unanime, ce qui n’est pas le cas) n’a plus la cote dans nos sociétés. De Trump au Brexit aux «gilets jaunes», c’est plus souvent la parole des non-experts, pour le dire gentiment, qui domine. Il y a une bataille d’opinion à mener. De ce point de vue, les choses semblent mal engagées pour le gouvernement. Le sondage le plus récent indique que 29% des sondés sont favorables à la réforme, en baisse de 5 pts en deux mois (44% contre, 23% neutre). Encore faut-il compter dans ce chiffre le soutien des sondés de 65 ans et plus (à 49%), c’est-à-dire de ceux qui ne seront jamais concernés par la réforme. Le Français, comme souvent, est prêt aux réformes… mais pour son voisin.

De plus, la réforme des retraites a souvent été présentée par son initiateur lui-même, Emmanuel Macron, sous l’angle politique, et elle analysée comme telle. Il veut montrer qu’il reste un réformateur malgré les oppositions et les critiques suscitées par les autres réformes déjà accomplies (code du travail en 2017, statut de la SNCF en 2018, assurance-chômage en 2019). Le résultat est que la réforme des retraites est attaquée autant pour elle-même que pour l’impopularité du président. Même s’il a réussi à remonter la pente suite à la crise des «gilets jaunes», survenue il y a un an, Emmanuel Macron n’est pas populaire.

France: cote de confiance d'Emmanuel Macron

Source: BVA, instituts de sondages, Oddo BHF Securities

Ses prédécesseurs l’étaient souvent moins encore, et cela ne préjuge en rien de ses chances de réélection en 2022. La réforme des retraites va être l’occasion d’exprimer un mécontentement qui affleure dans bien des domaines. Le compte à rebours d’ici la journée noire dans les transports prévue le 5 décembre est lancé. Avant et surtout après, il y a de fortes chances de voir le projet de réforme des retraites dilué ou différé d’une manière ou d’une autre.

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