Cinq raisons pour considérer les obligations émergentes en monnaie locale

Carl Vermassen & Thierry Larose, Vontobel Asset Management

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Malgré l'énorme croissance de la classe d'actifs, les obligations émergentes en monnaie locale restent souvent sous-considérées.

Carl Vermassen

 

Alors que de nombreux actifs sont pris en compte, les obligations émergentes en monnaie locale restent souvent sous-considérées, malgré l'énorme croissance de la classe d'actifs. Voici les raisons pour lesquelles les investisseurs devraient lui accorder une place plus pérenne dans leur portefeuille.

1. Un marché incontournable pour l'avenir

L'émission de dette émergente en monnaie locale s'est accélérée ces dernières années, réduisant le risque de convertibilité et éclipsant l'univers des marchés émergents en monnaie forte en termes de taille. Ce n'est pas une surprise : la plupart des pays aspirent à émettre uniquement dans leur propre monnaie.

C'est pourquoi nous pensons que les marchés émergents en monnaie locale sont le marché incontournable de l'avenir, car ils associent de bonnes performances à une meilleure liquidité. Et bien que ce caractère inéluctable ne soit pas une garantie de bonne performance pour l'investisseur, il est temps d'y prêter un peu plus d'attention.

2. Un contexte fondamental et une politique solide

Les économies émergentes ont tiré les leçons des crises passées, ce qui a conduit à des politiques budgétaires plus disciplinées et à des politiques monétaires plus proactives. De nombreux pays ont adopté des régimes de taux de change flottants, ce qui leur confère une certaine souplesse face aux chocs extérieurs et améliore leur balance des paiements. Cela a permis une meilleure accumulation des réserves de change, et donc une plus grande flexibilité de leurs politiques monétaires. Si ce n'est pas partout le cas, c'est bien ce qui se passe dans tous les pays de l'indice des monnaies locales des pays émergents (J.P. Morgan GBI-EM Global Diversified), à l'exception de la Turquie. Bien que le pays soit notoirement inflationniste, il semble aujourd'hui faire marche arrière, comme en témoigne son revirement politique l'année dernière.

Les économies émergentes ont tiré les leçons des crises passées, ce qui a conduit à des politiques budgétaires plus disciplinées et à des politiques monétaires plus proactives. 

En outre, les économies des principaux pays émergents sont devenues de plus en plus robustes en se diversifiant et en ne dépendant plus d'un seul secteur ou d’un seul produit de base, en favorisant une croissance durable grâce à l'essor des secteurs des services et de la technologie. Les systèmes financiers ont été renforcés et les cadres réglementaires améliorés, ce qui a renforcé les secteurs bancaires et réduit leur vulnérabilité. L'indice de complexité économique (ICE) illustre le degré d'évolution d'une économie. L'ICE commerce, soit l’ICE traditionnel, est «basé sur la géographie du commerce et traduit la sophistication des exportations d'un pays». Il «estime la capacité d'un pays à produire et exporter des produits complexes qui requièrent un niveau élevé de connaissances et de compétences». La complexité économique est fortement corrélée au PIB par habitant et s'est avérée être un bon indicateur de croissance économique future.

Même d'un point de vue géopolitique, nous pouvons identifier un contexte plus solide, même si cela peut sembler quelque peu contre-intuitif. Initiée par la crise financière mondiale de 2008, intensifiée par les politiques protectionnistes de Trump et consacrée par l'accent mis sur l'autosuffisance pendant la Covid, la tendance générale semble être à la réduction des échanges commerciaux et au rétrécissement et à l'atténuation des risques des chaînes d'approvisionnement. Nécessairement, cela jette un doute sur l'avenir du modèle chinois axé sur les exportations et, par extension, sur les perspectives des économies émergentes sous-traitantes.

Toutefois, si les facteurs susmentionnés ont effectivement contribué de manière significative à la décélération de la part du commerce dans le PIB mondial au cours de la période 2008-2020, les chiffres les plus récents indiquent qu’elle a atteint son plus haut historique, à 63% du PIB en 2022.

Nous pensons que dans le climat actuel, les résultats positifs moins apparents du paysage politique l'emportent sur les impacts négatifs:

a. De nombreux pays émergents refusent de prendre parti dans les questions géopolitiques, ce qui leur permet de profiter directement des frictions. Par exemple, l’Inde paie moins cher son énergie grâce au pétrole russe à prix réduit.
b. En outre, la géopolitique a également donné le coup d’envoi de la tendance au «friend-shoring» ou «la délocalisation amicale», qui permet à des pays comme le Vietnam, l'Indonésie, la Thaïlande, l'Inde, la Malaisie, le Brésil ou le Mexique de s'approprier une partie de la croissance des marchés émergents, qui était auparavant tirée par la Chine. Bien que certains puissent faire valoir que ce transfert de production et d'échanges au détriment de la Chine s'accompagne d'une perte d'efficacité, celle-ci ne serait toutefois pas significative et serait de toute façon éclipsée par l'effet du «friend-shoring», qui profiterait à la plupart des pays de l'indice des monnaies locales tout en limitant l’impact négatif à la Chine, qui ne représente que 10% de l'indice.

3. Un puissant moteur de diversification

Le marché des obligations émergentes en monnaie locale s'appuie sur le seul véritable cadeau que nous connaissons sur les marchés financiers: la diversification. Celle-ci est à la fois interne à la classe d'actifs, mais aussi externe, combinée à d'autres classes d'actifs.

La diversification interne de la classe d’actifs provient de sa composition, soit 40 pays répartis sur tous les continents. Ces pays ont non seulement des cycles économiques différents, certains ralentissant leur croissance tandis que d'autres l'accélèrent, mais ont aussi des moteurs économiques fondamentaux différents. Par exemple, certains pays sont exportateurs de matières premières et ont tendance à bien se comporter lorsque les prix des matières premières augmentent, tandis que d'autres pays sont importateurs de matières premières et pourraient en souffrir. Cette grande diversification interne se traduit par une volatilité parfois contre-intuitive. Un investissement sur ce marché est souvent moins volatil qu’un investissement dans les bons du Trésor américain pour un investisseur non basé sur le dollar américain.

La forte diversification externe permet au marché de compléter d'autres actifs sur n'importe quel horizon d'investissement grâce à sa décorrélation. La plupart des portefeuilles afficheront des mesures de risque de volatilité plus faible après l'inclusion du marché. Cependant, contrairement à de nombreuses couvertures, les investisseurs n'ont pas à payer pour réduire le risque de leur portefeuille. Ils sont, au contraire, généreusement payés pour cela.

4. Un positionnement clair

Alors que tous les obligations des pays émergents ont subi de fortes décollectes (près de 120 milliards de dollars au cours des deux dernières années), la monnaie locale a été plus fortement affectée en raison d'années de sous-performance par rapport à la dette en monnaie forte. Les investisseurs croisés sont quasiment absents et les investisseurs spécialisés ne détiennent qu'une fraction de ce qu'ils détenaient en 2013.

Il est notoirement difficile de prédire quand précisément l'appétit mondial pour le risque se tournera vers les monnaies locales, mais nous avons deux convictions. Premièrement, le positionnement est si léger que des gains disproportionnés pourraient être réalisés une fois que les investisseurs auront replongé dans la dette locale des pays émergents. Deuxièmement, si l'avenir ressemble au passé, les flux auront tendance à suivre la performance avec un léger décalage. Nous pensons que la solide performance à deux chiffres du marché après un quatrième trimestre 2023 difficile, devrait contribuer à faire repartir les flux à la hausse.

5. L'assouplissement quantitatif ne subit plus de vent contraire

Il existe une autre raison plus structurelle pour laquelle nous pensons que le vent est en train de tourner pour de bon pour les monnaies locales des pays émergents : la fin de l'assouplissement quantitatif. Pendant près d'une décennie, il a été l'un des principaux moteurs de la sous-performance relative des monnaies locales des pays émergents par rapport à celles en monnaies fortes des pays émergents. Si l'on imagine l'assouplissement quantitatif mondial comme un grand soleil qui réchauffe toutes les classes d'actifs, plus on est proche du soleil et plus on ressent la chaleur. Alors que les actifs des marchés développés achetés directement par les banques centrales ressentiraient la plus forte chaleur, les devises fortes des marchés émergents – intrinsèquement une classe d’actifs en dollars américains - seraient beaucoup plus proches du soleil que les monnaies locales des marchés émergents.

Aussi loin que nous puissions le prédire, l’assouplissement quantitatif dans les marchés développés semble définitivement abandonné. Même la Banque du Japon, pourtant en retard, devrait y mettre fin à son propre assouplissement quantitatif au cours des six prochains mois. Le contexte d'inflation et les répercussions politiques de l'augmentation des inégalités l'ont emporté sur les avantages parfois discutables de l'expansion des bilans. Si l'assouplissement quantitatif fera toujours partie de la boite à outils des banques centrales, l'expansion généralisée des liquidités semble appartenir au passé. D'un point de vue relatif, cela ne peut être que bénéfique pour les marchés émergents.

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