Non, ce n’est pas la fin de l’inflation en Europe

Nicolette de Joncaire

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Chiffrée officiellement à 2,4% en novembre, elle atteint en réalité plus de 4%. Et ne ralentira pas en raison de la hausse des coûts salariaux. Le point de vue de Patrick Artus de Natixis.

L’Europe en route vers 2% d’inflation? «Pas si vite» avertit Patrick Artus de Natixis. Si à novembre, sur un an, les prix n’ont augmenté que de 2,4%, c’est sans tenir compte de l’effet de base, c’est-à-dire de la baisse considérable des prix de l’énergie, des métaux industriels et du fret entre novembre et décembre 2022. L’Europe est loin de s’être débarrassée de l’inflation et le réveil va être rude, autour de février-mars, lorsque la période de référence ne couvrira plus le moment où les cours de l’énergie se sont effondrés. Salaires en hausse, productivité en baisse, l’inflation européenne est là pour durer. Entretien.

Les politiques monétaires adoptées par la Banque centrale européenne sont-elles appropriées?

Avant de parler de politique monétaire, revenons d’abord sur l’inflation. La zone euro est loin d’en être débarrassée: à novembre sur 12 mois, le chiffre officiel est de 2,4% mais ce chiffre est trompeur car l’inflation sous-jacente, hors effet de base, reste élevée. Entre novembre 2022 et janvier 2023, les cours de l’énergie, des matières premières industrielles et du fret ont considérablement chuté. Si l’on omet l’effet de base induit de la prise en compte de cette chute, l’inflation européenne se situe plutôt au-dessus de 4% et le réveil va être douloureux lorsque la période de référence ne couvrira plus ces réductions essentielles. Contrairement aux Etats-Unis qui semblent avoir gagné la lutte contre l’inflation, l’Europe a encore du chemin à faire. Les marchés financiers qui semblent unanimement saluer la baisse de l’inflation, ne paraissent pas avoir tenu compte de cet effet de base et pensent que la BCE va réduire les taux d’intérêt. Mais cela ne lui sera pas possible en raison de l’accélération des coûts du travail.

Pourquoi cet aveuglement des marchés financiers?

Difficile à dire. Peut-être pour préserver l’essor des marchés d'actions qui ont grimpé de 9% quand les taux longs sont passés de 3,70% à 3%.  Etonnamment alors que Christine Lagarde a évoqué cet effet de base, cela n’a paru avoir aucune répercussion sur le sentiment des marchés.

La politique de Biden sera reconduite. Les divergences seront sur la politique internationale, le désengagement militaire, et les impôts que Trump promet de baisser.
Comment se compare la situation en Europe et aux Etats-Unis?

Aux Etats-Unis la désinflation est réelle. Les Etats-Unis ont réussi un soft-landing en maitrisant l’inflation sans affecter la croissance.  La vraie différence tient aux écarts de productivité entre les deux blocs économiques.

La persistance de l’inflation en zone euro tient-elle donc aux coûts du travail?

Oui, à cause d’un marché du travail sur lequel on observe une baisse structurelle de la productivité depuis 2017. Les salaires augmentent: de 4,5% en début d’année, de 5% en ce moment. Corrigés d’une productivité décroissante, les coûts salariaux unitaires (les salaires corrigés de la productivité) croissent de 6% depuis le début de l’année. Alors que les gains de productivité dépassent 2% par an aux Etats-Unis, ils se sont évaporés en Europe depuis bientôt 6 ans.

A quoi tient cette baisse de la productivité européenne?

A quatre paramètres. Le premier est la faiblesse de l’investissement dans les nouvelles technologies. Celui des Etats-Unis est le double de celui de l’Europe. Le deuxième est la faiblesse des dépenses en recherche et développement (R&D): 3,5% du PIB aux Etats-Unis, 2,2% du PIB en moyenne en Europe. Le troisième tient au vieillissement plus important de la population active européenne vis-à-vis de l’américaine. Enfin, en zone euro, la baisse du chômage a concerné les moins qualifiés d’où une hausse de la masse salariale à faible productivité. S’y ajoute une désaffection du travail en Europe de la part des moins de 35 ans. En France, on compte 23 jours d’arrêt-maladie par an en moyenne!

Au sein de l’Europe, comment se répartissent les dépenses de R&D?

En tête, je citerais l’Allemagne, l’Autriche, la Finlande, la Suède et la Suisse. Les pays du sud (Italie, Espagne, Portugal, Grèce) sont en queue de peloton. Pour vous donner une idée, les Etats-Unis investissement 3,5% de leur PIB en R&D, l’Italie 1,2%. Ceci dit, la décision récente de la Cour de Karlsruhe interdisant les réaffectations budgétaires risque fort d’entraver l’effort d’investissement voulu par le gouvernement allemand.

Au niveau européen, le plan de relance (Next Gen EU) parait toutefois considérable?

Il l’est. Davantage que son correspondant américain mais malheureusement le processus d’affectation des fonds est très bureaucratique et très lent.

Que se passera-t-il selon vous lors des élections présidentielles américaines l’an prochain?

Pour l’instant, les sondages donnent Donald Trump gagnant (sauf s’il est condamné par une cour fédérale). Sur le plan de la politique industrielle, je n’envisage aucun changement. La politique de Biden sera reconduite. Les divergences seront sur la politique internationale, le désengagement militaire, et les impôts que Trump promet de baisser. On se demande d’ailleurs comment il pourrait maintenir un équilibre compte-tenu d’un déficit budgétaire actuel de 7%.

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