Le coût de production de certaines énergies vertes est déjà inférieur à celui des sources fossiles

Yves Hulmann

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Selon Ed Yau, gérant chez Piguet Galland, les actions de plusieurs sociétés actives dans l’énergie solaire disposent de bonnes conditions pour rebondir.

La transition énergétique figure au cœur des préoccupations de nombreuses entreprises et gouvernements. Pourtant, les actions liées au secteur des énergies renouvelables ont fortement corrigé depuis le début de cette année. Comment l’expliquer et quelles sont les chances de rebond dans ce domaine? Le point avec Ed Yau, responsable ESG et gérant d’investissement thématique chez Piguet Galland.

Alors que tout le monde parle de la nécessité d’investir davantage dans les énergies propres, les valeurs liées aux énergies renouvelables ont reculé d’environ 35% depuis le début de l’année si l’on se base sur l’indice S&P Global Clean Energy, par exemple. Comment expliquer cette correction alors que les marchés des actions, dans leur ensemble, évoluent positivement et tandis que les prix du pétrole restent élevés à plus de 80 dollars le baril?

Le niveau des prix du pétrole n’est qu’un facteur parmi d’autres. Effectivement, lorsque les cours du pétrole sont élevés, les énergies alternatives sont supposées bien performer, du fait que leurs coûts apparaissent comparativement moins élevés. Pour expliquer pourquoi les cours d’un grand nombre d’actions liées aux énergies renouvelables ont reculé cette année, il y a des raisons spécifiques à chaque segment. La situation n’est pas la même pour l’éolien que pour le solaire, par exemple. Il y a toutefois un point commun: à savoir l’évolution des taux d’intérêt. Des taux intérêt plus élevés augmentent les coûts du financement des achats d’équipements et de la construction et réduisent l’attrait des actions de croissance compte tenu d’un taux d’actualisation plus élevé. Cela explique la correction subie par le secteur des énergies renouvelables.

«First Solar compte parmi les rares entreprises de ce secteur qui ont été moins impactées par les restrictions des importations de composants solaires imposées par le gouvernement aux Etats-Unis.»
Si l’on distingue entre différents sous-secteurs, pourquoi les titres d’entreprises actives dans l’éolien, comme la société danoise Orsted (-54% depuis le début de l’année) par exemple, ont-ils été particulièrement fortement touchés par la correction dans la branche cette année?

Orsted, qui a même retiré son action de cotation au Nasdaq, a été particulièrement affectée, d’une part, par la forte hausse des coûts des installations offshore. D’autre part, l’absence d’ajustements des tarifs de l’électricité aux Etats-Unis – où le gouvernement fait tout pour garder les prix les plus bas afin de limiter l’inflation – a rendu de tels projets d’investissement moins rentables. On peut aussi évoquer Siemens Energy qui a décidé de renoncer à certains projets aux Etats-Unis en raison des conditions proposées. Le gouvernement américain promet beaucoup au sujet des énergies renouvelables dans ses discours – de la parole aux faits, il y a toutefois encore un long chemin.

Par ailleurs, l’«Inflation Reduction Act», la loi sur la réduction de l’inflation, qui est supposée réduire la hausse des prix tout en promouvant les investissements dans certains domaines, comme les énergies renouvelables, comporte aussi des aspects protectionnistes car pour bénéficer des subventions une partie du travail doit être effectuée sur place par des entreprises américaines, ce qui défavorise les acteurs européens, notamment.

A l’inverse, on observe que certaines entreprises liées à l’énergie solaire, comme First Solar, dont l’action n’a reculé que de 10% cette année, ont beaucoup mieux résisté. Pourquoi est-ce le cas?

Il y a une différence importante entre les projets d’investissements liés à l’éolien, qui dépendent de facteurs beaucoup plus locaux, et le secteur de l’énergie solaire, qui évolue de façon nettement plus globale. Les panneaux solaires ou leurs composants peuvent être facilement transportés d’un bout à l’autre de la planète. Ce n’est pas le cas pour un champ d’éoliennes dont la construction dépend de décisions prises sur le plan local. A l’intérieur du segment de l’énergie solaire, il y a certes aussi des surcapacités, qui affectent par exemple les fabricants d’onduleurs solaires, mais il y a aussi des entreprises comme First Solar qui ont réussi à mieux se positionner sur un plan global.

Pourquoi est-ce le cas?

First Solar compte parmi les rares entreprises de ce secteur qui ont été moins impactées par les restrictions des importations de composants solaires imposées par le gouvernement aux Etats-Unis. Un autre facteur qui explique cette surperformance est son exposition aux projets solaires à grande échelle plutôt qu’aux installations résidentielles.

«Chez Piguet Galland, notre opinion est mitigée au sujet de Meyer Burger».
Dans un secteur aussi compétitif que le solaire, la question fondamentale n’est-elle pas que le prix d’achat de l’électricité issue des énergies renouvelables est trop bas? Les gouvernements, que ce soit aux Etats-Unis, en Europe ou en Chine, sont-ils vraiment prêts à payer plus cher leur électricité pour disposer d’une plus grande autonomie sur le plan énergétique?  

A vrai dire, le coût de production de certaines énergies vertes est déjà inférieur à celui des sources fossiles. Quand ce n’est pas le cas, cela dépend de la région que vous avez évoquées. En Chine, l’approvisionnement en énergie est aussi une question de géopolitique – donc la réponse est oui dans ce cas. La Chine va tout faire pour garantir son indépendance énergétique, quitte à devoir investir lourdement et éventuellement payer davantage pour son électricité. En Europe et aux Etats-Unis, c’est un peu un mélange des deux aspects : le gouvernement est soucieux de contenir l’inflation mais il est aussi attentif à ne pas dépendre à terme trop de pays tiers comme la Chine. Cela se traduit par exemple par le fait que les Américains et les Européens veulent favoriser la production de batteries plus locales et être moins dépendant de la Chine.

Concernant le ralentissement de la demande d’équipements résidentiels servant à la production d’énergie solaire, dans quelle mesure celle-ci est-elle influencée par la conjoncture dans la construction?

A mon avis, la demande en équipements permettant la production de courant photovoltaïque ou d’énergie solaire dans le résidentiel n’est en général pas si étroitement liée au cycle de la branche de la construction qu’on l’imagine parfois, y compris pour des bâtiments déjà existants. Le récent ralentissement est surtout lié à une normalisation des forts investissements dans le solaire ces dernières années.

En Suisse, un titre qui a beaucoup retenu d’attention dans le secteur du solaire ces dernières années est celui de Meyer Burger. Après avoir bondi en 2022 et au début de 2023, le titre de la société bernoise est retombé à ses niveaux de début de 2022. Qu’en pensez-vous?

Chez Piguet Galland, notre opinion est mitigée sur cette société. Elle n’est pas compétitive en termes d’économie d’échelle et de coûts de production par rapport à la concurrence en Europe et aux Etats-Unis. A moins qu’on observe une accélération de la production, combinée à des subventions plus concrètes et plus généreuses de la part des gouvernements, les perspectives de croissance et de rentabilité restent à désirer.

Y a-t-il d’autres titres, en Suisse ou à l’étranger, qui vous paraissent intéressants à suivre dans le domaine des énergies renouvelables?

En termes d’exposition à la transition énergétique et climatique, nous pensons qu’en plus du rebond dans un horizon de 2 à 4 ans de sociétés actives dans le solaire comme SolarEdge et Enphase, les opportunités d’investissement dans les secteurs adjacents tels que l’infrastructure de réseau ou les fabricants de batteries représentent une diversification intéressante.

Alors que la chaîne de valeur de la production de batteries se trouve principalement en Asie, une entreprise cotée en Suisse qui pourrait bénéficier de cette tendance est ABB, car elle est pleinement exposée à la thématique d’électrification et de l’infrastructure de réseau qui nécessitera des investissements importants dans les années à venir.

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