La stabilité sur la durée reste un atout important pour Nestlé

Yves Hulmann

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Pour Peter Casanova, analyste actions chez Julius Baer, les investisseurs préfèrent une évolution constante et prévisible des activités d’une société.

Le bénéfice net en hausse de 21% à 11,21 milliards de francs réalisé l’an dernier par Nestlé malgré des recettes annuelles en repli de 1,5% à 93 milliards de francs en 2023 n’ont pas suffi à convaincre les marchés. L’action a clôturé la séance de jeudi en baisse de 4,92% à 94,24 francs dans le contexte d’un SMI en léger repli de 0,37%. Comment interpréter la contre-performance du titre jeudi? Le point avec Peter Casanova, analyste actions (Global Equity Analyst, Deputy Head Equity Research) chez Julius Baer où il couvre l’action de Nestlé.

Malgré un bénéfice net en forte progression de 20,9% à 11,21 milliards de francs en 2023 et un dividende relevé à 3 francs (2,95 francs précédemment) annoncé par Nestlé, l’action du géant alimentaire basé à Vevey, a chuté de près de 5% jeudi. Comment l’expliquer?

Si je compare les réactions des marchés concernant les titres de Nestlé et de Danone, qui a aussi publié ses résultats jeudi, la réaction des investisseurs envers Nestlé me semble avoir été sans pitié. Alors que le titre de Nestlé a chuté près de 5% en séance, l’action de Danone a, elle, cédé moins de 1% au plus bas de la journée. Dans l’ensemble, les chiffres publiés par Nestlé n’ont pas été mauvais – ils ont simplement été un peu moins bons qu’attendu par une partie de la communauté financière.

Une large partie de l’attention des marchés s’est portée sur l’évolution du chiffre d’affaires de Nestlé qui a reculé de 1,5% à 93 milliards, pénalisé par la force du franc suisse notamment. Comment analysez-vous la croissance des ventes de Nestlé l’an dernier?

La croissance organique, soit hors effets des variations de change et hors cession ou acquisitions de sociétés tierces, a atteint 7,2% en 2023 chez Nestlé. A titre de comparaison, cette même valeur s’est établie à 7% chez Danone. On voit donc que la croissance des deux groupes a été similaire.

Maintenant, si l’on observe l’évolution de la croissance de Nestlé au cours des cinq dernières années, on peut distinguer entre deux phases. Entre 2019 et 2021, la croissance annuelle des volumes était beaucoup plus élevée que cela n’a été ensuite le cas en 2022 et 2023. En 2022 et 2023, c’est surtout l’augmentation des prix qui a soutenu le chiffre d’affaires. A partir de la fin de 2022, les volumes, en tant que tel, ont même diminué. En conséquence, Nestlé est devenue moins agressive en ce qui concerne les augmentations des prix. 

Si l’on regarde spécifiquement la deuxième moitié de 2023, on peut constater qu’après une légère baisse de volume au troisième trimestre (-0,3%), les volumes ont à nouveau augmenté au quatrième trimestre (+0,4%). Bien sûr, si l’on compare cette dernière valeur de 0,4% avec les taux de croissance de l’ordre de 1 à 2% par trimestre qui étaient encore observés en 2019 et 2020, la hausse du quatrième trimestre n’apparaît peut-être pas spectaculaire - mais cela montre que Nestlé va à nouveau dans la bonne direction. A titre de comparaison, l’augmentation du volume a atteint 0,8% chez Danone. Danone est parvenu à rebondir plus vite. Malgré tout, je pense que la stabilité de l’évolution des activités de Nestlé sur la durée reste un atout important pour le groupe basé à Vevey. Les investisseurs préfèrent en général une évolution constante et prévisible des activités d’une entreprise que de grands bonds dans un sens ou un autre.

«En termes de valorisation, Nestlé continue certes de se traiter avec une prime par rapport au secteur mais celle-ci n’est plus si élevée que par le passé et elle se justifie par la bonne visibilité des activités de la société.»

Cela ne signifie-t-il pas néanmoins que Danone a eu une meilleure capacité de réaction et d’adaptation en 2023 que Nestlé?

C’est peut-être l’estimation qu’ont fait les marchés jeudi. Personnellement, je ne me focalise pas trop sur l’évolution des chiffres d’un trimestre à l’autre. Je pense que Danone et Nestlé évoluent tous deux dans la bonne direction.

Comment compareriez-vous les chiffres de Nestlé avec ceux d’autres entreprises du secteur de l’alimentation, en Suisse notamment?

En Suisse, Lindt & Sprüngli a affiché la meilleure croissance, avec un large écart. Dans une perspective d’investissement, les activités de Lindt & Sprüngli se caractérisent toutefois aussi par une volatilité plus élevée des revenus – à l’inverse, Nestlé a une volatilité très basse. A mes yeux, la stabilité des revenus et des activités de Nestlé est toujours un très grand avantage pour le groupe comparé à ses concurrents. En outre, sa marge bénéficiaire d’environ 12% sur plusieurs années reste très supérieure à la moyenne du secteur.

La réaction très négative du titre en bourse jeudi est-elle à mettre sur le compte d’une rotation de titres, due à la préférence des investisseurs pour d’autres entreprises?

Il est possible que cela ait été le cas. Il se peut que des gérants de fonds ou des investisseurs privés, qui étaient très positifs envers Nestlé depuis longtemps, préfèrent se tourner désormais vers d’autres titres. Il y a peut-être eu un jeu d’anticipations qui a été finalement défavorable à l’action de Nestlé. Néanmoins, je reste convaincu que Nestlé demeure une excellente entreprise. Je pense qu’il peut être intéressant d’augmenter ses positions dans le titre après la correction de jeudi. En termes de valorisation, Nestlé continue certes de se traiter avec une prime par rapport au secteur mais celle-ci n’est plus si élevée que par le passé et elle se justifie aussi par la bonne visibilité des activités de la société.

Les variations de change, défavorables à Nestlé en 2023, ont aussi été beaucoup évoquées jeudi. Qu’attendez-vous pour la suite sur ce plan?

«Les variations de change sont un énorme défi pour Nestlé qui ne réalise qu’environ 2 à 3% de ses ventes en Suisse.»

Les variations de change sont un énorme défi pour Nestlé qui ne réalise qu’environ 2 à 3% de ses ventes en Suisse. Ici aussi, la comparaison avec Danone est intéressante à observer. Nestlé a réalisé une croissance organique de 7,2% en 2023 contrebalancée par un impact défavorable des taux de change de -7,8%. Chez Danone, la croissance organique a été de 7%, contrebalancée par un effet négatif des taux de change de seulement -4,3%.

Peut-on partir du principe que l’impact défavorable de la force du franc va s’atténuer en 2024?

Sur le long terme, le franc s’apprécie constamment par rapport aux autres monnaies. Cela s’explique par la stabilité du pays et son attrait. A plus court terme, deux autres facteurs ont encore davantage contribué à renforcer le franc l’an dernier. D’une part, l’inflation, comparativement faible en Suisse par rapport à d’autres pays. D’autre part, l’effet de valeur refuge dans un contexte d’instabilité politique internationale en raison de la guerre en Ukraine, de la situation au Moyen-Orient. En 2024, le différentiel de taux d’intérêt entre le franc suisse et les monnaies d’autres régions comme l’euro ou le dollar sera moins prononcé. On peut donc s’attendre à des mouvements moins forts sur les marchés des devises qu’en 2023.

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