Des investisseurs «immunisés»

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

«Aucun de nos clients n’a cédé à la panique, et ce qu’elle que soit leur typologie» explique Isabelle Jacob-Nebout d’Indosuez.

Depuis, le début de l’année, que dis-je? depuis début 2020, nous vivons de surprise en surprise, dans un climat d’incertitude extrême. Les déclarations des politiciens, les réflexions des journalistes, les opinions des experts, les réactions institutionnelles ont inondé les médias. Mais quid des investisseurs particuliers? Comment ont-ils vécu les soubresauts de l’actualité au cours de ces deux années et demi de voltefaces… et de volatilité? Pour mieux le comprendre, nous nous sommes tournés vers Isabelle Jacob-Nebout, Head of Wealth Management chez Indosuez à Genève depuis trois ans. Entretien.

Comment vos interlocuteurs ont-ils réagi aux évènements du début d’année, nommément l’attaque de l’Ukraine par la Russie?

Les réactions de nos clients diffèrent en fonction de leur univers géographique et culturel, mais aucun d’entre eux n’a cédé à la panique, et ce qu’elle que soit leur typologie. Il est vrai que la crise – complètement inattendue - du COVID en mars 2020 les a largement «immunisés» contre les baisses brutales. Et puis, du point de vue des marchés, la crise de 2022 s’est installée bien différemment de celle de 2020: pas de krach mais une chute progressive des cours plus simple à anticiper.

Les investisseurs saisissent-ils bien les enjeux?

Oui, ils ont désormais bien intégré les composantes de la dynamique actuelle des marchés: les ruptures d’approvisionnement, la flambée de l’énergie et des métaux et, plus généralement, l’inflation. Les investisseurs commencent aussi à s’habituer à un environnement de taux plus élevés et c’est probablement l’enjeu le plus important à saisir.

Quels éléments étonnent le plus?

On assiste à un double paradoxe. Le premier: les résultats des entreprises restent excellents en Europe et aux Etats-Unis, alors même que l’ensemble des classes d’actifs se trouvent dans le rouge. Le second: les clients les plus conservateurs ont été autant affectés que les clients avec un profil plus dynamique.

Vous parliez plus tôt de différences selon l’univers géographique et culturel. Pouvez-vous nous en dire davantage?

Les clients asiatiques ou moyen-orientaux ont généralement plus d’appétit pour les actifs risqués et les effets de levier. Ils appréhendent mieux les épisodes de forte volatilité alors que les Européens sont traditionnellement plus orientés vers le buy and hold. Les clients du Moyen-Orient suivent de près le marché des devises et savent en tirer parti. Leur activité professionnelle étant souvent corrélée aux marchés, ils bénéficient d’informations de première qualité. Avec une mentalité de ‘’traders’’, certains d’entre eux ont tiré rapidement parti des opportunités offertes par la hausse des indices en juillet et en août.

Notez-vous des différences entre hommes et femmes?

Pas réellement. Les différences sont soit liées au milieu culturel, soit imputables à la compréhension personnelle des marchés financiers. Nos clients entrepreneurs sont très à l’aise avec les mécanismes qui régissent le fonctionnement des actifs financiers. Une petite différence peut-être entre hommes et femmes? les femmes tolèrent mal le jargon et n’hésitent pas à analyser très en détail pour étayer leur prise de décision.

Quelles évolutions observez-vous dans leurs stratégies?

A l’heure actuelle, les clients privilégient des alternatives aux marchés des actions cotées. Le private equity a évidemment le vent en poupe, et les hedge funds bénéficient d’un fort regain d’intérêt.

Ils s’intéressent à nouveau à des classes d’actifs négligées jusqu’à peu: les obligations, les infrastructures, le secteur énergétique et son inévitable transition. Ils ont une compréhension fine des enjeux actuels et anticipent les problèmes que rencontrera l’industrie.  Ils s’orientent ainsi naturellement vers les secteurs qui bénéficieront de la transition. L’immobilier commercial suscite un vif intérêt malgré les doutes associés à la nouvelle organisation du travail. Ils acceptent et recherchent même des fonds de Private Equity semi-liquides, réservés aux investisseurs très avertis. Avec des horizons sur 5, 8 ou voire 10 ans.

En parallèle, nous observons une réelle prise de conscience que notre modèle économique n’est plus viable et que les flux de capitaux doivent être dirigés vers une économie plus responsable. Depuis la fin de l’année dernière, les énergies renouvelables sont devenues à leurs yeux un vrai relais de croissance. Ils ont également pris conscience des problèmes d’indépendance énergétique, par le biais des carences de gaz annoncées ou de l’impact du prix de l’énergie sur l’industrie européenne. Les clients avec une grande aversion au risque sont inquiets mais retrouvent l’appétit pour les obligations qui redeviennent plus attractives avec la fin des taux négatifs.

Etes-vous équipés pour répondre à ces demandes, dans le domaine private equity par exemple?

Notre équipe de Private Equity compte trente personnes et gère 6 milliards de francs suisses d’avoirs avec un track-record historique de l’ordre de 13% de TRI net (taux de rendement interne). Elle sait être dynamique tout en restant prudente et sa sélection est très diversifiée puisqu’elle opère sur le marché primaire, sur le marché secondaire, exécute d’importantes opérations en direct, en Europe, en Asie-Pacifique, aux Etats-Unis. Grâce à une approche de construction de portefeuille reposant sur une large diversification et une gestion accrue des cash-flows, le profil rendement/risque est optimisé.

Quelle est la réaction qui vous a le plus surprise?

La ruée vers l’or, pourtant largement anticipée, n’a pas eu lieu. L’or n’est plus perçu comme une valeur refuge. Les changements climatiques induisent une transformation des business modèles de nombreuses industries et donc des dépenses de CAPEX importantes.  Il y a une réelle prise de conscience de l’obligation de changement de business model. La dépendance au gaz de l’industrie allemande en a réveillé plus d’un. Où faut-il investir pour accompagner la transition énergétique? Comment allouer son capital de manière responsable? Depuis 2 ans, les clients s’interrogent davantage sur les évolutions sociétales. Il ne suffit plus de leur parler de performance, l’accompagnement doit être plus complet. Pour cela, Il est indispensable de comprendre comment nos client vivent les crises dans leur propre business, dans leur vie, de savoir passer avec eux le temps nécessaire et de faire preuve de pédagogie accrue.

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