«Accroître nos parts de marché n’est pas un but en soi»

Yves Hulmann

3 minutes de lecture

Heinz Huber, CEO de Raiffeisen, souligne que la coopérative bancaire mise avant tout sur une croissance qualitative sur le marché hypothécaire suisse.

©Keystone

 

Le groupe Raiffeisen publié jeudi une nouvelle série de résultats record pour son exercice 2023, portés par l’élargissement de sa marge d’intérêt dans un contexte de remontée des taux qui a profité aussi à la plupart des autres établissements actifs sur le marché hypothécaire en Suisse. Que faut-il attendre pour la suite? Et vaut-il encore la peine pour la troisième banque helvétique de maintenir un réseau d’agences bancaires dense à l’heure du tout numérique? Le point avec Heinz Huber, président de la direction de Raiffeisen depuis 2019.

Hormis un bénéfice net qui s’est établi à 1,39 milliard de francs en 2023, en progression de près de 18% sur un an, Raiffeisen a également amélioré son ratio coûts/revenus à 51,9% durant le dernier exercice (55,9% un an plus tôt). S’agit-il d’une année exceptionnelle ou un tel ratio pourra-t-il être maintenu sur la durée?

Le ratio coûts/revenus dépend toujours, d’un côté, des recettes que le groupe est parvenu à générer et, de l’autre, de l’évolution de ses charges. En fonction de ce que nous investissons, de certains projets qu’il faut financer, des spécialistes qu’il faut engager pour effectuer certaines tâches, nos charges peuvent varier d’une année à l’autre, tout comme nos revenus. C’est pourquoi, un ratio coûts/revenus de 51,9% est certainement une excellente valeur pour notre groupe. Il ne s’agit toutefois pas d’un objectif à répéter en tant que tel. Si nous voulons continuer à développer des projets importants, notamment ceux liés à la numérisation et l’accès digital de nos services pour la clientèle, nous devrons continuer à investir de façon importante ces prochaines années.
S’agissant des perspectives pour l’année en cours, nous nous attendons à ce que, compte tenu des pronostics concernant l’évolution des taux, notre marge d’intérêt se réduise quelque peu en 2024. Il se peut ainsi que notre bénéfice n’atteigne pas cette année tout à fait le même niveau qu’en 2023.

«Un ratio coûts/revenus de 51,9% est certainement une excellente valeur pour notre groupe. Il ne s’agit toutefois pas d’un objectif à répéter en tant que tel.»

Raiffeisen veut assurer une «proximité digitale et sur place» avec sa clientèle. Vaut-il la peine d’investir dans un réseau d’agences qui permet à 90% de la population d’atteindre en environ dix minutes un site exploité par Raiffeisen?

A notre avis, les clientes ou clients n’ont pas à choisir entre une offre numérique et un contact personnalisé. Les deux canaux se complètent et c’est la combinaison du numérique et d’une offre personnalisée qui est la plus intéressante sur le long terme. D’ailleurs, ce sont souvent les mêmes clients qui utilisent ces deux canaux à des moments différents. Certains clients veulent régler certaines tâches le week-end via notre application ou réagir rapidement par ce biais quand c’est nécessaire, par exemple pour bloquer une carte de crédit en cas de soupçon de fraude. En même temps, ce sont souvent les mêmes clients qui apprécient de rencontrer nos équipes de conseil pour discuter en détail d’un projet d’acquisition d’un appartement ou d’une maison et de son financement. Il est très rare que des clients règlent tout sous forme numérique dans ce domaine. De même, lorsqu’il s’agit de discuter de questions liées à l’amortissement d’une hypothèque, il est rare que tout se fasse en ligne. Une autre situation où le conseil personnel est très apprécié est quand des personnes perçoivent d’un seul coup une somme importante à la suite d’un héritage.

Raiffeisen n’investit pas dans son offre de service numérique dans le but de pouvoir réduire son nombre d’agences ou de conseillers dans une phase ultérieure?

Non, ce n’est vraiment pas l’objectif. Et c’est parfois même l’inverse qui se produit. Il arrive que des personnes commencent à prendre contact avec l’une de nos banques via un canal numérique puis qu’elles finissent par prendre rendez-vous avec une conseillère ou un conseiller en agence. L’approche hybride est la plus prometteuse en matière de conseil et de gestion des relations avec la clientèle. Nous investissons énormément dans la formation de nos équipes de conseil. La valeur d’une marque ne peut pas être véhiculée uniquement via les canaux numériques.

Dans le domaine hypothécaire, Raiffeisen a légèrement augmenté ses parts de marché en Suisse à 17,8% en 2023 (17,6% en 2022). Quels sont vos ambitions dans ce domaine?

Augmenter nos parts de marché dans le domaine hypothécaire en Suisse n’a jamais été un objectif en tant que tel pour Raiffeisen. Le volume de nos créances hypothécaires a certes encore augmenté de 3,6% en 2023 mais cela est le résultat de la demande pour des financements hypothécaires. Raiffeisen mise sur une croissance qualitative dans le domaine hypothécaire.

«La valeur d’une marque ne peut pas être véhiculée uniquement via les canaux numériques.»

A partir de quand la hausse des taux d'intérêt a-t-elle une influence sur les prix du marché?

Il est vrai que les taux d'intérêt ont augmenté mais le marché de l'immobilier n'est pas impressionné. L'évolution des taux d'intérêt peut finalement avoir une influence sur les prix du marché. Il s'agit là toutefois que d'un paramètre parmi d'autres. En Suisse, il existe toujours une très forte demande d'appartements et de maisons individuelles, y compris en dehors des centres, alors que l'offre n'augmente, elle, que faiblement. L'octroi d'autorisations de construire était même en 2024 à son plus bas niveau depuis plusieurs années.

Le maintien de taux d’intérêt à des niveaux plus élevés qu’au début de la décennie n’est donc pas un facteur d’inquiétude pour le marché de l’immobilier d’habitation en Suisse?

Non. En outre, s’agissant de Raiffeisen, nous avons toujours appliqué de manière inchangé les critères d’octroi de crédits pour des hypothèques. Dans le calcul de la capacité financière, nous tenons toujours compte d’un taux calculatoire de 5% dans le calcul des charges. Quand les taux étaient très bas, cela a parfois suscité des critiques mais nous n’avons jamais remis en question ces règles.

Il règne toujours une grande incertitude quant aux décisions qui seront prises par la BNS en matière de taux ces prochains mois. Cela rend-il la clientèle plus hésitante lorsqu’il s’agit de contracter ou de renouveler des emprunts?

Les clients qui misent avant tout sur la sécurité peuvent opter pour des hypothèques à différentes échéances, de façon à ne pas devoir renouveler l’ensemble de leur hypothèque d’un coup. Ceux qui ont plus de flexibilité peuvent recourir aux prêts basés sur le Saron. Il y a différentes solutions pour répondre aux spécificités de chaque situation.

L’afflux net d’argent frais a atteint 2,9 milliards de francs chez Raiffeisen en 2023. Est-ce beaucoup ou peu et les difficultés de Credit Suisse y ont-elles contribué?

C’est un montant qui est dans l’ordre de grandeur des années précédentes. De plus, chez Raiffeisen, les afflux nets d’argent frais incluent seulement l’argent qui est investi dans des titres. Il ne s’agit donc pas de sommes qui ont été simplement placées en sécurité momentanément chez nous.

A lire aussi...