Vertigo

Maxime Alimi, SILEX

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Les investisseurs ont été effrayés par les valorisations élevées face à la hausse des taux d'intérêt et au risque géopolitique en Ukraine. La saison des résultats n'a pas réussi à calmer ce vertige.

La principale menace pour la croissance à moyen terme est devenue l'inflation. Aux États-Unis, malgré les hausses de salaires et les créations d'emplois, le revenu disponible réel est tombé à zéro. La combinaison de l'inflation sur l'énergie, les biens et le logement ronge le pouvoir d'achat et menace une stagnation de la consommation une fois que l'épargne excédentaire de la pandémie aura été épuisée. Cela se voit déjà dans les ventes de voitures qui ont ralenti compte tenu des hausses de prix massives (+40% pour les voitures d'occasion). Le marché du logement semble particulièrement tendu. Les taux de vacance sont tombés à leur plus bas niveau depuis les années 1970 en raison des contraintes sur l'offre. L'inflation devrait se révéler persistante sur le marché de l'immobilier.

Le vertige inflationniste

A première vue, la dynamique d'inflation semble effrayante. Les prix ont augmenté de 7,5% aux États-Unis en janvier, le taux le plus élevé depuis 40 ans. En Europe, où l'inflation était en sommeil depuis des décennies, elle a atteint 5,0%. Le débat fait toujours rage parmi les économistes sur le caractère transitoire de cette hausse. Selon nous, environ la moitié de l'inflation est due à des facteurs transitoires, ce qui laisse l'inflation sous-jacente à un niveau inconfortable de 3,5 à 4%. Du point de vue des banques centrales, le problème réside surtout dans les anticipations. Les marchés, les consommateurs et les entreprises ont commencé à ajuster leurs attentes au-dessus de l'objectif de 2% pour les années à venir. Ce n'est pas quelque chose que les banques centrales peuvent tolérer, car elles ne savent que trop bien combien il pourrait être coûteux de réancrer les attentes si elles agissaient trop tard.

Le début d'année a été ainsi marqué par un ajustement rapide des marchés à la nouvelle réalité du resserrement de politique monétaire. Les rendements obligataires ont augmenté et les courbes se sont aplaties. Il est intéressant de noter que, malgré les pressions sur les prix, les points morts d'inflation ont à peine bougé cette année. L'essentiel du mouvement est venu des taux réels, tant à court qu'à long terme, reflétant les attentes des banques centrales ainsi qu'une normalisation de la prime de risque à mesure que l'assouplissement quantitatif prend fin.

Regain d’intérêt de l’obligataire

Avec des taux américains à 10 ans à 2% et à 0,3% en Europe, nous pensons que les obligations souveraines ont désormais de l’intérêt. La politique monétaire est désormais dans les prix, les risques sur la croissance ont augmenté pour le second semestre et les taux terminaux ont à peine bougé. À court terme, il est également judicieux de racheter des actifs sûrs pour protéger les portefeuilles contre d'autres risques tels que la géopolitique. Nous avons augmenté notre allocation obligataire, avec une préférence pour les titres longs aux Etats-Unis et les titres courts en Europe.

Des opportunités se présentent également dans le crédit. Bien que le risque de défaut reste très faible selon nous cette année, des sorties de capitaux massives ont eu lieu dans les fonds obligataires, les investisseurs craignant un scénario à la 1994. Nos segments préférés sont l'euro Investment Grade, où les rendements sont enfin attractifs en ajustant au risque, et le crédit financier où les rendements ont atteint des niveaux élevés sans que les fondamentaux aient changé de manière significative. Le crédit financier présente notamment plus de valeur que les actions bancaires européennes.

Prendre ses bénéfices sur les secteurs cycliques

En ce qui concerne les actions, le marché a logiquement lutté face aux vents contraires macro combinés. La saison des résultats n'a pas été assez bonne pour compenser la nervosité: les entreprises qui n'ont pas tenu leurs promesses ont été lourdement sanctionnées, tandis que celles qui ont publié de bons résultats ont à peine bougé. Cela montre la sensibilité aiguë des investisseurs aux valorisations à un moment où la liquidité va indiscutablement baisser. Par conséquent, les secteurs bon marché sont désormais en tête. Nous recommandons de prendre des bénéfices sur les secteurs cycliques qui ont fortement performé (financières, énergie). Nous maintenons l'exposition aux secteurs de réouverture qui ont un potentiel de hausse (voyages, loisirs, tourisme) alors que le monde passe à un Covid endémique. Les compagnies aériennes de qualité semblent particulièrement attractives.

Les valeurs thématiques, notamment sur le segment à forte croissance, ont connu quant à elle un début d'année 2022 similaire à la fin 2021. La discrimination a été limitée et, une fois de plus, le marché s'en prend aux actifs les mieux valorisés. Ces dernières semaines, une tendance intéressante est toutefois apparue: comme l'a dit C. Wood de ARK Investments, «l'innovation est en soldes» et suscite de l'intérêt. Plusieurs rumeurs font état de l’intérêt des Big Tech, de grands groupes, de fonds spéculatifs et d'investissement, tous assis sur un tas de liquidités, à la recherche d'acquisitions (Activision, Netflix, Peloton, Citrix, ZenDesk). Nous pensons que les fusions et acquisitions seront un thème clé cette année, d'autant plus que la croissance semble devoir redevenir rare. En outre, la sensibilité à la hausse des taux semble s'être estompée récemment, les marchés actions ayant digéré le tournant des banques centrales.

Notre allocation a changé par rapport à la fin de l'année dernière, avec une surpondération obligataire motivée par l'opportunité que nous voyons sur les marchés du crédit. La duration devra être gérée de manière tactique en 2022, comme l'année dernière. Les actions continuent d'afficher des rendements positifs et justifient de rester investi, mais avec une différenciation probablement croissante entre les secteurs et les styles.