Une stratégie pour les marchés difficiles

ODDO BHF Asset Management

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Interview avec Emmanuel Chappuis, gérant d’un fonds thématique sur les entreprises familiales chez ODDO BHF AM.

Emmanuel Chapuis, CFA, Co-Responsable Global de la Gestion Actions Fondamentales & Responsable de la Gestion Grandes Capitalisations et Thématiques.
Présentation rapide du fonds ODDO BHF Génération

Le fonds ODDO BHF Génération est un fonds en actions regroupant des entreprises de toute capitalisation située en Europe. Il a pour objectif d’investissement de surperformer l‘indice MSCI EMU sur une période de plus de cinq ans. Lancé en 1996, il affiche un encours sous gestion de 651,4 millions d’euros (au 31 décembre 2019) et est distribué dans 11 pays européens.

Sa particularité est de privilégier les entreprises dotées d’une structure de propriété stable à long terme (il s’agit souvent d’entreprises familiales).

Comment les entreprises familiales réagissent-elles aux conditions actuelles du marché? Compte tenu de l’environnement de faible niveau de taux d’intérêt et de la phase avancée du cycle économique dans laquelle nous nous trouvons, peuvent-elles présenter des avantages?

Notre définition des entreprises familiales se fonde sur la notion de contrôle: ce sont des entreprises dans lesquelles un actionnaire de référence, qui peut être une famille ou une seule personne, influence la stratégie et en confie la mise en œuvre à la direction. Selon notre analyse, elles présentent généralement plusieurs caractéristiques, telles qu’une stratégie axée sur les résultats à long terme, un endettement relativement faible et une gestion prudente. Elles sont aussi généralement en mesure d’autofinancer leur croissance en réinvestissant une part importante de leurs bénéfices.

Un grand nombre d’études académiques montrent que les entreprises familiales affichent une croissance supérieure à la moyenne, avec des risques plus faibles. Cette situation résulte d’une vision à long terme et d’une mise en œuvre constante de leur stratégie, ce qui nécessite un contrôle étroit de la direction. Ce modèle sert l’objectif principal des entreprises familiales, qui est d’accroître leur capital.
Dans un contexte de faibles taux d’intérêt et de cycle économique avancé, nous estimons que la préservation des intérêts des actionnaires et l’allocation des capitaux avec rigueur par la direction est essentiel pour s’imposer dans un environnement de marché difficile.

Comment évaluez-vous le caractère durable des entreprises dirigées par leurs propriétaires?

Le fonds ODDO BHF Génération intègre les critères ESG à son processus d’investissement depuis 2012.

L’approche ESG n’est jamais entièrement noire ou entièrement blanche. Elle comporte en fait de nombreuses zones grises au sujet desquelles les investisseurs doivent poser un jugement indépendant. Nous pouvons à cet égard nous appuyer sur notre équipe ESG spécialisée, dirigée par Nicolas Jacob. Nous réalisons nos propres évaluations ESG à partir d’un modèle défini en interne, ce qui nous permet d’effectuer une analyse précise et indépendante de notre univers d’investissement. L’un des critères de notre modèle ESG est précisément la structure actionnariale de l’entreprise.

Nous avons constaté que, dans les entreprises familiales, la gouvernance (le G des critères ESG) s’avère généralement plus solide. Cela peut s’expliquer par le fait que les actionnaires et la direction suivent la même ligne et que la stratégie à long terme de l’entreprise figure au premier plan. Dans certains cas, cela peut toutefois aussi se traduire par une indépendance moindre et une séparation des tâches moins nette.

Ces entreprises sont également souvent en avance en matière de développement social (le S). De nombreuses entreprises familiales européennes sont historiquement marquées par une gestion «paternaliste», en particulier dans des pays comme la France, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie ou la Suisse, qui ont vu apparaître et se développer le «capitalisme rhénan». Ce type de gestion se caractérise par une très bonne gestion des ressources humaines et une bonne préparation de la succession.

Michelin offre un bon exemple d’entreprise familiale présentant un profil de durabilité convaincant. D’après notre modèle interne, elle obtient la note 5 sur une échelle de 1 (note la plus faible) à 5 (note la plus élevée). Elle enregistre de très bons résultats en termes de gouvernance et de responsabilité sociale, ainsi qu’en ce qui concerne les aspects environnementaux, avec par exemple le développement de produits efficaces en énergie. C’est historiquement l’une des entreprises les plus innovantes de son secteur, avec la fabrication de pneus efficaces énergétiquement depuis 1992 et l’élaboration de technologies favorables au climat.

À quoi les investisseurs doivent-ils prêter attention?

Permettez-moi de vous expliquer ce à quoi nous sommes attachés. Nous suivons un processus bottom-up. Nous nous concentrons sur les actions qui nous intéressent, ce qui signifie que nos décisions d’investissement ne tiennent pas compte des considérations macroéconomiques. Cependant, pour éviter de trop importantes distorsions macroéconomiques, nous veillons à détenir en portefeuille un nombre équilibré d’actions cycliques et défensives, afin qu’il corresponde à notre indice de référence. Nous évitons donc un positionnement trop cyclique. En outre, le fonds ne privilégie ni les valeurs de rendement ni les valeurs de croissance.

Dans notre univers d’investissement, qui est donc celui des entreprises familiales européennes, nous préférons les entreprises d’envergure internationale fortement implantée sur le plan régional. D’après notre analyse, le fonds permet de diversifier les risques et de bénéficier de marchés moins matures. Notre processus bottom-up identifie les entreprises qui génèrent de la trésorerie, qui financent leur propre croissance tout au long du cycle et ont enregistré de bons résultats. L’objectif est de dégager des rendements durables avec les capitaux investis.

Quels sont les opportunités et les risques?

Les investisseurs auraient eu peu de risque de se tromper s’ils avaient investi l’année dernière. Toutes les grandes catégories d’actifs ont progressé. Et pourtant, malgré une croissance à deux chiffres de presque tous les marchés actions, les fonds d’actions ont affiché des sorties records en raison des conditions de marché instables et du ralentissement de la croissance. Quelles leçons peut-on donc retenir pour 2020 suite à l’année 2019 qui a été meilleure que prévu?

Stabilisation de la croissance. L’année dernière, la croissance mondiale s’est stabilisée autour de 3%. Ce chiffre reste nettement inférieur aux 4% enregistrés en 2017, mais il montre aussi qu’on est loin de la récession redoutée par les marchés. Par ailleurs, aux États-Unis, la croissance n’a quasiment pas reculé. En revanche, les chiffres se sont révélés nettement plus faibles dans la zone euro, et en particulier en Allemagne, pays dépendant beaucoup des exportations et de l’automobile. Nous ne prévoyons toutefois pas une nouvelle dégradation de la situation cette année. Malgré une tendance conjoncturelle favorable, les investisseurs doivent accepter la perspective d’un marché plus fragile en 2020. Cinq points sont à cet égard particulièrement importants:

  • Davantage d’incertitudes liées au retour du protectionnisme. La guerre commerciale menée par Donald Trump a entraîné une hausse des droits de douane et donc du coût des échanges. Comme on pouvait s’y attendre, le président américain n’a pas atteint l’objectif qui était réellement recherché, à savoir diminuer le déficit extérieur du pays. Malgré la conclusion de la première phase de l’accord commercial en fin d’année dernière, la politique commerciale des États-Unis reste incertaine. Le pays s’efforcera d’empêcher la Chine de s’imposer comme une puissance économique montante, ce qui aura des répercussions sur les investissements dans le monde entier au cours de l’année à venir.
  • Une politique monétaire favorable. En réponse au renforcement des incertitudes politiques, la Réserve fédérale américaine a opéré un revirement en matière de politique monétaire et d’autres banques centrales, comme la BCE, lui ont emboîté le pas. Après avoir abaissé les taux à trois reprises en 2019, il est probable que la Fed ne modifie pas sa politique en 2020, année électorale aux États-Unis. Alors que la politique monétaire est ultra-accommodante, l’inflation est restée faible des deux côtés de l’Atlantique. Compte tenu de facteurs internes, comme la hausse des salaires, ou externes, tels que l’augmentation du prix des importations, nous pensons que l’inflation se redressera tôt ou tard.
  • Un marché intérieur solide. Malgré les légers signes de reprise observés récemment, le commerce mondial reste faible dans les secteurs tournés vers l’exportation. Le bâtiment et les services tirent en revanche parti du chômage peu élevé et du bas niveau des taux d‘intérêt.
  • La situation en Allemagne. Le modèle économique allemand, fortement tourné vers les exportations, atteint ses limites. L’on peut se demander si cela conduira à une meilleure intégration européenne ou à des investissements davantage orientés vers l’avenir.
  • La fracture politique. Le système bipartite que nous connaissons bien laisse place à un paysage politique beaucoup plus fragmenté. Les partis populistes n’en profiteront pas nécessairement, mais cette situation renforce encore le climat d’incertitudes.

Malgré ces incertitudes, les marchés actions offrent toujours des opportunités. Nous sommes convaincus que le fonds ODDO BHF Génération demeure intéressant pour les personnes qui veulent investir dans des actions. Grâce aux analyses que nous effectuons, nous sélectionnons généralement les meilleures entreprises de la zone euro, qui figurent parmi les leaders du marché mondial, sont rentables, bien dirigées, créent de la valeur et génèrent une trésorerie élevée. Dans un monde en mutation et soumis à des incertitudes, seuls les champions peuvent rester au sommet. Nous ne misons pas sur la conjoncture. Notre objectif est de sélectionner les meilleures entreprises cycliques et non cycliques qui peuvent réussir sur le long terme quels que soient les cycles économiques, qui sont de toute façon inévitables. Dans un environnement économique mondial en repli, les entreprises de taille moyenne nous paraissent présenter un potentiel de croissance important, car elles sont suffisamment agiles pour pouvoir tirer parti des marchés de niche en pleine croissance, des nouvelles tendances et des nouvelles régions dynamiques.

Le fonds ODDO BHF Génération est un fonds d‘actions qui comporte un risque de perte de capital.

À quel type d’investisseurs s’adressent les fonds investis dans des entreprises familiales? Quel horizon d’investissement doivent envisager ces investisseurs?

Nous aimons les entreprises qui ont une vision stratégique. Il en va de même pour nos investisseurs!

Nous souhaitons offrir un produit adapté aux investisseurs tournés vers le long terme, qui ne recherchent pas une renégociation intensive de leurs actifs lors des mouvements de court terme des marchés. Il nous semble par conséquent important d’analyser la performance d’un fonds sur un cycle complet, pour ne pas choisir des titres qui s’avèrent trop dépendants de l’environnement actuel du marché, - avec une orientation trop marquée ou un style de gestion trop évident.

Je pense aussi que les entrepreneurs figurant dans le fonds ODDO BHF Génération et les entreprises dans lesquelles nous investissons savent reconnaître ce qui est exceptionnel dans un monde dans lequel les produits financiers sont toujours plus complexes et pas forcément adaptés.

La durée d’investissement recommandée est de cinq ans.

Au cours des derniers mois, avez-vous procédé à des ajustements de portefeuille importants? Si oui, dans quels domaines?

Le bas niveau des taux d’intérêt sans précédent et le revirement des banques centrales début 2019 ont eu une profonde incidence sur le marché. En nous appuyant sur notre analyse rigoureuse des valeurs, nous avons acheté ou ignoré des entreprises familiales qui nous semblaient surévaluées.