Transition énergétique dans les pays d’Asie émergente

Andrea Astone, BMO Global Asset Management

8 minutes de lecture

Transition énergétique dans les pays d’Asie émergente – essentielle au succès de la lutte contre le changement climatique.

La contribution de l’Asie est absolument essentielle pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris sur le climat. Les émissions de gaz à effet de serre dans cette région sont déjà plus élevées que dans toute autre région du monde et continuent d’augmenter concurremment aux besoins énergétiques, à la fois pour donner accès à l’énergie à une population croissante et pour permettre à la région de conserver son statut d’usine du monde. Répondre à ces besoins énergétiques croissants tout en inversant la trajectoire haussière des émissions de gaz à effet de serre nécessite un changement radical en faveur d’une économie moins émettrice de carbone.

Nous nous sommes rendus en Thaïlande, en Chine et à Hong Kong pour dialoguer avec dix entreprises du secteur énergétique revêtant une importance stratégique afin d’encourager des mesures visant à aligner leurs émissions sur les objectifs de l’Accord de Paris. Lors de nos échanges, nous avons exprimé notre conviction que, bien que les politiques menées à l’échelle nationale dans la région ne soient pas conformes aux objectifs de l’Accord de Paris, les entreprises devraient inscrire leur action dans le long terme et considérer les avantages de se montrer proactif en allant au-delà de la position actuelle de leurs gouvernements sur la transition vers une économie bas carbone.

Un important système énergétique continue de croître

Les pays asiatiques contribuaient à plus de 60% de la croissance du PIB mondial en 20171 et abritent également plus de 60% de la population mondiale2. Ils ont comblé leur retard et sont désormais capables de fournir une énergie fiable et abordable à une population en pleine croissance, au sein de laquelle les classes moyennes progressent. Il s’agit d’une tâche difficile pour certains pays émergents d’Asie émergente puisque plus de 400 millions de personnes n’ont toujours pas accès à l’électricité dans cette région.

Les pays asiatiques ont comblé leur retard et sont désormais capables
de fournir une énergie fiable et abordable à une population en pleine croissance.

Cela a entraîné un besoin important d’expansion du réseau énergétique. Au sein de l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN), la croissance économique de ces 15 dernières années a entraîné une augmentation de 60% de la demande d’énergie – une tendance haussière qui devrait se poursuivre au moins jusqu’en 2040, lorsque le taux d’accès à l’électricité aura atteint 100%, selon l’Agence internationale de l’énergie3. L’Inde, dont le taux d’accès à l’électricité s’établissait à 82 % en 2016, devrait connaître une croissance annuelle de plus de 4% de la demande énergétique jusqu’en 20354. La Chine, bien qu’ayant atteint 100% d’accès à l'électricité en 2010, devrait encore connaître une croissance de 21% de la demande énergétique d’ici 2040 selon l’AIE.

 

Principaux pays d’Asie émergente et taux d’accès à l’électricité en 2016:
100%:
Chine, Singapour, Thaïlande, Brunei, Sri Lanka

90% – 100% :
Malaisie, Vietnam

<90%:
Inde, Indonésie, Philippines et autres

Source : AIE, Perspectives de l’accès à l’énergie 2017

 

Des signes positifs d’une transformation profonde du secteur de l’énergie, mais il faut l’accélérer

Il est difficile d’équilibrer la croissance de la demande d’énergie et la nécessité de « décarbonisation ». L’AIE estime actuellement que pour limiter le réchauffement de la planète à moins de 2 degrés Celsius, comme le prévoit l’Accord de Paris, 90% de la croissance de la demande énergétique dans les pays d’Asie émergente devrait être satisfaite par des sources d'énergie à faible émission de carbone, tout en remplaçant la demande existante de combustibles fossiles à fortes émissions par l’électrification des systèmes énergétiques et des transports dans la région d’ici 2040. La transformation profonde du secteur de l’énergie serait nécessaire d’ici 2050, impliquant une réduction de 75%5 des émissions liées à ses activités.

Malgré des signes positifs à travers l’Asie, et notamment le doublement de la capacité de production d’énergie renouvelable entre 2013 et 20186, la consommation de pétrole et de charbon a également continué d’augmenter et a permis de satisfaire la majeure partie de la demande supplémentaire au cours des deux dernières années7. Si cette tendance se poursuit, l’AIE s’attend à ce que près de 50% de la consommation d’énergie primaire de la région en 2040 soit encore couverte par le charbon et le pétrole8. Cela épuiserait très probablement le «budget carbone» asiatique (la quantité totale de gaz à effet de serre autorisée pour limiter le réchauffement climatique sous les 2 degrés) beaucoup plus tôt que prévu. En examinant le scénario plus ambitieux de 1,5 degré, l’Université d’Oxford a estimé que près de 84% des centrales thermiques existantes et prévues en Asie du Sud-Est sont incompatibles avec cet objectif9.

L’orientation actuelle des politiques nationales est incompatible avec les objectifs de l’Accord de Paris

Les politiques nationales en matière d’énergie et de changement climatique jouent un rôle important dans la modification de cette tendance, étant donné que la plupart des secteurs du marché énergétique d’Asie émergente sont encore réglementés par des entreprises publiques ou enregistrent une forte présence de ces dernières. Toutefois, selon le Climate Action Tracker10, la plupart des engagements en matière de changement climatique déclarés par les principaux pays d’Asie émergente devraient être incompatibles avec la limite de réchauffement de 2 degrés, et encore moins avec l’objectif plus ambitieux de 1,5 degré.

En se basant sur l’ensemble des engagements nationaux existants11, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) estime qu’une réduction supplémentaire de 54%, soit 29 gigatonnes d’équivalent CO2, est nécessaire par rapport aux projections des émissions en 2030. Si ces engagements nationaux restent inchangés, cela signifie que l’ajustement post-2030 devra se montrer beaucoup plus ambitieux. Une telle approche «rétroactive» dans les stratégies nationales de «décarbonisation» pourrait être risquée si les entreprises se contentaient de suivre les ambitions nationales existantes au moment de fixer leurs propres objectifs de réduction d’émissions. En effet, cela ne laisserait qu’un délai très court entre 2030 et 2050 pour engager une transformation énergétique profonde, et impliquerait un potentiel élevé «d’actifs bloqués» si les investissements de la prochaine décennie se révélaient incompatibles avec une réduction plus draconienne des futures émissions.

L’Inde devrait connaître une croissance annuelle de plus de 4%
de la demande énergétique jusqu’en 20354.

Notre engagement auprès du secteur asiatique de l’énergie

Étant donné les défis auxquels le secteur de l’énergie sera probablement confronté, nous nous sommes rendus en Chine et en Thaïlande pour rencontrer dix sociétés minières, pétrolières, gazières et de services aux collectivités et les encourager à prendre des mesures urgentes contre le changement climatique.

Certaines entreprises voient déjà la transition énergétique comme une opportunité

Plusieurs entreprises des secteurs de l’énergie et des services aux collectivités que nous avons rencontrées étaient sensibilisées  aux questions liées à la transition énergétique. Nombre d’entre elles ont reconnu que la transition énergétique était totalement dans l’intérêt des investisseurs, l’accent étant mis sur les nouvelles opportunités s’inscrivant dans un avenir à faible teneur en CO2. Nous sommes particulièrement optimistes à l’égard des modèles économiques mis en place par CLP et PTT pour tirer parti de ces opportunités.

CLP, une société de services aux collectivités basée à Hong Kong et dont les activités s’étendent en Inde et en Chine, a lancé son programme Vision Climat 2050 en 2007, qui définit ses objectifs à moyen terme en matière de capacité d’énergie renouvelable. Ce programme a aidé CLP à devenir l’une des premières sociétés asiatiques à fixer un objectif de réduction de ses émissions de CO2 pour 2050. Ces dernières années, la société a ciblé des marchés clés, comme l’Inde, pour la croissance des énergies renouvelables, et a travaillé avec des investisseurs stratégiques pour renforcer sa position concurrentielle. Bien que la politique énergétique du gouvernement indien ait joué un rôle important dans la création de telles opportunités, nous saluons la vision initiale de CLP qui remonte à 2007.

De plus, CLP participe activement à des dialogues stratégiques avec les organismes de réglementation afin de confirmer le calendrier de conversion de ses centrales au charbon à des technologies à plus faible teneur en CO2. En septembre 2019, l’entreprise a publié sa position sur la « stratégie de décarbonisation à long terme » de Hong Kong, encourageant le gouvernement à adopter une position équilibrée en matière de développement durable dans sa future politique énergétique et à faire montre de clarté concernant le calendrier du passage du charbon au gaz naturel.

Plusieurs entreprises des secteurs de l’énergie
et des services aux collectivités que nous avons rencontrées
étaient sensibilisées aux questions liées à la transition énergétique.

 

Engagements climatiques des principaux pays d’Asie émergente :
Objectifs de réduction des gaz à effet de serre pour 2030 (sans condition) :

Indonésie (réduction de 29% dans certains secteurs par rapport au scénario du statu quo)
Chine (pic d’émissions de CO2 en termes absolus ; réduction de 60-65% des émissions de CO2 par unité de PIB dans l’ensemble de l’économie par rapport au niveau de 2005)
Inde (33-35% en dessous du niveau d’intensité des émissions de 2005)

Objectifs de consommation d’énergie non fossile :

Indonésie (23% d’ici 2025, 31% d’ici 2050)
Chine (20% d’ici 2030, 50% d’ici 2050)
Inde (40% d’ici 2030)

Objectifs en matière d’approvisionnement en charbon :

Indonésie (min. 30% d’ici 2025, min. 25% d’ici 2050)
Chine (implicite dans l’engagement de 2030 concernant les pics d’émissions et l’objectif lié aux énergies non fossiles)
Inde (implicite dans  l’objectif  d’intensité  carbone  2030  et l’objectif lié aux énergies non fossiles)

Source: Registre provisoire des Contributions déterminées à l’échelle nationale de l’UNFCCC (Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques)

Engagement de CLP en faveur du climat pour 2050
80%
de réduction de l’intensité carbone d’ici 2050, comparativement à 2007

30%
de son parc de production composé d’énergies renouvelables et 40% à d’énergies non polluantes d'ici 3030

Objectifs intermédiaires (2020, 2030 et 2040) sur ce qui précède pour suivre les progrès accomplis

Source: Vision de CLP pour le climat à l’horizon 2050

PTT, le principal groupe pétrolier et gazier intégré de Thaïlande considère aussi, selon nous, la transition énergétique comme une opportunité. Nous avons rencontré les dirigeants de PTT alors qu’ils travaillaient sur une mise à jour de leur objectif de recettes écologiques, et ils nous ont fait part de leurs perspectives positives quant aux marchés des produits écologiques, sur lesquels PTT est en train de se développer. L’objectif de chiffre d’affaires est coordonné entre ses nombreuses filiales et alimente leurs objectifs de recherche et développement et leurs décisions budgétaires. Selon nous, il s’agit là d’un exemple de meilleure pratique rarement observée en Asie. Tout en continuant d’encourager le groupe à relever ses objectifs de réduction d’émissions à moyen et long terme, nous estimons que ses dirigeants possèdent des connaissances adéquates sur la transition énergétique et qu’ils ont adopté un bon cadre de gouvernance en matière de changement climatique.

 

Gestion de PTT en matière de changement climatique
Opportunités: Établir une stratégie d’investissement et fixer un objectif d’augmentation des revenus du groupe PTT générés par la vente des produits à faible teneur en carbone d’ici 2023. Cela comprend les énergies renouvelables, les biocarburants et le gaz naturel

Risques: Évaluer et mettre en œuvre la tarification du carbone en amont des investissements en 2020

Réduction de l’impact: 20% de réduction d’ici 2030 par rapport au scénario du statu quo

Source : Rapport 2018 de PTT

Les fournisseurs chinois de gaz naturel profitent aussi de la transition énergétique pour développer de nouvelles activités. Kunlun Energy et Hong Kong and China Gas se concentrent sur la phase aval de la distribution et bénéficient clairement des incitations liées à la politique énergétique chinoise, qui encourage la gazéification pour l’approvisionnement en chauffage dans les grandes villes.

Mais la plupart d’entre elles ont des difficultés à gérer les risques liés à la transition

Parallèlement aux opportunités liées à la transition énergétique, il est tout aussi important de comprendre comment les entreprises réduisent leur impact sur le changement climatique et leur dépendance aux  combustibles fossiles. Nous sommes toujours déçus de constater que les approches de gestion globale restent rares dans ce domaine. À l’exception de CLP, Sinopec et PTT, aucune des principales grandes entreprises du secteur de l’énergie (dont Shenhua, Power Assets (sauf un de leurs actifs), Kunlun Energy, Hong Kong and China Gas (sur leur important portefeuille d’actifs chinois) et Beijing Enterprise) n’a publié d’objectif de réduction de ses émissions à plus d’un an à l’échelle du groupe.

Même si nous prévoyons que les prochaines exigences en matière d’information à la Bourse de Hong Kong et en Chine contribueront à combler le manque de clarté, nous estimons que les entreprises ont encore beaucoup de chemin à faire pour prendre pleinement en compte les implications de l’objectif de l’Accord de Paris de limiter le réchauffement planétaire « bien en dessous des 2 degrés » dans leur approche de gestion des émissions de gaz à effet de serre.

Il semble également que certaines entreprises aient peu de marge de manœuvre pour se diversifier dans les segments affichant de faibles niveaux d’émissions de CO2. Shenhua, par exemple, a récemment fait l’objet d’un repositionnement pour se concentrer sur l’extraction du charbon en amont, et a scindé environ la moitié de ses actifs de services aux collectivités qui ont basculés dans la nouvelle société mère, le CHN ENERGY Investment Group, une entreprise publique. Cela limitera probablement son accès aux opportunités de croissance à faible intensité de carbone et aux options de décarbonisation disponibles dans la phase aval de son activité. Les dirigeants ont également mentionné qu’ils prévoyaient de s’appuyer sur les technologies récentes pour limiter considérablement les émissions de CO2 à l’échelle de l’entreprise. Comme certaines de ces technologies – comme le captage et le stockage du carbone – en sont encore à leur phase pilote, rien ne permet d’affirmer que des entreprises de ce type soient sur le point de s’aligner sur les objectifs de l’Accord de Paris au milieu d’ici 2050.

Notre futur engagement auprès du secteur asiatique de l’énergie

Dans notre cadre d’engagement sur le changement climatique, nous avons récemment indiqué que nous nous attendions à ce que les entreprises alignent leurs émissions sur les scénarios «bien en dessous des 2 degrés». Nous pensons qu’il incombe aux conseils d’administration et aux équipes de direction de fournir des éclaircissements sur leur approche de transition vers une économie à faibles émissions de CO2.

Nous comprenons les besoins en matière de développement et d’accès à l’énergie, ainsi que les réalités économiques des différentes technologies dans la région. Cependant, nous avons le sentiment qu’ils sont trop souvent mis en avant pour justifier l’inaction. Par conséquent, nos attentes minimales à l’égard des entreprises à forte empreinte carbone dans ce secteur sont les suivantes:

  • Fixer un objectif de réduction des émissions à moyen terme (d’ici 2030) qui soit au moins conforme à l’engagement pris par le pays dans l’Accord de Paris ;
  • Effectuer une analyse de scénarios à l’horizon 2050 pour comprendre les trajectoires des politiques et leurs impacts potentiels sur l’entreprise ;
  • Publier une feuille de route technologique qui permettra à l’entreprise d’atteindre l’objectif de réduction. Elle pourrait être basé sur des technologies clés de réduction des émissions avec l’appui d’un plan clair de recherche et développement ou d’investissement ;
  • Mettre l’accent sur les opportunités à faible émission de CO2 (technologies et/ou produits et services) qui soient déjà rentables (ou le seront à court terme) pour leurs stratégies de croissance commerciale. Nous encouragerons les entreprises à aller au-delà des orientations politiques actuelles afin de favoriser ces solutions à faible teneur en carbone ;
  • Nous attendons des entreprises qu’elles fassent la promotion de ces opportunités de réduction des émissions de CO2 et
  • Nous allons continuer de sensibiliser au concept de l’alignement des émissions sur le scénario à 2 degrés et sur les risques inhérents aux stratégies commerciales incompatibles avec un futur monde sans carbone.
1 https://data.worldbank.org/indicator/NY.GDP.MKTP.KD.ZG?end=2018&name_desc=false&start=2018&view=bar
2 https://www.un.org/en/sections/issues-depth/population/
3 https://www.iea.org/southeastasia/
4 https://economictimes.indiatimes.com/industry/energy/indias-energy-demand-to-grow-by-4-2-dharmendra-pradhan/articleshow/71067521.cms?from=mdr
5 https://www.iea.org/publications/reports/PerspectivesfortheCleanEnergyTransition/
6 https://www.irena.org/publications/2019/Jul/Renewable-energy-statistics-2019
7 https://www.iea.org/geco/coal/
8 https://www.iea.org/southeastasia/
9 https://www.smithschool.ox.ac.uk/research/sustainable-finance/publications/Carbon-Lock-in-Curves-and-Southeast-Asia.pdf
10 https://climateactiontracker.org/
11 http://wedocs.unep.org/bitstream/handle/20.500.11822/26895/EGR2018_FullReport_EN.pdf?sequence=1&isAllowed=y
 
 
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