Pourquoi le crédit peut faire face à une phase de forte incertitude

Patrick Vogel, Schroders

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Les rendements des obligations d’entreprise sont désormais plus attractifs et les secteurs qui bénéficient d’une résilience intrinsèque à l’inflation semblent bien placés.

Alors que les marchés obligataires étaient déjà bousculés par le durcissement du ton des banques centrales et la persistance de pressions inflationnistes élevées, ils sont désormais également confrontés à une crise géopolitique majeure et aux retombées d’une guerre brutale.

L’issue ultime de la tourmente provoquée par l’invasion russe de l’Ukraine et la réaction de l’Occident est très incertaine. Nous savons qu’elle inflige déjà un terrible coût humain. Au-delà, il y aura de nombreuses retombées sur la donne politique régionale et mondiale, lesquelles deviendront plus manifestes au fil du temps.

En tant qu’investisseurs en crédit, il nous incombe de rester lucides et de nous concentrer sur les fondamentaux des classes d’actifs et des entreprises dans lesquelles nous investissons. De ce point de vue, nous devons prendre des décisions sur la manière de se positionner à la lumière du risque de perturbation des marchés.

Les obligations sont sous pression

Pour les marchés obligataires, le conflit en Ukraine renforce une pression déjà considérable. Les rendements des emprunts d’État ont fortement augmenté en début d’année, intégrant un resserrement musclé des taux d’intérêt face au durcissement du ton des banques centrales. Les rendements européens sont nettement retombés ces derniers jours, mais ils restent plus élevés qu’au début de l’année.

Les marchés du crédit ont subi des dégagements sur fond de creusement des spreads ces dernières semaines. Cette tendance s’est montrée relativement ordonnée pour l’essentiel, le marché tentant une stabilisation à la faveur de résultats d’entreprises positifs, et la volatilité des obligations des marchés émergents restant contenue.

Toutefois, la hausse des rendements et des spreads s’est traduite par des performances totales nettement négatives depuis le début de l’année. L’Europe en particulier a été prise de court, la Banque centrale européenne (BCE) ayant annoncé son intention de mettre un terme à ses achats d’actifs au troisième trimestre, «peu avant» de relever ses taux.

Face à l’escalade géopolitique, le sentiment a momentanément flirté avec la panique, une tendance observée même avant l’invasion effective de l’Ukraine. Sans surprise, les marchés du crédit européens ont été plus prompts que ceux américains à intégrer les risques liés à la guerre en Ukraine.

Quelle-est notre analyse de la situation macroéconomique?

Les événements macroéconomiques sont très incertains et évoluent rapidement. Nous ne saurions prédire l’évolution du conflit ukrainien. Nous commençons toutefois à obtenir une idée de l’ampleur des risques pour l’économie européenne et des conséquences potentielles pour la politique monétaire.

Les risques liés à la dépendance de l’Europe à l’énergie russe apparaissent désormais en plein jour et se manifestent par la sous-performance du marché européen. La durée de la guerre et ses conséquences sur les prix de l’énergie seront déterminantes pour la croissance européenne. A ce stade, la question est de savoir jusqu’où ira la hausse des prix de l’énergie.

Il est urgent pour l’Europe de se détourner de la Russie pour ses approvisionnements énergétiques. Cela semble problématique à court terme, car il n’est pas facile d’importer depuis d’autres pays ou de réduire rapidement le recours aux combustibles fossiles, ce qui constitue l’objectif à long terme.

L’Europe est désavantagée du point de vue des prix de l’énergie par rapport aux autres régions du monde. Les importations du Royaume-Uni depuis la Russie sont en effet limitées, tandis que l’économie américaine est globalement autosuffisante. La principale conséquence est l’accroissement du risque de stagflation en Europe. Les entreprises et les consommateurs européens devraient bénéficier d’un soutien budgétaire pour les aider à absorber le choc énergétique.

En termes de politique monétaire, le marché tablait sur six relèvements de taux aux Etats-Unis en 2022 et un en Europe. Ce nombre semblait élevé et les anticipations commencent à ralentir. La crise, le choc économique et l’effet néfaste sur la confiance pourraient inciter les banques centrales à modérer le relèvement des taux. Cela accroît la probabilité d’un soutien budgétaire qui viserait probablement à atténuer l’impact de la hausse des coûts de l’énergie et de l’alimentation pour les consommateurs.

Les valorisations reflètent clairement la faiblesse de la croissance et le risque de récession en Europe, mais la durée de la guerre et la nature du soutien budgétaire seront déterminantes. L’inflation va également augmenter, rendant encore plus délicat l’exercice d’équilibre auquel les banques centrales sont confrontées.

Les valorisations du crédit sont attractives et les fondamentaux sont sains

L’examen des valorisations du crédit fait ressortir des niveaux plus attrayants, les rendements se situant désormais à des niveaux attractifs et offrant même de meilleures perspectives de revenu que les actions. L’écart entre le rendement du dividende brut de l’Euro Stoxx 600 et le rendement des obligations Investment Grade (IG) en euros est au plus bas depuis près de 10 ans, à un peu plus de 1,0% à l’heure où nous rédigeons ce commentaire. Les obligations hybrides d’entreprises (comme les obligations perpétuelles qui n’ont pas de date d’échéance fixe) offrent un rendement identique à celui des actions.

Dans le cas des créances européennes à haut rendement (crédit de moindre qualité), la prime de rendement de 2% est la plus élevée depuis début 2016, à l’exclusion de mars 2020. Aux Etats-Unis, le rendement de 3,2% du crédit IG soutient plus favorablement la comparaison avec le rendement du dividende de 1,9% du S&P 500.

Le crédit peut également jouer un rôle de diversification en cas de ralentissement plus important que prévu de la croissance. Le revenu offre une protection, tandis que les obligations d’entreprise de qualité supérieure sont moins sensibles à la croissance que les actions. Ces facteurs devraient rendre le crédit attractif pour un vaste ensemble d’investisseurs non spécialisés, ce qui pourrait inciter les investisseurs institutionnels ou les fonds multi-actifs à accroître leurs allocations.

Des signes continuent de dénoter des niveaux d’activité satisfaisants pour les économies européennes sous-jacentes, et les Etats-Unis et la Chine ont notamment commencé à assouplir leur politique monétaire. Ce contexte est favorable aux fondamentaux des entreprises et soutient les bénéfices qui atteignent des niveaux record. Les bilans sont eux aussi résolument sains, les entreprises s’étant refinancées en profitant de taux d’intérêt bas l’an dernier. Pour les créances IG européennes, la couverture des intérêts (rapport EBITDA/charges d’intérêts) est supérieure à 10 fois. Les niveaux des marchés impliquent un taux de défaut plus élevé que celui susceptible de se concrétiser à l’aune des fondamentaux.

Dans le même temps, la sélectivité revêt une importance croissante. Les entreprises sont confrontées à des pressions grandissantes sur les coûts des intrants, qui pourraient s’aggraver si les prix de l’énergie continuent d’augmenter, et ce phénomène commence à impacter les recettes.

Quels sont les secteurs bien placés?

Nous considérons que les secteurs présentant des caractéristiques défensives intrinsèques, telles qu’une protection contre l’inflation et une solide base d’actifs, sont en bonne posture.

Dans l’immobilier par exemple, de nombreuses entreprises bénéficient de loyers indexés sur l’inflation à moyen terme et celles axées sur la logistique et l’immobilier résidentiel continuent de bénéficier d’une forte demande. Les covenants que comportent les documents de référence des obligations limitent l’effet de levier dans le secteur et les entreprises bénéficient de portefeuilles immobiliers bien diversifiés. Les obligations de certaines sociétés immobilières présentent actuellement des rendements supérieurs à ceux des actifs immobiliers sous-jacents. Cette situation devrait se rectifier et offrir du potentiel aux investisseurs obligataires.

Un autre exemple est le secteur des infrastructures, à savoir les exploitants d’actifs tels que les autoroutes à péage et les tours de télécommunication, dont les recettes sont souvent liées à l’inflation des prix à la consommation.

La plupart des actifs concernés sont en exploitation et les dépenses de maintenance sont relativement faibles, de sorte que les flux de trésorerie sont prévisibles. L’éventuelle reprise potentielle du tourisme dans certaines régions d’Europe cet été à la faveur de l’assouplissement des mesures de confinement et le déploiement de la 5G sont synonymes de revenus supplémentaires pour ces secteurs. Ces obligations ont été sous pression.

La hausse des prix du pétrole, du gaz et de l’électricité dope considérablement le chiffre d’affaires et les bénéfices du secteur de l’énergie. De solides arguments de long terme plaident selon nous en faveur des sociétés intégrées du secteur de l’énergie qui se préparent à la transition vers une économie bas carbone et au «zéro émission nette». Malgré des bénéfices record et un faible endettement, les prix des obligations du secteur de l’énergie ont fortement baissé, de façon injustifiée dans un certain nombre de cas compte tenu des fondamentaux.

En Asie, la perturbation des marchés provoquée par les tensions géopolitiques est susceptible d’offrir des opportunités intéressantes, notamment dans le secteur indien des énergies renouvelables, où la forte demande continuera de soutenir les fondamentaux.

Une stabilisation du crédit est envisageable

Outre la tragédie humaine que constitue la situation actuelle, elle marque un moment de grande incertitude en raison de l’évolution rapide de nombreux facteurs.

Compte tenu d’une croissance dont le niveau reste globalement favorable et de la solidité des fondamentaux des entreprises, nous pensons que le crédit pourrait être en mesure de se stabiliser et de se montrer plus performant à terme. Nous maintenons notre conviction envers les secteurs et les entreprises solides qui présentent les caractéristiques requises pour résister à des conditions difficiles, et recherchons des opportunités parmi les valeurs dont les valorisations nous semblent déconnectées des fondamentaux.

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