Pourquoi l’effet de levier sera déterminant pour la croissance mondiale?

Nikolaj Schmidt, T. Rowe Price

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Les craintes de «stagnation séculaire» semblent excessives.

La persistance de taux d’intérêt bas et négatifs laisse à penser que l’économie mondiale ne soit entrée dans une période de faiblesse chronique de la demande, que l’ancien secrétaire au Trésor américain Larry Summers a décrite comme une «stagnation séculaire». Il est donc évident que les gens soient inquiets. Depuis la crise financière mondiale de 2007-2008, la politique monétaire n’a cessé d’être assouplie pour soutenir la croissance - avec des résultats peu convaincants. Avec des taux directeurs proches de la limite inférieure, cela signifie également qu’il y a peu de marge de manœuvre si nous rencontrons un choc négatif de la demande, ce qui crée un véritable casse-tête pour les banques centrales.

Je ne pense pas que la première cause du ralentissement de croissance au cours de la dernière décennie relève de la stagnation séculaire. Au contraire, les taux faibles et sans précédent de ces dernières années sont, à mon avis, le produit d’un processus de désendettement prolongé qui est susceptible de s’inverser à un moment donné. En tant que tel, l’économie mondiale est probablement en meilleure forme que les partisans de la stagnation séculaire voudraient nous le faire croire.

Les quatre phases du désendettement de l’après-crise

Le désendettement depuis la crise financière mondiale s’est fait en quatre phases : la première phase critique de la crise financière a donné le coup d’envoi du désendettement des bilans américains; la crise souveraine de la zone euro a ensuite amorcé le processus de désendettement en Europe; la crise des « taper tantrums » a principalement touché les pays émergents hors Chine; et plus récemment, le désendettement de l’économie chinoise.

Ces phases de désendettement ont amené une série de freins considérables à l’économie mondiale, l’un après l’autre, au cours des onze dernières années. En général, les périodes de désendettement d’après-crise durent quelques années; la longévité et l’ampleur de la période actuelle montrent à quel point les déséquilibres macroéconomiques se sont accumulés avant et pendant la crise financière mondiale.

Quels étaient ces déséquilibres? Il y en a eu selon moi trois majeurs. Premièrement, dans les années qui ont précédé la crise financière, le relâchement des conditions financières a facilité un énorme boom de la construction. Ce déséquilibre, le plus prononcé aux États-Unis et dans le sud de l’Europe, ont laissé au monde un arriéré de créances que nous nous efforçons de réduire depuis lors. Deuxièmement, les crises immobilières ont causé plus de dommages aux finances des particuliers que les chocs sur les marchés financiers. Le logement constitue la principale réserve de richesse pour la plupart des familles, alors que l’investissement en actions est réservé à des privilégiés. Combinée à des normes de crédit plus prudentes, la dégradation des bilans des ménages a entravé leur accès au crédit. Troisièmement, en réponse à la crise financière, les déficits budgétaires ont explosé et les marchés émergents ont favorisé une expansion rapide du crédit au secteur privé.

Le processus de désendettement a divergé d’une région à l’autre. Aux États-Unis, alors que les ménages ont réduit leur niveau d’endettement de manière agressive, le secteur des sociétés non financières a considérablement augmenté ses emprunts. Les emprunts du secteur des sociétés non financières ont été principalement utilisés pour l’ingénierie financière (rachats d’actions, paiements de dividendes, acquisitions), ce qui, contrairement à la constitution de capital, ne soutient pas la croissance. En Europe et au Japon, le désendettement a été diversifié, et il y a eu une forte volonté de maîtriser les déficits budgétaires importants issus de la grande crise financière et souveraine de la zone euro. Le processus de désendettement de la Chine a été orchestré par un changement de cap décisif d’une politique de croissance à une stabilité financière et s’est concentrée sur le secteur non domestique.

Que se passe-t-il lorsque tout le monde veut réduire son endettement - c’est-à-dire économiser - en même temps? Une demande déficiente fait baisser la croissance et un excédent de fonds pouvant être prêté fait baisser les taux d’intérêt. Cependant, il serait erroné de croire qu’il y a quelque chose de «naturel» dans un état séculaire de désendettement. Dans toute économie dont la population est en croissance, l’endettement des ménages devrait représenter une part croissante du revenu global, car l’augmentation du nombre de ménages exige une augmentation de logements disponibles. Pour cela, il faut que quelqu’un prenne une hypothèque - soit le ménage, soit le propriétaire.

Moins de dettes, moins de récession

L’une des conséquences du processus de désendettement est qu’il a laissé l’économie mondiale avec très peu de déséquilibres macroéconomiques. Les économies qui se désendettent ne connaissent pas d’explosion des investissements ou de la consommation. La plupart des récessions apparaissent en réaction à des excès. Par conséquent, vue au travers d’un prisme macroéconomique, l’économie mondiale se trouve dans un état de résistance inhabituel compte tenu de la durée de son expansion. Ainsi, même s’il y a une correction des marchés, l’absence de déséquilibre macroéconomique dans l’économie réelle devrait en atténuer la gravité.

Sommes-nous trop cavaliers face à la hausse des niveaux d’endettement du secteur des entreprises non financières américaines? Il s’agit clairement d’une fragilité financière qui, très probablement, jouera un rôle prépondérant dans la prochaine récession. Cependant, comme ce type de créance n’a pas trouvé sa voie dans l’économie réelle sous la forme d’un boom des investissements, elle n’a probablement pas créé de distorsion macroéconomique.

Que faudra-t-il pour que les consommateurs et les entreprises recommencent à emprunter et à déclencher de la croissance? C’est une question plus difficile. Au-delà de l’ajustement des créances dans la construction/le logement, pour s’endetter il faut avoir une certaine confiance dans l’avenir, dont la stabilité politique est un élément clé. Ces dernières années, cependant, nous avons connu le différend commercial entre les États-Unis et la Chine, la longue saga du Brexit et la montée des partis politiques populistes et anti-establishment dans de nombreux pays. Une certaine stabilité politique devrait être rétablie avant que les ménages et les entreprises ne recommencent à dépenser.

Ce retour à l’endettement fera l’objet d’un autre article. Pour l’instant, la demande faible et le niveau des taux d’intérêt bas connus au cours de la dernière décennie semblent être, plus probablement, le résultat d’un processus de désendettement provoqué par une forte accumulation de déséquilibres macroéconomiques qui datent d’avant la crise financière mondiale et non d’une stagnation séculaire. En tant que telle, l’économie mondiale est probablement en meilleure forme que ne le prétendent les partisans de la stagnation séculaire.