Pourquoi l’agriculture régénératrice est-elle un enjeu pour les investisseurs?

Robert-Alexandre Poujade, BNP Paribas Asset Management

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L’agriculture est à la croisée de plusieurs objectifs de développement durable (ODD)  et constitue un enjeu de la transition environnementale.

Dans le monde entier, plus de 70% des réserves d’eau douce sont utilisées pour l’agriculture et, selon le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), ce secteur génère 22% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Sans action, il sera impossible de limiter le réchauffement de la planète à 1,5°C, et la perte de biodiversité se poursuivra.

L’agriculture régénératrice n’est pas définie de façon universelle, contrairement à l’agriculture industrielle, qui vise en premier lieu le rendement des cultures. L’agriculture régénératrice porte ses efforts sur la durabilité, à savoir:

  • la régénération et la fertilité des sols
  • la préservation de la biodiversité
  • l’amélioration du cycle de l’eau
  • la bioséquestration, soit la capture et le stockage du dioxyde de carbone
  • la résilience au changement climatique.
Quels sont les avantages de l’agriculture régénératrice?

Les agriculteurs peuvent employer différentes méthodes. L’agriculture biologique sans labour ou à faible labour, par exemple, minimise la perturbation du sol, évitant ainsi des émissions de CO2 provoquées lorsque le carbone contenu dans le sol est exposé à l’air libre. L’approche régénératrice contribue également à créer ou maintenir un microbiome du sol sain. Cela permet de réduire la nécessité d’utiliser des engrais chimiques qui, eux aussi, produisent des émissions de gaz à effet de serre, principalement sous forme d’oxyde nitreux. La méthode régénératrice accroît aussi la capacité du sol à absorber et à filtrer l’eau, tout en ralentissant l’évaporation et en améliorant l’efficacité de l’irrigation. On obtient alors des aliments plus naturels, ayant aussi une valeur nutritionnelle souvent plus élevée.

Source: Food and Agriculture Organisation, AQUASTAT data 2019

Les cultures de couverture, un élément clé de l’agriculture biologique sans labour, peuvent contribuer à maintenir la santé des sols en les protégeant contre l’érosion et la perte d’éléments nutritifs, un phénomène qui se produirait si les terres étaient laissées à nu entre les saisons de croissance. Les cultures de couverture peuvent contribuer à prévenir la prolifération des mauvaises herbes, des maladies et des insectes nuisibles, à apporter des nutriments, à réduire le besoin d’insecticides, de fongicides et d’herbicides, ainsi qu’à améliorer la biodiversité et le stockage naturel du carbone.

L’agroforesterie fait appel à des essences dont les arbres ont des racines qui s’enfoncent profondément dans le sol et y libèrent du carbone. Ces arbres recyclent les nutriments et lient le sol, ce qui empêche l’érosion. On distingue deux méthodes principales:

  • L’agroforesterie agrisylvicole dans laquelle la culture se fait sous les arbres, ce qui signifie que les plantes occupent différentes couches au-dessus et au-dessous du niveau du sol.
  • L’agroforesterie sylvopastorale, on permet au bétail de paître sous les arbres. Ceux-ci fournissent aux bêtes un abri, du feuillage et parfois des fruits, tandis que les arbres et le sol bénéficient des nutriments contenus dans les déjections animales.

Les cultures de couverture tout comme l’agroforesterie peuvent également contribuer à assurer une température plus basse dans le milieu environnant.

En fin de compte, ces méthodes et d’autres, telles que le compostage, la rotation des cultures et la rotation des pâturages, permettent une utilisation plus efficace des ressources. Par exemple, une utilisation plus efficace des nutriments, permet d’augmenter le rendement des cultures, tandis qu’une gestion plus efficace de l’eau permet d’atténuer la pression sur les réserves d’eau douce.

Source: Food and Agriculture Organisation, AQUASTAT data 2019

Lorsque les pratiques de l’agriculture régénératrice engendrent des rendements plus élevés, elles permettent de préserver davantage d’habitats naturels au lieu de les défricher à des fins agricoles, réduisant ainsi l’empreinte environnementale de ce secteur d’activité.

Les agriculteurs peuvent tirer de ces pratiques des avantages financiers sur le long terme. Notamment, grâce à la réduction des coûts des apports artificiels, à l’amélioration du rendement et de la qualité des récoltes, ainsi qu’à une meilleure résistance aux événements climatiques extrêmes et à la volatilité des marchés. Les agriculteurs pourraient également profiter de nouvelles sources de revenus durables, en bénéficiant par exemple de primes récompensant le captage et le stockage du carbone dans le sol.

La transition environnementale passe aussi par les pratiques agricoles

Selon le Forum économique mondial (FEM), si les pratiques agricoles régénératrices étaient mises en œuvre sur 40% des terres cultivées dans le monde, cela permettrait d’éviter environ 600 millions de tonnes d’émissions de gaz à effet de serre par an, soit 2% du volume total de la planète. Or, pour limiter l’augmentation de la température moyenne mondiale à 1,5°C, le taux d’expansion de l’agriculture régénératrice devrait tripler par rapport aux niveaux actuels pour pouvoir, d’ici 2030, englober 40% des terres cultivées dans le monde.

C’est pourquoi le FEM recommande que l’ensemble de l’industrie alimentaire s’entende sur l’adoption de critères communs, ce qui permettrait aux agriculteurs de modifier plus facilement leurs pratiques et constituerait une base pour des primes de récompense en cas de changements positifs.

Par exemple, pour des avancées réalisées sur le plan environnemental telles que l’élimination et la réduction des émissions de carbone, le FEM suggère également la mise en place d’un système fiable et crédible de rémunération. Pour les agriculteurs, cela constituerait une source de revenus supplémentaires.

Il est nécessaire d’installer des mécanismes permettant de partager avec les agriculteurs le coût de la transition vers une agriculture régénératrice, ainsi que des politiques gouvernementales encourageant activement les agriculteurs à se lancer dans cette voie, et récompensant ceux qui choisissent de le faire.

La façon dont nous produisons les aliments a historiquement conduit à une augmentation aussi bien des émissions de carbone que de l’intensité des ressources employées dans le secteur agricole. Convaincre les consommateurs du monde entier de s’orienter, à grande échelle, vers une alimentation différente (en mangeant moins de viande, de produits laitiers et de sucre, et plus de fruits, de légumes, de céréales et de légumineuses) représente un défi. Mais, de fait, pratiquer une agriculture qui utilise des méthodes régénératrices pourrait être un moyen plus durable de nourrir la population mondiale.

De nouvelles technologies telles que l’irrigation intelligente (recourant au positionnement par satellite) pourraient également être utiles dans le cadre de l’agriculture régénératrice. Les entreprises qui travaillent sur ces applications ainsi que sur d’autres solutions favorisant la gestion efficace de l’eau, l’utilisation intelligente des engrais, une alimentation de meilleure qualité, mais aussi dans le rétablissement des écosystèmes et dans les projets de reboisement, peuvent ainsi devenir des opportunités d’investissement attrayantes pour les investisseurs.