Obligations sociales: un marché en plein essor

Tammie Tang, Columbia Threadneedle Investments

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L’impact grandissant de la nouvelle classe d’actifs.

Prise de conscience

A l’instar des Principes applicables aux obligations vertes publiés en 2014, les Principes applicables aux obligations sociales ont vu le jour en 2016.

Ces lignes directrices ont offert aux entreprises la possibilité d'émettre des obligations dont le produit serait affecté à des projets purement sociaux, titres que l’on qualifie d'«obligations sociales». Si quelques émissions ont par la suite été réalisées sur ce marché, principalement par des Etats, il a véritablement décollé lors de la pandémie de Covid-19 (figure 1).

Après la crise sanitaire, la sensibilisation aux produits financiers affichant des objectifs sociaux s’est accrue, avec à la clé une croissance constante aussi bien au niveau de la taille, que du type d’instrument sur ce marché. Les entreprises émettent désormais des obligations labellisées «sociales» et les banques figurent parmi les émetteurs affichant le plus grand impact: Intesa a émis une première obligation sociale de 750 millions de dollars en mai 2023 afin de financer des programmes visant à abaisser le taux de chômage ou bien le maintien dans l’emploi consécutif à des périodes de crises et à apporter une aide en cas de catastrophes naturelles ou d’urgences sanitaires ou sociales; AIB a émis 1,75 milliard de dollars d’obligations sociales axées sur la santé, l'éducation, le logement social et abordable ainsi que sur les infrastructures de base abordables. CaixaBank a levé par ce biais 5 milliards de dollars depuis 2019, principalement à des fins de création d’emplois et de prêts aux entreprises.

En effet, la question n’est désormais plus de savoir s’il faut émettre une obligation verte, mais bien de déterminer comment émettre le bon type d’obligation verte, sociale ou durable. Notre engagement dans ce secteur vise à augmenter le nombre d'émissions sur le marché des obligations sociales.

Reconnaissance des enjeux sociaux sur un marché élargi

Outre les obligations sociales, il existe également des obligations vertes dont les fonds levés sont affectés à des projets liés à l’environnement et des obligations durables qui peuvent financer à la fois des projets verts et des projets sociaux. Au sein de ces deux instruments obligataires, nous avons toutefois constaté une hausse de la prévalence et de la prise de conscience des questions sociales. Ainsi, certains nouveaux émetteurs d’obligations vertes, comme le Trésor d’Australie occidentale, ont fait leur entrée sur le marché en s’engageant à rendre compte des bénéfices sociaux connexes des projets environnementaux ainsi financés. Le gilt vert du Trésor britannique a été un précurseur dans ce domaine, les fonds levés étant destinés à des projets d’infrastructure verte qui génèrent également des avantages sociaux grâce à la création d’emplois verts.

Les rapports relatifs à ces obligations permettront de mieux appréhender les avantages sociaux connexes des projets écologiques, notamment en matière de création d’emplois, d’amélioration des transports et de meilleure efficacité énergétique des logements.

Nous avons également constaté une augmentation des émissions obligataires liées au développement durable (sustainability-linked bonds, SLB) associées à des indicateurs clés de performance (KPI) sociaux. Ainsi, le gouvernement chilien a émis une SLB comportant des objectifs en matière d'émissions de carbone et un engagement à porter le nombre de femmes dans les conseils d’administration à au moins 40% dans les entreprises relevant de la Commission des marchés financiers d’ici à 2031. Notre avis à l'égard du marché des SLB n’a toutefois pas changé et nous restons convaincus que des améliorations considérables sont encore nécessaires, tant en termes de réflexion que d’intention, en particulier en ce qui concerne la fixation d’objectifs stricts et ambitieux. Nous nous réjouissons toutefois de constater que des indicateurs clés de performance d’ordre social commencent à être appliqués parallèlement aux objectifs d'émissions de carbone plus couramment utilisés.

Des rapports d’impact plus aboutis

Les rapports concernant ces obligations reposent sur des bases solides établies par les principes et lignes directrices, qui fournissent des exemples d’indicateurs clés de performance pour différents types de projets. Si les exigences des lignes directrices de l’ICMA (International Capital Market Association) en la matière sont certes utiles, nous pensons néanmoins que ces rapports ainsi que la compréhension de l’impact peuvent être améliorés.

Nous aimerions que le marché se concentre davantage sur les preuves de l’impact. Il nous semble par exemple essentiel de répertorier les principales mesures sociales et environnementales liées à l’impact généré, et ce quel que soit le type d’obligation. Nous proposons également d’inclure dans les rapports des indicateurs de suivi des populations cibles afin d'évaluer l’utilité des projets. Rares sont en effet les émetteurs qui le font, à l’exception notable de CaixaBank, dont le rapport d’impact des obligations sociales est, à notre avis, le meilleur de sa catégorie et un modèle à suivre pour tous les documents de ce type.

Tester différentes types d’obligations

Les obligations thématiques sont aujourd’hui courantes sur le marché et permettent d’affecter les fonds levés à des projets portant sur une problématique spécifique. C’est notamment le cas de la Banque asiatique de développement (BAD), qui a émis en 2022 une série d’obligations d’inclusion sociale axées sur l'égalité des sexes et respectant les normes de l’ICMA, un programme qui lui a permis de lever plus de 2,9 milliards de dollars. Ces obligations se concentrent sur des programmes, des projets, des investissements et des prêts en faveur de l'égalité de genre et de l’autonomisation des femmes. L’objectif est de généraliser le thème de l'égalité hommes-femmes, de définir des objectifs d’emploi en fonction du genre, d’accroître la participation à l’économie, d’améliorer la protection sociale et les programmes de santé, et de soutenir la prévention et la lutte contre les violences basées sur le genre. Ces programmes reconnaissent également la vulnérabilité des femmes face aux chocs climatiques, ainsi que le rôle important qu’elles doivent jouer dans l’adaptation au changement climatique et dans les stratégies de résilience face aux catastrophes, aux crises et aux tensions liées au climat.

D’autres obligations axées sur cette thématique, mais aussi des obligations ciblant des zones géographiques spécifiques, la santé et l'éducation ont été émises par divers émetteurs. Cette innovation constante sur le marché obligataire constitue un indicateur positif quant à la poursuite de la réflexion sur la contribution d’instruments financiers à la résolution des problèmes du monde réel.