Les ménages face à l’inflation

Nicolas Marmagne, XO Investments

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Le retour de l’inflation aura des conséquences marquées pour les ménages qui dépensent une large part de leurs revenus en alimentation.

L’inflation accélère

Il y a deux ans, la crise du Covid faisait baisser massivement l’ensemble des actifs financiers. Les matières premières ne faisaient pas exception. Point d’orgue de ce phénomène, l’arrêt du transport aérien qui faisait plonger le baril de pétrole en territoire négatif en avril 2020. Deux ans plus tard, force est de constater que les injections colossales d’argent de la part des banques centrales, les difficultés logistiques et la reprise économique ont bien modifié les conditions monétaires.

L’inflation est de retour dans le monde et s’accélère encore avec la crise en Ukraine. Cette guerre permet d’ailleurs à certains personnages politiques américains, Nancy Pelosi en tête, de tenter de faire porter la responsabilité du retour de l’inflation exclusivement au président russe. La présidente de la Chambre des représentants des Etats-Unis explique que l’inflation a débuté avec le président Poutine et que les dépenses gouvernementales font exactement l’inverse...  Le déficit abyssal généré par le gouvernement américain n’y est apparemment pour rien…

Inflation aux USA (%)

Source: Bloomberg, XO Investments SA

Avec une inflation qui atteint désormais 8% et dépasse les anticipations, un cycle inflationniste semble se mettre en place. C’est également le cas en Suisse, même si la proportion est différente. Après une décennie d’inflation à 0%, voire des périodes plutôt déflationnistes, la Suisse retrouve une inflation supérieure à 2%.

Inflation en Suisse (%)

Source: Bloomberg, XO Investments SA

Il faut remonter à 2008 pour avoir un chiffre de ce niveau. Pour les Etats-Unis il faut revenir 40 ans en arrière, soit à un moment de l’histoire économique américaine où les taux d’intérêts étaient à plus de 10%.

Inflation long terme US et CH (%)

Source: Bloomberg, XO Investments SA

En moyenne sur 50 ans, la différence de taux d’inflation entre les Etats-Unis et la Suisse est de 1.75%. Cette différence explique l’appréciation du CHF contre USD sur la période de plus de 2%.

Différentiel d’inflation US et CH (%)

Source: Bloomberg, XO Investments SA
Différentiel d’inflation et CHF

Source: Bloomberg, XO Investments SA

Or le différentiel est aujourd’hui beaucoup plus important et dépasse largement 5%. De quoi anticiper, soit une augmentation de l’inflation en Suisse ou une diminution de l’inflation aux Etats-Unis, soit une appréciation du CHF contre l’USD dans les mois à venir.

Des dépenses qui évoluent

Les ménages vont devoir s’adapter à ce nouvel environnement inflationniste. L’indice des prix à la consommation est un instrument pour vérifier l’impact de l’inflation sur les ménages. Chaque pays définit un panier type et mesure son évolution au cours du temps.

Dépenses des ménages

Source: OFS, XO Investments SA

En Suisse les principales catégories de dépenses sont le logement, les impôts (même si dans l’imaginaire à l’étranger cette catégorie n’existe pas en Suisse), les assurances sociales, la santé et les transports. Le logement inclut les dépenses d’énergie qui vont largement progresser dans les mois à venir.

L’énergie est centrale puisqu’elle a des implications dans toutes les catégories: dans le transport et le logement évidemment mais aussi dans l’alimentation (il faut de l’énergie pour chauffer des semis, du gaz pour les fertilisant ou pour sécher les produits,…) ou les équipements ménagers. La seule hausse énergétique peut conduire à une inflation dans toutes les autres catégories.

Il est intéressant de mesurer l’évolution des postes de dépenses au cours du temps. En Suisse la catégorie logement/énergie a largement baissé en 20 ans. A l’inverse les dépenses de santé progressent régulièrement.

Evolution des principaux postes de dépenses des ménages en Suisse

Source: OFS, XO Investments SA

L’OFS et le magazine Bilan ont récemment publié une analyse de très long terme en comparant les dépenses de ménages entre 1939 et 2020. Elle permet de comprendre la modification des modes de consommation. En 1939 les ménages suisses dépensaient 40% de leurs revenus dans l’alimentation, soit 4 fois plus qu’aujourd’hui. Les vêtements et chaussures représentaient 15%. Le logement et l’énergie a diminué mais dans une moindre mesure que les deux premiers éléments cités. La santé, les loisirs ou les transports et télécommunication ont fortement progressé.

Dépenses des ménages (1939-2020)

Source: OFS, Bilan, XO Investments SA

Outre l’évolution des prix qui influence la statistique de l’indice des prix à la consommation, tous les 5 ans, l’Office Fédéral de la Statistique (OFS) réajuste la composition du panier type. Ceci permet d’adapter le calcul aux modes de consommation. Pour ne citer que quelques exemples:

  • 1977: intégration des poissons frais et surgelés mais suppression des flocons d’avoine;
  • 1993: ajout des appareils auditifs, micro-ordinateurs;
  • 2001: petite restauration à l’emporter et taxes d’épuration font leur apparition;
  • 2011: entrée des forfaits de téléphonie fixe et internet et sortie des appareils photo analogique;
  • 2016: remplacement des machines à coudre par les robots-ménagers;
  • 2021: le tissu pour l’habillement est supprimé alors que les masques hygiéniques jetables et les désinfectants pour les mains apparaissent;

Le panier type reflète donc l’évolution des modes de vie. En termes alimentaires une partie de ce changement correspond à une substitution de produits. Les choux de Bruxelles ont été supprimés en 2006 alors que le café en capsules faisait son apparition. La hausse des prix alimentaires, du blé en particulier, conduira à d’autres modifications de notre alimentation et du panier type. Si le blé continue de flamber, les prix de la viande vont grimper. La consommation de protéines se fera soit en diminution dans un mode plus végan soit en substituant la viande par d’autres sources de protéines animales comme les insectes (sauterelles, criquets) qui apparaissent déjà dans les magasins.

Le poids de l’alimentation comme symptôme des inégalités

Le poids de l’alimentation dans la consommation des ménages donne une idée de l’impact que la hausse des prix alimentaires peut avoir dans différents pays. Ce poids représente une forme d’inégalité fasse à l’inflation. François Mitterrand déclarait à ce titre: «L’inflation, impôt pour les pauvres, prime pour les riches, est l’oxygène du système…». Il est donc tout à fait logique de retrouver une classification où les ménages des pays occidentaux ne dépensent qu’une faible portion de leurs revenus dans l’alimentation. A l’opposé les ménages des pays pauvres dépensent la majorité de leurs revenus dans la nourriture. 60% pour les Nigérians par exemple.

Part des dépenses de nourriture dans le monde

Source: USDA 2017, XO Investments SA

Une relation existe donc entre la proportion de dépenses alimentaires d’un ménage moyen d’un pays et le PIB par tête, soit la richesse moyenne du pays. Plus le pays est riche, moins ses habitants consacreront d’argent en proportion de leurs revenus à l’alimentation.

Dépenses alimentaires et PIB par tête

Source: USDA 2017, World Bank, XO Investments SA

Une nuance est néanmoins à apporter. Dépenser beaucoup en alimentation n’implique pas forcément des repas copieux. En termes calorifiques, même si les Américains dépensent proportionnellement moins en alimentation, l’apport calorifique est sans commune mesure avec celui des Kenyans qui dépensent pourtant 50% de leur budget en nourriture.

Dépenses alimentaires et calories

Source: USDA, FAOSTAT, XO Investments SA

La problématique centrale d’un retour de l’inflation des prix alimentaires dans des pays fragiles est le risque de crise humanitaire, voire de crises sociales conduisant à des révolutions. Le printemps arabe d’il y a 10 ans est arrivé dans une période où le prix du blé était élevé. Il faut donc aborder avec prudence cette période cruciale.

Une inflation sous-estimée

L’inflation semble donc être bel et bien de retour. L’IPC, soit l’indice des prix à la consommation, est le baromètre permettant de juger de ce retour.

Malheureusement cet outil de mesure n’est pas parfait. Il mesure en effet non pas les dépenses que les individus font pour vivre mais calcule l’évolution d’un panier de biens et services consommés. L’OFS estime qu’en Suisse 40% des dépenses sont exclues de ce calcul. Or ce sont souvent des dépenses contraintes comme les assurances maladie qui ont fortement augmenté.

L’inflation réelle est très probablement plus importante que celle mentionnée dans les publications statistiques. Le consommateur mais également l’investisseur doivent donc se préparer au mieux pour faire face à ce nouvel environnement et adopter en conséquence leur comportement ou leurs investissements.