Les implications du COVID-19 sur la gestion ESG

Andrea Astone, BMO Global Asset Management

4 minutes de lecture

Gros plan sur la production alimentaire.

Les chaînes mondiales de production alimentaire subissent de plein fouet la pandémie du COVID-19: ralentissement des flux lié aux restrictions des transports et à la fermeture des frontières, peu d’options disponibles en matière de distanciation physique dans les usines de production ou de traitement et durcissement des conditions de voyages et d’immigration limitant la disponibilité des saisonniers bien formés.

Cette année, dans le cadre de nos initiatives d’engagement sur le thème de l’alimentation durable, nous allons nous mettre en relation avec des entreprises de toute la chaîne alimentaire pour comprendre les défis qui sont les leurs et les encourager à faire du bien-être de leur personnel une priorité immédiate et permanente.

Les conséquences du COVID-19 sur les chaînes alimentaires mondiales ont été dramatiques. Files d'attente devant les magasins d’alimentation, pénuries de biens essentiels, difficulté de faire ses achats tout en gardant ses distances, autant de contraintes qui se sont répercutées sur une grande partie de la population mondiale. En matière de production, en particulier dans les usines de transformation de viande, les difficultés à assurer la distanciation ou le manque d’équipements de protection appropriés contre le virus ont entraîné de nombreux malades et la fermeture des sites. Dans le même temps, l'arrêt de la chaîne d'approvisionnement des restaurateurs a engendré une augmentation du gaspillage alimentaire.

Dans cet article, nous passons en revue les défis alimentaires de la crise du COVID-19 et analysons le rôle des initiatives d’engagement des investisseurs.

Quels ont été les impacts sur l’approvisionnement alimentaire?

Comme de nombreuses autres chaînes d'approvisionnement, les systèmes alimentaires sont complexes et globaux et ils connaissent actuellement plusieurs types de perturbations:

Perturbation des récoltes

Dans de nombreuses régions de l’hémisphère nord, la saison des récoltes bat son plein. Ces récoltes permettent en théorie de garantir la disponibilité de nourriture au niveau local pour toute la durée de la saison. L’agriculture dépend en grande partie d’une main d'œuvre bon marché mais expérimentée et flexible.

Avec la fermeture des frontières, cette main-d'œuvre, en provenance par exemple d'Europe centrale et orientale ou d'Amérique du Sud (également en grande partie confinée) pour les pays voisins plus riches, s’est raréfiée. Malgré les dérogations mises en place rapidement, comme des programmes de visas spécifiques, de nombreux agriculteurs craignent qu'une grande partie de leurs récoltes ne soit perdue.

Perturbation de la production

La production a été complètement stoppée dans diverses régions à travers le monde en raison de l'apparition de virus parmi le personnel et des difficultés à mettre en œuvre la distanciation physique. Citons par exemple les usines de transformation du porc et d’emballage de viande, telles que celles détenues par les entreprises américaines Smithfield et Tyson. Pour d'autres entreprises, la production peut être interrompue en raison d'une pénurie d'ingrédients. Par exemple, un producteur alimentaire britannique que nous avons interpellé sur sa réponse au COVID-19 utilise habituellement des épices en provenance de l'Inde, qui a arrêté tout trafic aérien.

Perturbations des transports et du commerce

Certains ports ne fonctionnent pas comme d’habitude et les expéditions de marchandises sont souvent retardées, voire annulées.

Les trains de marchandises ou les camions ne peuvent pas traverser les frontières et certains pays ont annulé tous les vols pour limiter la propagation du virus.

Restrictions des exportations

Et même lorsque les transports sont encore autorisés, les restrictions imposées aux exportations peuvent perturber les livraisons. La Turquie, responsable d’un tiers de l’approvisionnement mondial en citrons, a restreint ses exportations.

La Russie, l’Ukraine et la Roumanie figurent parmi les pays ayant interrompu leurs exportations de céréales. Bien que ces restrictions restent exceptionnelles, leur impact est toujours palpable. La diminution des exportations céréalières touche directement les éleveurs, dont certains ont déjà du mal à nourrir leur bétail.[1]

De la demande des restaurateurs à celle des commerces alimentaires

Les habitudes alimentaires ont considérablement évolué dans la mesure où les gens mangent chez eux et non plus au travail ou au restaurant. La demande alimentaire des commerces alimentaires a donc soudainement pris le relais de la demande des restaurateurs. Mais les chaînes d'approvisionnement destinées aux commerces alimentaires et aux professionnels de la restauration sont très différentes en termes de quantité, de taille, de format de livraison et d'emballage, mais aussi au niveau des procédures de commande. Autrement dit, la demande excédentaire des commerces alimentaires n’a pas pu être satisfaite par l’offre excédentaire destinée aux restaurateurs, ce qui a entraîné des pertes de revenus et du gaspillage alimentaire.

En cas d’incapacité à relever ces défis, ce sont les pays les plus pauvres du monde qui subiront les conséquences les plus graves. Selon le Programme alimentaire mondial des Nations unies[2], le nombre de personnes souffrant de la faim en raison de la crise du COVID-19 pourrait passer de 135 millions à plus de 250 millions, et ce sont les pays les moins développés qui seront les plus touchés3. Cette tendance va accroître l'impact humain de cette pandémie au-delà des personnes touchées par le virus et constitue une menace sérieuse pour la réalisation de l’ODD 2: «Éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir l’agriculture durable». Dans certaines régions agricoles, les sécheresses et les invasions de sauterelles complexifient encore la situation.

Démarche d’engagement

L’une de nos priorités en matière d’engagement pour 2020 concerne les «systèmes alimentaires durables». Qu’il s’agisse d’investissements en actions ou en obligations, nous dialoguons avec des distributeurs, des entreprises de négoce et des producteurs alimentaires. Avec la pandémie, cette priorité a pris tout son sens.

Bien qu’elle n’entre pas dans le cadre d’un exercice ordinaire de planification d'urgence, cette pandémie renforce la légitimité des tests de résistance des chaînes d'approvisionnement, des plans de continuité de l’activité des entreprises et met en exergue la qualité des relations avec les fournisseurs, plutôt que de s'adresser à des tiers. Nous nous félicitons également de la décision de certaines entreprises de tenir compte des difficultés financières de leurs fournisseurs, par exemple en garantissant un paiement accéléré ou, du moins, rapide des factures non réglées.

Selon le Programme alimentaire mondial des Nations unies[3], le nombre de personnes souffrant de la faim en raison de la crise du COVID-19 pourrait passer de 135 millions à plus de 250 millions, et ce sont les pays les moins développés qui seront les plus touchés.[4]

L’un des thèmes clés de nos initiatives d’engagement concerne la protection de la main d'œuvre.

La chaîne de production alimentaire impose une forte intensité en main-d'œuvre et se caractérise par des emplois mal payés, souvent physiquement exigeants. Nous allons nous appuyer sur le dialogue instauré avec les entreprises pour analyser encore plus minutieusement les défis créés par la pandémie, comme la difficulté à mettre en œuvre les mesures de distanciation physique dans certains environnements, comme les usines et les points de vente alimentaires. Lorsque de bonnes pratiques se sont fait jour, comme la prise en charge des congés maladie, nous encouragerons les entreprises à les pérenniser.

Nous envisageons également de nouer un dialogue avec les institutions financières pour les encourager à soutenir les professionnels de l’alimentation via des aides financières, des reports de paiement des remboursements immobiliers et d’éventuelles discussions en matière d’allègement de la dette. Avec les émetteurs souverains, nous évoquons divers sujets comme la réduction des restrictions des exportations et des échanges commerciaux ou encore la constitution responsable de stocks.

Responsabilité des investisseurs et conclusion

Assurer la sécurité alimentaire et la continuité de l'activité des entreprises est une tâche complexe et nécessite notamment de protéger la main d'œuvre, d’assurer la transition des chaînes d’approvisionnement entre les professionnels de la restauration et les commerces de détail et, enfin, de soutenir financièrement les agriculteurs et les autres acteurs du secteur.

Les initiatives d’engagement des investisseurs ne constituent qu’une infime partie de la solution mais, compte tenu de l’ampleur du problème, il est essentiel de faire tout ce que nous pouvons. En collaboration avec d’autres investisseurs, nous cherchons à valoriser et à diffuser les meilleures pratiques de certaines entreprises, tout en incitant les «mauvais élèves» à assumer leurs diverses responsabilités.

ODD 2: Faim zéro

Éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir l’agriculture durable

Outre leur démarche financière, les investisseurs sont aussi des acteurs sociaux assumant leur responsabilité d’entreprise. Pour lutter contre la faim (et atteindre l’ODD 2), les programmes d'allègement de la dette mis en œuvre par le G20 devront être suivis par les marchés financiers. Dans le sillage de l'appel lancé par le G20[5], les créanciers privés doivent «étudier la question des modalités de suspension des remboursements du service de la dette»[6] afin de réduire le fardeau financier de certaines des nations les plus pauvres et leur permettre de consacrer leurs moyens à la sécurité et à la distribution de nourriture à leurs populations.

Les idées et opinions sont celles de BMO Global Asset Management et ne doivent pas être considérées comme une recommandation ou une sollicitation d’achat ou de vente de toute entreprise éventuellement mentionnée.

Les informations, opinions, estimations ou prévisions contenues dans le présent document ont été obtenues auprès de sources jugées fiables et peuvent être modifiées à tout moment.

 

[1] https://www.bloomberg.com/news/articles/2020-04-10/food-supply-fears-are-growing-as-romania-bans-grain-exports
[2] 2020 – Rapport mondial sur les crises alimentaires https://www.wfp.org/publications/2020-global-report-food-crises
[3] 2020 – Rapport mondial sur les crises alimentaires https://www.wfp.org/publications/2020-global-report-food-crises
[4] Les pays les plus touchés seront probablement le Yémen, la République démocratique du Congo, l'Afghanistan, le Venezuela, l'Éthiopie, le Sud-Soudan, le Soudan, la Syrie, le Nigeria et Haïti.
[5] «Private sector should join poor countries’ debt relief plan», FT, mai 2020: https://www.ft.com/content/f4de06d4-8af3-11ea-a109-483c62d17528
[6] Communiqué du G20 suite à la réunion des ministres des Finances et des gouverneurs des banques centrales, avril 2020