Les employés prennent-ils le pouvoir?

Aymeric Gastaldi, Edmond de Rothschild Asset Management

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Du fait du déficit de travailleurs généré par la bascule démographique, le rapport de force entre employeurs et employés s’inverse au profit de ces derniers, probablement de manière durable.

En 2021, nous apprenions l’existence de la «Great Resignation» aux Etats-Unis, mouvement d’ampleur qui désignait le non-retour au travail de millions de salariés après les confinements, l’accélération des démissions et in fine les premières difficultés que rencontraient les sociétés pour recruter.

Si le verdict était sans appel (le taux de démission volontaire mensuel atteignant 3%), les causes restaient relativement floues. Des explications telles que l’arrêt des flux migratoires entrants, l’accélération des départs à la retraite ou la capacité pour certains Américains à vivre avec les chèques distribués pendant la pandémie de COVID-19 comme principal source de revenus sont souvent avancées. Elles sont certainement au moins partiellement vraies.

Ces éléments sont toutefois de nature conjoncturelle, et force est de constater que 2 ans après le début des déconfinements, la tension sur le marché de l’emploi reste vive. Le constat est limpide: encore plus de 10 millions d’emplois vacants aux Etats-Unis, des salaires au Japon qui affichent la plus forte progression depuis plus de 25 ans, un taux de chômage en zone euro au plus bas depuis au moins 25 ans (6,6%), etc.

Il y a bien une explication à ce retournement, une explication structurelle et visible: il s’agit de la bascule démographique. La population mondiale en âge de travailler est entrée dans une phase de contraction. C’est un changement majeur. Il faut avoir à l’esprit qu’avec l’ouverture de la Chine dans les années 1980, ce sont des centaines de millions de salariés qui ont été ajoutés à la force de travail mondiale pour que celle-ci atteigne un pic peu avant 2020.

Or, en raison du vieillissement de sa population, la dynamique s’inverse. La population en âge de travailler diminue en Chine, s’ajoutant ainsi au recul du nombre de travailleurs dans les pays développés.

Un manque criant de travailleurs

Le mouvement à l’œuvre a ceci de particulier qu’il est également très facile de modéliser son évolution dans les années à venir. Nul besoin d’élaborer des hypothèses complexes, puisqu’il suffit de regarder les générations qui arriveront sur le marché du travail dans les années à venir et celles qui le quitteront. Ces «générations» existent déjà, les données sont donc robustes.

C’est ainsi que l’on peut estimer qu’à horizon 2030, 15 des plus grandes économies mondiales (Allemagne, France, Italie, UK, Japon, Canada, etc.) feront face à un déficit de travailleurs*. L’Allemagne pourrait manquer de 8 millions de travailleurs à horizon 2030, représentant plus de 20% de sa force de travail!

Ainsi, la bascule du rapport de force entre les employés et les employeurs paraît durable. Il est à noter que les coûts associés au départ d’un collaborateur peuvent varier de 30% de sa rémunération annuelle jusqu’à 5 fois cette dernière. Et il s’agit là de coûts directs. Il conviendrait d’y ajouter les risques d’exécution. Un faible turnover des effectifs peut donc constituer un avantage coût très substantiel et permet une moindre exposition à des risques opérationnels.

Dans ce contexte, les entreprises ayant la capacité à attirer les talents, les former et les retenir devraient bénéficier d’un avantage concurrentiel majeur. C’est un véritable changement de paradigme, qui tranche avec l’époque où les talents étaient une ressource ample et facile d’accès.

C’est pourquoi les investisseurs doivent aujourd’hui intégrer à leur analyse financière, une analyse de l’attractivité de l’entreprise sur le marché de l’emploi. Cette démarche est au cœur de notre stratégie actions ISR sur la thématique du capital humain.

 

* Source: Rainar Strack, Global Workforce forecasts, octobre 2014.