Les Banques Centrales prises au piège

Wilfrid Galand, Montpensier Finance

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Face à l’accélération économique mondiale, les banques centrales sont prises au piège d’un soutien monétaire.

© Keystone

Après un plongeon spectaculaire il y a un an, l’économie mondiale a rebondi très fortement. Aux États-Unis et en Chine – soit près de 50% du PIB de la planète – le trou d’air de 2020 est un lointain souvenir. Un exemple parmi tant d’autres: outre-Atlantique, les commandes de biens durables hors aviation et défense sont au plus haut depuis vingt ans et dépassent désormais de 14% le niveau de janvier 2020. Autant dire que l’optimisme est de mise: notre indicateur MMS Montpensier de Momentum économique mondial, à 70, est au plus haut depuis plus de trois ans.

Le momentum de croissance économique mondial est au plus haut depuis 3 ans et en reprise de 50 points depuis juin 2020

En Europe, l’accélération du momentum de croissance économique est même supérieure, compte tenu de la bonne marche du programme de vaccination et de la réouverture de l’économie. Ainsi notre indicateur atteint 87, proche de ses plus hauts depuis 10 ans!

Le momentum de croissance économique de la Zone Euro a effacé la crise épidémique et le ralentissement de 2018

Cette accélération économique s’accompagne d’une indéniable pression à la hausse des prix mondiaux. Les matières premières ont été les premières à sonner la charge: bois de construction, cuivre, minerai de fer, zinc, toutes les composantes indispensables à la production mondiale se sont envolées. Et même si le pétrole semble stabilisé autour de 65$-67$ le baril de brut léger américain, les temps semblent loin où celui-ci, en avril 2020, brûlait les doigts des opérateurs au point de coter brièvement en territoire négatif.

Les prix à la production, tout comme ceux à la consommation, leur ont emboité le pas. Certes, le mouvement est encore naissant en Europe avec un indice des prix à la consommation en hausse de 1,6% sur un an, mais les prix à la production en Allemagne sont déjà en hausse de 5,2%. Et que dire de la situation aux Etats-Unis! La progression y est spectaculaire: plus de 6% de progression pour les prix à la production en avril et 4,2% pour les prix à la consommation (CPI).

Et ce n’est pas tout. Portés par les vents favorables venus du congrès à majorité démocrate et surtout par les pénuries de main d’œuvre qui se manifestent de plus en plus dans le pays, les entreprises américaines montent les salaires: McDonald’s, Chipotle, Amazon ont tour à tour annoncé leur intention de porter à 15$ voire au-delà le salaire horaire minimum offert à leurs employés. Si la fameuse boucle «prix-salaires» chère aux économistes n’est pas encore en fonctionnement, elle se rapproche dangereusement.

Pourtant, rien ne semble lézarder le calme marmoréen des grands banquiers centraux. Bien sûr, les minutes de la dernière réunion de la Fed ont mentionné le début d’un débat sur l’opportunité de prochaine de commencer à discuter d’un futur arrêt progressif des injections de liquidités. Un débat sur le débat donc. Mais bien vite, la marche arrière a été enclenchée: «les pressions inflationnistes sont temporaires, l’économie encore fragile, le chômage loin de son étiage et le soutien monétaire indispensable…»

Et même chose en Europe. Seul le très vigilant mais peu écouté Jens Weidmann a rappelé que les programmes d’urgence avaient vocation à disparaitre avec cette même urgence.

Et les bilans des institutions monétaires, déjà gonflés comme jamais à l’occasion de la pandémie, continuent de croître: plus de 120 milliards de dollars par mois pour la seule Fed alors qu’au pire de la crise de 2008, le rythme mensuel était de 80 milliards.

Face au risque de perte de confiance dans la monnaie, et tout spécialement dans le dollar – le fameux «débasement monétaire», les banquiers centraux ont choisi leur camp, celui du soutien à long terme.

Soutien à l’économie d’abord: en maintenant des conditions de financement favorables et un crédit très accessible, elles se tiennent à l’écart de l’erreur qui les hante, celle de briser dans l’œuf la reprise économique, à la manière de la BCE relevant ses taux en juillet 2011, quelques semaines avant l’éclatement de la crise des dettes souveraines en zone euro.

Soutien aux marchés ensuite: l’afflux de liquidités et les interventions permanentes auprès des banques permettent de prévenir toute fragmentation et tout blocage des marchés monétaires et des marchés de taux et de préserver la confiance dans la bonne tenue des marchés actions mondiaux, ce qui soutient l’économie par l’effet richesse induit.

Mais surtout soutien aux États. Alors que le besoin de protection et d’intervention étatique dans l’économie n’a jamais été autant exprimé par les citoyens, les Etats se sont endettés massivement pour contrer les effets de la pandémie. Le mouvement se poursuit cette année avec des déficits budgétaires de plus de 15% aux Etats-Unis et de plus de 10% en Europe. Les dettes publiques se régionalisent: aux États-Unis, la part de la dette fédérale détenue par les investisseurs étrangers, à 25%, est en baisse constante – seuls 4% de cette dette sont entre des mains chinoises contre 8% il y a 10 ans – et en Europe, les banques nationales prennent une part de plus en plus grande aux adjudications de leurs états respectifs.

Ce retour du politique et donc de l’Etat dans l’économie force ainsi les banques centrales à maintenir leur soutien, quitte à enchainer les circonvolutions pour justifier monétairement une politique de plus en plus détachée des fondamentaux de leurs mandats.

En dehors de la Chine, restée cette fois-ci très prudente, un nouvel équilibre mondial se met en place: plus d’interventions des Etats, plus de dettes, plus de liquidités… et plus de soutien pour les marchés.

Jusqu’ici tout va bien donc, sauf si l’accélération de l’inflation devenait telle qu’elle forcerait la main des très prudents grands argentiers. Leurs déclarations seront très suivies ce mois-ci.